mardi 27 janvier 2009

Le jade et le bambou 2ème partie


"...Je pouvais justifier la tendresse qu'ils (ces indiens des tropiques et leur semblables par le monde) m'inspirent et la reconnaissance que je leur porte, en continuant à me montrer, tel que je le fus parmi eux, et tel que, parmi vous, je voudrais ne pas cesser d'être : leur élève, et leur témoin."
Claude Lévi-Strauss, fin de la Leçon inaugurale au Collège de France



En liaison avec le rôle presque passif du lapidaire chinois qui efface son moi pour mieux suivre les veines du jade, avec le nageur qui « suit le Dao de l’eau sans imposer son moi » nous pouvons revenir sur la manière dont Claude Lévi-Strauss définit le travail de l’ethnologue :
« Le travail de l’ethnologue qui consiste à faire de lui le lieu où des pensées étrangères peuvent se déployer…le lieu presque passif puisque je ne contrôle pas ce qui se passe de phénomènes qui n’appartiennent pas à mon existence, à ma propre histoire, à mon milieu ou à ma société. »
Cette attitude « presque passive », cette volonté de ne pas imposer son moi, vont permettre à l’ethnologue de devenir "l’élève et le témoin" des sociétés les plus modestes et les plus éloignées de sa culture, elles vont également avoir des implications sur la manière dont on peut concevoir la fonction de l’art et le rôle de l’auteur et du récepteur d’une œuvre.

La fonction de l’art
On se souvient qu’en perdant la notion distincte de son individu, Rousseau pouvait « s’identifier avec la nature entière ». Cette identification à la nature, à l’objet représenté est présentée par Su Dongpo comme la marque des plus grands peintres. Vous connaissez tous maintenant le fameux poème :

« Lorsque Yuke peignait un bambou,
Il voyait le bambou et ne se voyait plus.
C’est peu dire qu’il ne se voyait plus ;
Comme possédé, il délaissait son propre corps.
Celui-ci se transformait, devenait bambou… »
Su Dongpo traduit par F. Cheng in Shitao La saveur du monde Editions Phébus

Or cette identification va permettre à l’artiste d’atteindre le sens profond des choses, le LI.

François Cheng dans son livre consacré à Chu Ta Le génie du trait, commente ainsi le tableau reproduit ci-dessous : « Ce qui importe aux peintres chinois est moins la justification parfaite des détails exactement observés que la traduction visible de la structure cachée des choses.
L’art qui se trouve ici à l’œuvre …s’ingénie à retrouver, par-delà les données formelles, la structure interne (LI), l’ossature invisible du réel…l’artiste s’est attaché à peindre non pas des apparences mais bien des essences. »


Chu Ta : Fleurs de chrysanthèmes

Or cette fonction de connaissance intime des choses (découlant de l’identification, elle-même permise par l’effacement du moi) est la fonction que Lévi-Strauss dans des termes très proches assigne à l’art. « Pour moi, le métier de peintre consiste non dans une reproduction, mais dans une recréation du réel…Le peintre offre ainsi du monde sensible une doublure intelligible. Il nous aide à le comprendre par le dedans….Je demande (au peintre) de me donner à voir la réalité mieux que je ne le pourrais moi-même, de m’aider à comprendre ce qui m’émeut dans le spectacle du monde, d’assister mes facultés de sentir et de connaître. » De près et de loin, éditions Odile Jacob.
Pour Lévi-Strauss, l’art permet la réconciliation du sensible et de l’intelligible.

Les rôles de l’auteur et du récepteur d’une œuvre d’art
L’effacement du moi conduit à un rééquilibrage du rôle de l’auteur et du récepteur (lecteur, auditeur, spectateur) dans l’art.
L’auteur a un rôle presque passif, c’est le lieu où s’organisent des pensées étrangères, nous dit Lévi Strauss. C’est la Nature « qui organise les pensées des hommes, qui règle ses musiques, ses tableaux et ses poèmes et non l’inverse » nous dit le Clézio dans un texte qui fait écho au très beau poème de Su Dongpo

« Le vieux moine poète vivait en ermite
Se nourrissant seulement du miel de ses abeilles
Personne ne savait que dans chaque goutte de miel
Né de la beauté des herbes et des fleurs
Se cachaient les secrets des poèmes naissant… »
Cité par Claude Roy in L’ami qui venait de l’an mil

