dimanche 3 février 2008

Contre François Jullien de JF Billeter

2. La philosophie

Dans ce chapitre Billeter commence par dire que F. Jullien, dans ses ouvrages, ne laisse pas parler les auteurs chinois et qu'il parle à leur place. Plutôt que de citer il aurait fallu, selon Billeter, présenter des textes et laisser le lecteur juger. Il avait commencé de cette manière dans « La valeur allusive » mais s’est détourné ensuite de cette voie.
Selon Billeter, Jullien veut mettre en rapport deux formes de pensée mais il fait une erreur de principe, celle de ne pas rester un arbitre impartial de cette confrontation.
Par ailleurs, se demande Billeter, comment une telle confrontation peut elle avoir lieu « à l’intérieur d’un monologue d’un intellectuel occidental qui s’exprime en français ? »
Même si une telle confrontation était possible dans ces conditions, personne ne peut penser de deux façons à la fois : comment un tiers pourrait il saisir ensemble les deux formes de pensée.

Par ailleurs, F. Jullien fait des choix de traduction contestables, surtout en ce qui concerne les notions importantes telles que 道dao4, 适shi4, 淡dan4. Il traduit chacune d’elle de manière unique ce qui n’est pas exact. Par exemple 淡 dan que Jullien traduit uniquement par le mot « fade » peut être traduit par plusieurs adjectifs tels que fin, léger, délicat, subtil selon le contexte de la phrase. Il en va de même pour le mot 道 dao, que beaucoup de sinologues traduisent par « La Voie » et que Jullien traduit par « procès » alors que selon Billeter, il peut être traduit par d'autres mots plus explicites. Ainsi concernant la phrase « As tu un Tao de la nage ? » Billeter propose la traduction « Pour nager ainsi, y-a-t-il une technique ? ». Billeter propose d'autres traductions possibles pour 道 dao : fonctionnement des choses, action, le fond des choses, la réalité, la nature. Cette polysémie des mots n'est par ailleurs pas propre à la langue chinoise, elle est aussi présente dans la langue française (le mot « grâce » par exemple).

A l'objection que certains mots représentent certaines notions philosophiques, Billeter répond que, comme Paul Valéry, il considère comme une illusion philosophique la recherche du sens absolu isolé des mots. Cette illusion philosophique n'est pas proprement occidentale, elle est aussi présente en Chine. Billeter critique une traduction française du Huainanzi où les sinologues ont laissé le mot Tao tel quel, rendant le texte, selon lui, incompréhensible. S'ils l'avaient traduit par le mot Nature, le texte serait devenu compréhensible et aurait révélé alors un ouvrage politique qui vise à fonder en nature le pouvoir impérial. Un choix de traduction suffit donc à créer le mirage d’un univers intellectuel entièrement séparé du nôtre.

Billeter pense que l'on doit poser que les univers chinois et occidentaux ont un objet en commun, on doit dégager cet objet et voir ensuite de quelle façon il est appréhendé de part et d’autre. La démarche de Jullien ne consiste pas en fait à rencontrer une quelconque réalité mais de mettre en présence deux pensées et en tirer des effets mais en définitive, ce lieu « autre » où le philosophe est censé se placer, n'est plus à la fin qu'un lieu de son propre discours.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

ton exposé a l'avantage (et ce n'est pas le seul) d'être clair

il m'a obligé à faire des recherches ce qui est toujours interessant

je fais des progrès et je rêve du jour où on pourra communiquer aussi en chinois sur ce même blog

谢谢 橄榄树

Anonyme a dit…

Je dois avouer ne pas bien comprendre le passage :

"Par ailleurs, se demande Billeter, comment une telle confrontation peut elle avoir lieu « à l’intérieur d’un monologue d’un intellectuel occidental qui s’exprime en français ? »
Même si une telle confrontation était possible dans ces conditions, personne ne peut penser de deux façons à la fois : comment un tiers pourrait il saisir ensemble les deux formes de pensée?"

Pourquoi ne peut-on saisir ensemble deux formes de pensée ?

Anonyme a dit…

Billeter répond à ta question en disant que :
"une forme de pensée n'a de réalité que lorsqu'on s'en sert pour penser et nul ne pense jamais de deux façons à la fois. Ce que l'on peut tenir à la rigueur sous son regard, ce ne sont pas deux formes de pensées en acte, dans leur action réelle, mais seulement des formes vidées de leur substance, pareilles aux dépouilles que les serpents laissent derrière eux après leur mue."

F. Jullien a bien entendu son avis sur la question. On pourrait brancher aussi Daniel.

En tout cas, voilà un point de départ pour de passionnantes discussions à venir pour notre cénacle.

Olivier