Les œuvres sont contenues dans le flux de la nature et l’auteur en est le vecteur, le transcripteur. Dans les premières pages du Rêve dans le pavillon rouge, Cao Xueqin, nous dit avoir trouvé cette histoire gravée sur un roc, il s’est borné à la retranscrire.
Grâce à ce rôle «presque passif », grâce à cette attitude d’accueil l’homme va pouvoir être le lieu où les coquillages de la mer deviennent des mots, où le miel des abeilles se transforment en poèmes, où les rochers des montagnes contiennent des romans et où les mythes des indiens s’organisent en outils pour comprendre le fonctionnement de la pensée des hommes.


"Maintenant les Monts et les Fleuves me chargent de parler pour eux; ils sont nés en moi et moi en eux. J'ai cherché sans trève des cimes extraordinaires, j'en ai fait des croquis, monts et fleuves se sont rencontrés avec mon esprit et leur empreinte s'y est métamorphosée."
Citrouille amère, alias Shitao

Le récepteur, à l’inverse, a, dans la culture chinoise, un rôle plus actif que dans notre culture. Prenons l’exemple de la peinture. Anne Kerlan-Stephens (Du visible au lisible)nous rappelle qu’en Chine un tableau n’est pas une toile accrochée en permanence à un mur, ce sont des rouleaux que le spectateur manipule et sur lesquels il intervient très souvent en portant des inscriptions, commentaires ou poèmes.
De la même manière, on a déjà vu, dans des articles précédents, l’importance des allusions, des symboles dans les poèmes et les romans qui laissent le texte ouvert et confèrent une large place à l’interprétation du lecteur.

Cette série d’articles nous a permis d’aborder deux conceptions. Schématiquement une qui privilégie le Sujet, majoritaire dans les pensées occidentales. L’autre qui insiste sur l’effacement de la notion du moi, prépondérante dans les pensées d’extrême orient. Il ne s’agit pas de les opposer et de dire que l’une est supérieure à l’autre. Ce sont plutôt des points de vue qui se complètent, des perspectives différentes qui s’éclairent réciproquement.

A suivre,
Françoise,
Jingping,
Weiyi,
Jean-Louis

lundi 26 janvier 2009

Le jade et le bambou 1ère partie

Le jade et le bambou sont certainement parmi les éléments les plus chargés de symboles de la culture chinoise.
A l’aide de poèmes, de tableaux, de calligraphies nous allons essayer de dégager les représentations symboliques dont la signification peut nous aider à comprendre les conséquences de l’effacement du moi sur la création artistique.

Le symbolisme du bambou.
Nous avons trouvé dans une fiche de la BNF consacrée à la calligraphie, une description intéressante du contenu symbolique du bambou dans la culture chinoise :
« Ancien support d’écriture, le bambou représente pour le lettré chinois une image de perfection vivante : dans le jaillissement de ses branches, dans la vivacité de ses feuilles livrées à la brise. Il reste souple et flexible sous les assauts du vent, obstiné et constant ; élégant dans sa simplicité sans apprêt de sa mise, il se rit des saisons car sa tige reste verte tout au long de l’année. Il semble là pour nous rappeler que la vraie vie ne meurt jamais. Se souvenir que la canne de bambou est vide : vertu d’absence qui contient tout. En chinois « creux du cœur » signifie humble.

Caractère du bambou

L’idéogramme chinois figurant le bambou ressemble à celui du rire, car pour les Chinois le bambou se plie de rire. Il est souvent couplé dans la tradition iconographique à l’orchidée, la fleur symbolisant le principe féminin (yin) et le bambou le principe masculin (yang). »



Shitao : Bambou et orchidée

Le symbolisme du jade
Le jade est la matière précieuse par excellence.

« Entre Ciel et Terre il est une matière parfaite
Si précieuse dans son dépouillement.
Qu’on la taille pour quelque usage vulgaire
Et en un instant sa véritable nature est perdue »
Wei Yingwu (737-792 ?) Eloge du jade Cité par N. Zufferey in introduction à la pensée chinoise.

Examinons le caractère LI qui signifie : raison, principe, sens caché des choses. Il est composé de la clef du jade et d'une partie qui signifie intérieur


LI : raison, principe, sens profond des choses

« Ce caractère Li nous enseigne qu’il y a lieu, avant de travailler le jade brut, de scruter ses veines afin de ne pas risquer de le casser. Il ne s’agit donc pas tant de partager et de calculer, que d’observer le cours des choses afin d’agir en fonction de lui plutôt que de s’y heurter. C’est pourquoi ce caractère LI reçoit souvent la traduction de « sens profond des choses », « principe » ». Ivan Kamenarovic, La Chine classique
Cette citation est à rapprocher de l’image du nageur utilisée notamment par Zhuangzi, qui « suit le dao de l’eau sans imposer son moi » Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise.

On comprend dès lors que l’idéal de l’artiste chinois soit décrit par I Kamenarovic de la manière suivante :
« A l’esprit du potier grec qui s’empare de la terre pour la fractionner et la plier à sa volonté afin qu’elle ressemble au modèle qu’il a en tête s’oppose l’esprit du lapidaire chinois qui s’efforce de suivre les lignes directrices dont il détecte à la fois la présence native et le sens au sein de la pierre, lignes dont dépendra l’ouvrage final.»

Quels éléments symboliques pouvons nous dégager qui vont nous aider dans notre démarche ?
- le vide du bambou « vertu d’absence qui contient tout ». Vide que le Sage s’efforce de faire en lui pour mieux s’ouvrir au monde, vide recherché par l’artiste pour atteindre la « vérité » de la chose représentée.
- Les veines du jade que l’artiste s’efforce de suivre dans une attitude qui peut nous paraître passive mais qui, dans la représentation que s’en font les Chinois, lui permettent d’atteindre le sens profond des choses.

Dans notre prochain article nous essayerons de monter les conséquences de la notion d’effacement du moi sur :
- la fonction de l’art
- les rôles respectifs de l’auteur et du récepteur (spectateur, auditeur, lecteur) ;

Enfin, une belle citation du moine Citrouille-amère résumera nos articles et nous fournira la clef de l’énigme posée par le texte de Le Clézio.

A suivre,

Françoise,
Jingping,
Yan,
Weiyi,
Jean-Louis

petit extrait vidéo

dimanche 25 janvier 2009

L'aventure à Rustrel



Heureusement il y avait beaucoup de chevaliers servants.
Moi, je guettais la chute...des autres



Je me moque, je me moque...mais moi, il me fallait deux aides...(La deuxième photo m'a été communiquée par Jean-Pierre)

Jean-Louis

Sortie : Nouvel an du Boeuf


jin(1)tian(1)wan(2)de(3)hen(3)kai(1)xin(1).
今天玩得很开心。
Aujourd'hui, (je suis) très content de sortir.
zhu(4)da(4)jia(1)chun(1)jie(2)hao(3)
祝大家春节好。
(je) vous souhaite bonne fête du printemps

Liang

很漂亮



Une magnifique journée dans le colorado provençal !
新年快乐 !
Gwen

Année du buffle



Bonne année à tous!
Xin nian kuai le!

Françoise

mardi 20 janvier 2009

L’effacement de la notion du « moi » dans la pensée chinoise


Dans la culture chinoise l’abandon du moi n’est pas ressenti comme une infirmité ou comme une expérience temporaire. C’est plutôt – et cela peut nous sembler paradoxal – l’objet d’une recherche à travers ce que les auteurs chinois nomment la "culture de soi".

Dans le numéro hors-série du Point (n° 13, mars-avril 2007) consacré à la pensée chinoise, Stéphane Feuillas décrit ainsi l’accomplissement du sage : "Or, là encore, ce que l’homme découvre dans le déploiement de ses virtualités, ce n’est pas un quelconque moi enfoui, plus secret et plus vrai. La pensée chinoise se situe à ce titre au plus loin de la vulgate New Age des théories du développement personnel. Ce qu’il découvre en se réalisant et en abandonnant son moi, c’est le naturel. Il laisse place en lui au libre jeu des forces qui gouvernent la vie, son corps et son esprit. Il s’abolit comme individu et accède sans jamais cesser d’être pleinement homme à un autre rapport au monde…Quiconque a connu un jour l’obsession sait à quel point mettre du vide dans les choses est tâche ardue…"

D’autre part, une contribution du même Stéphane Feuillas a attiré notre attention ; c’était lors d’un colloque intitulé "Le Choix de la Chine d’aujourd’hui : entre la tradition et l’Occident", tenu à l’Ecole normale supérieure de Lyon en novembre 2004.

Dans ce long texte, Stéphane Feuillas associe Michel Foucault à Su Dongpo (alias Su Shi, 1037-1101) : "De Foucault à Su Dongpo : culture et transformation de soi".

En voici un modeste résumé, privilégiant les éléments en relation avec cet article.

D’abord apparaît une originalité et un risque évidents : rapprocher un penseur du 20ème siècle, philosophe, influencé par le structuralisme, critiquant les institutions tant politiques que sociales d’un homme du 11ème siècle, peintre et calligraphe, commentateur des Classiques confucéens mais aussi haut fonctionnaire, comme beaucoup de lettrés de la Chine ancienne.









Pour Stéphane Feuillas la problématique s’inscrit déjà dans la langue : "deux binômes de la langue classique chinoise tels que xiu shen 修身, xiu xin 修心 (parfaire, réparer, raffiner sa personne ou son esprit) ou encore yang sheng 养生, yang xing 养性 (nourrir, entretenir sa vie ou sa nature) ". Il ne s’agit pas d’une pratique égoïste : tout ce qui tend à "favoriser le plein exercice de soi-même, à assurer au soi sa place exacte dans le monde" est bénéfique. "Le souci de soi est essentiellement souci du monde".

Stéphane Feuillas amène aussi la notion trop et si mal utilisée de spiritualité en démontrant que comme pour Su Dongpo le ressort de la spiritualité n’est pas lié essentiellement au bien ou à la morale mais plus radicalement, que ce qui s’énonce dans la spiritualité, c’est une transformation de soi.

Il s’agira donc de caractériser une "voie" permettant d’utiliser au maximum son potentiel, de sortir des particularismes pour rejoindre son naturel (n’est-on pas là aussi dans la philosophie taoïste ?)

"Dans le grand partage stoïcien et chinois entre ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas, Su Dongpo semble affirmer que rien n’est extérieur à l’activité du sujet, que tout réside non dans les progrès d’un individu moral mais dans la seule vigilance d’un individu…Elle est pour lui et dans de multiples autres textes abondamment décrite comme la capacité d’accueillir les situations telles qu’elles se présentent sans jamais projeter une intention, sans jamais non plus les biaiser d’une arrière-pensée rémanente... Conformément à l’optique de la pensée chinoise en effet, dès qu’un cours est engagé, qu’il s’agisse de la nature ou de l’histoire, il n’est plus possible de revenir en arrière ; le cours est de lui-même conduit à sa plus grande extension".

Un exemple donné par Su Dongpo :

"Coupez un bambou pour en faire une flûte. Percez-le de trous et soufflez-y. Même Shi Kuang [le patron des musiciens] sera incapable d’épuiser les modulations du chant et du déchant ou les variations des notes hautes et basses et des rythmes lents ou vifs. Pourtant si l’on remonte à l’origine de ces variations et la recherche, on ne trouvera que la gamme des cinq notes et les tubes musicaux. Et [de même] à l’origine des cinq notes et des tubes musicaux, il n’y a que le sifflement, et en amont du sifflement, il n’y a que le silence. Dans l’Antiquité, les compositeurs ne devaient-ils pas se tenir dans le silence ?"

Exemple d’autant plus parlant que le bambou, dont le tronc est vide constitue une métaphore particulièrement pertinente du "vide créateur" dont parle François Cheng, de l’effacement de l’ego qui permet que les processus de création puissent advenir.

Le savoir spirituel tel que Su Dongpo semble le construire concerne plutôt un "retour au naturel".

Ce qui émerge aussi bien chez Michel Foucault que chez Su Dongpo, c’est le "soi" et non le "moi" qui doit constamment faire l’objet de vigilance car il est trop souvent muré dans son individualité ou bloqué par ses particularismes ou ses intentions.

Su Dongpo : "Mon esprit étant un, ce qui est nouveau, ce sont les choses !"

Le retour à soi est invention du monde.

"Là résident sans doute la richesse et la fécondité toujours actuelles des philosophies de la Chine : penser que le naturel et la spontanéité ne s’acquièrent que dans un examen soucieux et exigeant de la conduite, croire et faire que la simplicité advienne dans un oubli de soi."


Les mêmes : Weiyi, Jinping, Jean-Louis et Françoise

lundi 19 janvier 2009

Exposition de photographies


Merci à Julien pour cette information.

Olivier

dimanche 18 janvier 2009

Les intermittences du moi

En remontant le rio Machado
Comme annoncé dans le précédent article, nous allons maintenant rapprocher trois expériences de celle évoquée par Le Clézio pour essayer de mieux la comprendre.
Nous allons d’abord rejoindre Jean-Jacques Rousseau qui se promène, après un évanouissement, le long du Guiers, une petite rivière de Savoie.

Les rêveries d’un promeneur solitaire
Lors d’une reprise de conscience consécutive à un évanouissement, JJ Rousseau perd la notion distincte de son individualité. Il en éprouve un sentiment délectable car il peut ainsi se fondre dans le système des êtres et des choses. Dans Anthropologie Structurale II , Claude Lévi-Strauss nous décrit cette expérience « On connaît, dans la vie de Rousseau, une minute – une seconde peut-être dont, en dépit de sa ténuité, la signification commande à ses yeux tout le reste…Qu’est-ce d’autre, pourtant, sinon une banale reprise de conscience après une chute suivie d’évanouissement ? Mais le sentiment de l’existence est un « sentiment précieux » entre tous parce que, sans doute, si rare et si contestable :
« Il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j’apercevais …je n’avais nulle notion distincte de mon individu …je sentais dans tout mon être un calme ravissant auquel, chaque fois que je me le rappelle, je ne trouve rien de comparable dans toute l’activité des plaisirs connus ». A ce célèbre texte de la deuxième promenade, un passage de la septième fait écho, en même temps qu’il en fournit la raison : « Je sens des extases, des ravissements inexprimables à me fondre, pour ainsi dire, dans le système des êtres, à m’identifier avec la nature entière. »
Marcel Proust a des termes presque semblables pour décrire la perte de son individualité lors de la confusion spatio-temporelle éprouvée au réveil

Le réveil d’un adolescent
« Et quand, je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j’étais ; j’avais seulement dans sa simplicité première, le sentiment de l’existence comme il peut frémir au fond d’un animal. » Du côté de chez Swann I.1

Les confidences d’un ethnologue
Dans les entretiens qu’il a accordés à Didier Eribon et dans les interviews que nous avons pu voir sur Arte à l’occasion de son centième anniversaire, Claude Lévi-Strauss décrit comment il se perçoit : « Je n’arrive pas ou très difficilement à me percevoir comme un individu, comme une personne, comme un moi, mais plutôt comme le lieu où de façon transitoire se passent certaines choses. C’est sans doute une infirmité…»
Une des caractéristiques de cette difficulté à se percevoir comme un individu, c'est-à-dire comme un « moi » permanent ce sont les intermittences du « moi » que Claude Lévi-strauss décrit de la manière suivante : « Ce que j’ai écrit c’était sans doute moi au moment où je l’ai écrit, mais immédiatement après ce n’est plus moi…».
Claude Lévi-Strauss, grand lecteur de Marcel Proust pensait sans doute à certains passages de La Recherche « Le moi qui l’avait aimée, remplacé déjà presque entièrement par un autre… » Très belles pages là-dessus dans Les jeunes filles en fleur

On peut maintenant essayer de dégager les traits communs à toutes ces expériences.
Elles nous parlent toutes d’un décentrement. Ce n’est plus le « sujet » qui est au centre du processus de création.

Quelles sont les conséquences de cet effacement du « sujet » ?

JJ Rousseau nous le dit : cet effacement du « moi » permet l’identification à la nature entière, expérience délectable entre toutes. Le sujet peut ainsi devenir le médium des forces en œuvre dans l’univers. Et l’on comprend mieux la phrase de Le Clézio : « le langage est une expression de l’univers modifiée par la bouche des hommes ».

Retenons cette notion d’identification : nous verrons qu’elle tient une place importante dans les arts chinois et notamment la peinture.

Pour l’ethnologue, cet effacement du « moi » est une condition absolue à l’objectivité de son travail. Il ne doit pas projeter sur les cultures qu’il étudie ses propres manières de penser héritées de sa culture, il doit s’efforcer de devenir « le lieu presque passif où s’organisent des pensées étrangères » pour se garder de tout ethnocentrisme.

Il lui faut faire le vide en lui pour pouvoir s’ouvrir aux autres. Or, le vide a rarement une valeur positive dans notre culture. Nous avons peur du vide, du silence. Lévi-Strauss rapporte que, lors de leurs premiers contacts avec les Blancs, les Indiens trouvaient ceux-ci « wordy » : « pleins de mots ».
La pensée occidentale a mis l’accent sur le sujet, le moi, le discours, le plein. Cette primauté du sujet s’appuie sur un système philosophique cohérent englobant des notions en relation avec celle de sujet : Dieu, Création, Homme.
Il n’en va pas de même de toutes les cultures. On sait qu’un des fondements de la pensée chinoise est le vide conçu comme ouverture à tous les possibles. Le silence est valorisé comme l’origine et l’aboutissement de la musique.

Cela explique, peut-être, que les auteurs occidentaux qui ont fait l’expérience de l’effacement du sujet ont du mal à la fonder théoriquement et la rattachent à une infirmité : « j’ai du mal à me percevoir comme un individu, c’est sans doute une infirmité » nous dit Lévi-Strauss, à un évènement accidentel (JJ Rousseau) ou à la confusion spatio-temporelle que l’on connaît au réveil (Marcel Proust).
A l’inverse, les penseurs chinois peuvent rattacher l’effacement du sujet aux notions fondamentales de leur conception du monde : le Vide, le Dao. On comprend mieux, dès lors, que les « sages » chinois aient pu rechercher l’effacement du sujet dans ce qu’ils ont nommé, de manière un peu paradoxale pour nous, « la culture de soi ».

L'effacement du Sujet dans la peinture chinoise. Il est parfois si petit qu'on le remarque à peine :

Tchang Feng : Paysage d'automne (1660)
"Quand il peint, c'est l'univers qui peint à travers lui"

Shitao : L'automne aux abords de Yangzhou


Shitao : Aller par les froids chemins

A suivre…

Françoise,
Jingping,
Weiyi,
Jean-Louis.

Mariage de Yan et Marc



Un mariage pour toujours,     婚姻的永远,
qui est entouré d'amour,      围绕着爱恋,
celui qui rime avec toujours,    和着永恒的韵律,
et cela chaque jour.        也伴着每日每天。



Gwen
(traduit par Liang,王亮译)

samedi 17 janvier 2009

un 17 janvier très chinafien

Réunion au siège de l'association pour préparer notre fête du nouvel an qui aura lieu le 7 février prochain à la rue Sénac, on vous promet un spectacle éblouissant grâce à une étroite collaboration avec les étudiants chinois de Provence.
Le même jour un autre évènement au sein de l'association : le mariage de Yan et de Marc.
Tous nos voeux de bonheur aux jeunes mariés
VIVE LES NOVIS


Nicole


mardi 13 janvier 2009

Une énigme



Wou Tchen (1280-1354) Bambous et rocher

Dans un livre intitulé Haï, JMG Le Clézio écrit cette phrase un peu énigmatique :

« Il faudrait parler de cette expérience comme on parle de la mer, par exemple. Elle était là, on la côtoyait tous les jours, on la regardait, on y pensait, mais on ne savait pas ce qu’elle voulait. Mais la mer, elle, savait. C’était elle qui entourait les villes, elle qui organisait les pensées des hommes, qui réglait ses musiques, ses tableaux et ses poèmes. Et non pas l’inverse. Comment imaginer cela ? Quand on se servait des mots du langage, et qu’on les alignait sur la feuille blanche, on ne s’en doutait pas, mais ce qu’on alignait, c’étaient des coquillages. Ce qu’on découvre alors, un jour, comme cela, rien qu’en étant assis sur un rocher devant la mer, vous comprenez, c’est que l’expérience des hommes est incluse dans l’expérience de l’univers. Ca, c’est vraiment terrifiant, et en même temps délectable, parce qu’à ce moment-là, beaucoup de mots apparaissent, beaucoup de mots s’écroulent. Cela veut dire que le langage est une expression de l’univers modifiée par la bouche des hommes, un langage interprété en quelque sorte, dont l’original restera toujours sans traduction. »

Quel rapport peut-il y avoir entre la peinture d’un artiste chinois de la dynastie des Yuan et le texte d’un auteur français contemporain ?
Que peut bien vouloir dire Le Clézio ? Les mots seraient des coquillages ? Les livres, les musiques, les tableaux des hommes seraient contenus dans le flux de la Nature ? Quel est ce renversement de perspective auquel nous convie Le Clézio ? Quelle est cette expérience terrifiante et délectable dont il parle ?
C’est ce que nous allons tenter de découvrir le long d’une série d’articles.

Un premier indice pour résoudre cette énigme ne tiendrait-il pas dans le fait que Le Clézio raconte dans son livre sa rencontre avec le monde amérindien. Faut-il faire un détour par d’autres cultures pour en trouver la solution ?

Fortement influencés par le cartésianisme, nous avons un peu de mal à comprendre ce texte. Nous avons l’habitude de dire : je parle, j’écris, je pense, j’écoute de la musique ….et non les choses se pensent en moi, la musique se vit en moi.
Il semble que le fameux « Je pense donc je suis » qui nous parait évident aurait été difficile à traduire en chinois ancien. Anne Cheng dans son Histoire de la pensée chinoise nous signale « qu’au regard des langues indo-européennes, l’un des faits les plus frappants est l’absence en chinois ancien du verbe « être » comme prédicat » et elle cite Jean Beaufret « La source est partout, indéterminée, aussi bien chinoise, arabe qu’indienne …mais voilà, il y a l’épisode grec, les Grecs eurent l’étrange privilège de nommer la source « être ». »
Et Nicolas Zufferey dans Introduction à la pensée chinoise nous dit « qu’en chinois classique, le sujet de la phrase peut naturellement tomber ».

« Source indéterminée » : conservons en mémoire cette expression : elle nous fournit un second indice très important car vous vous souvenez peut-être que nous l’avons rencontré dans différents textes traitant du taoïsme.

Nous y reviendrons bien sûr, mais auparavant pour tenter de mieux comprendre l’expérience délectable dont nous parle Le Clézio, nous allons la rapprocher d’autres expériences vécues en des lieux et des époques différentes. Nous suivrons un promeneur solitaire perdu dans ses rêveries le long d’une petite rivière des Alpes, nous surprendrons un adolescent à son réveil et nous recueillerons les confidences d’un ethnologue remontant le rio Machado à la rencontre des indiens Tupi-Kawahib. Puis, mais vous l’aviez deviné, nous partirons pour la Chine lointaine afin de tenter un parallèle entre ces expériences et celle des sages chinois qui se sont essayés à ce qu’ils ont nommé « la culture de soi ». Ce sera aussi l’occasion de chercher et de présenter de beaux textes qu’ils soient français ou chinois, de belles calligraphies, de merveilleux tableaux et poèmes et peut-être de vous donner envie, de nous donner envie d’approfondir la connaissance de ces œuvres.

A suivre…

Françoise,
Jingping,
Weiyi,
Jean-Louis

dimanche 11 janvier 2009

LE COLORADO DE RUSTREL




Notre rendez vous pour nous rendre au Colorado de Rustrel le dimanche 25 janvier 09 est fixé à 9 heures 15 au métro La Rose ou pour ceux qui le désirent à 10 heures 45 au parking municipal de Rustrel.

Dans un 1er temps nous emprunterons le sentier bleu dit des cheminées de fées
Ensuite nous ferons le tour du Sahara (balisage rouge)
Dans un troisième temps nous nous rendrons au cirque de Barriès en passant par la cascade (balisage vert).
Et enfin nous terminerons par le désert blanc (balisage blanc).

Bien sûr nous mangerons sur place donc prévoir un pique nique dans un sac à dos,
Suivant où nous mangerons il serait bon de prévoir un sac plastique ou quelque chose d’approchant pour se protéger du sol parfois humide et manger dans des conditions optimales.
La ballade est facile et le paysage est GRANDIOSE alors n’hésitez pas à vous joindre à nous pour une journée où nous savourerons tous ensemble la nature de notre chère planète.
Petit conseil que vous connaissez par cœur maintenant : c’est l’hiver alors bien se couvrir et ne pas oublier de mettre des chaussures adéquates, chaussures de marche conseillées ou au pire de sport.

A dans quinze jours donc.
Vive notre amitié !
Vive Chinafi !

Nicole

jeudi 8 janvier 2009

Anne sous la neige




Anne coincée dans sa maison par la neige. Vous imaginez la "pauvre"...
On a du mal à reconnaitre le parc où l'on a passé de si bons moments ...
De la part d'Anne la "sinistrée" de Bouc Bel Air

St Zacharie sous la neige


Ste Baume sous la brume et la neige


une verticalité pas si verticale...
Le jour d'après...


Gwen





PARTICIPATION AU CONCOURS







Comme l'a proposé Jean Louis je publie ici les photos du Bd Ararat à Saint Jérome prises également le 07-01-2009 (1 mois avant notre grande fête du nouvel an chinois)



oui c'était merveilleusement beau !



j'ai beaucoup apprécié le calme feutré rendu par le paysage enneigé

Nicole

Des masques et des noms

Bronze Shang







Peintures faciales des femmes Caduveo


Peinture représentant un ours, Canada, Indiens Haida



Dans un texte déjà ancien publié pour la première fois en 1944 et intitulé « le dédoublement de la représentation », Claude Lévi-Strauss met en correspondance des bronzes de la Chine archaïque, des peintures corporelles observées sur les visages des femmes Caduveo (société indienne du Brésil central) et divers objets d’art provenant des indiens de la Colombie britannique.
Ces œuvres sont très belles et le seul fait de les contempler nous transporte au pays des rêves et dans un monde fabuleux. Avec elles Lévi-Strauss nous emmène dans le pantanal brésilien, un des plus grand marécage du monde, territoire des Caduveo, il nous invite ensuite à remonter le temps pour contempler les bronzes de la dynastie des Shang comme on peut les voir au musée de Shangaï, puis nous transporte sur les zones côtières de la Colombie Britannique là où les sommets enneigés des montagnes rocheuses se jettent dans la mer en face de l’Ile de Vancouver ou des Iles de la reine Charlotte.
Mais quel est le point commun à ces œuvres ? C’est d’offrir une représentation dédoublée c'est-à-dire des motifs semblables s’opposant en deux moitiés affrontées autour d’un axe médian comme sont dans un rapport symétrique les deux moitiés d’un visage (yeux, oreilles…) ou d’un masque. Le point commun de toutes les sociétés considérées est, en effet, que ce sont des sociétés à masques.

Bien sûr les masques existent dans toutes les cultures et Claude Lévi-Strauss nous rappelle plaisamment que « dans cosmétique, il y a cosmos ; et ce n’est pas un hasard si le mot masque a pu s’introduire dans le vocabulaire des instituts de beauté…en se faisant coiffer, en masquant son visage de crème, de poudre et de colorants divers, en rectifiant, à l’aide du pinceau et du crayon, des traits irréguliers pour leur conférer un style, l’élégante exécute, sans le savoir, sur sa figure – univers en miniature – les gestes du démiurge, organisateur du cosmos, destructeur des monstres, introducteur des arts de la civilisation. »

Toutefois, les masques occupent une place particulière dans les cultures dont Claude Lévi-Strauss nous présente les objets. Leur fonction est très souvent magique. Ainsi dans la Chine ancienne on mettait des masques sur le visage des enfants pour détourner d’eux les maladies. Il est intéressant de noter que ce caractère magique se rencontre dans les noms et encore aujourd’hui on donne parfois aux enfants des noms dépréciateurs (petit cochon, vilain canard…) dans le même objectif.
La fonction des masques dans les sociétés considérées est également d’assurer le passage du surnaturel au social. Le point commun de ces cultures est d’accorder une place importante aux généalogies, aux lignées, à l’ancestralité : les masques représentent l’ancêtre. « Les masques à volets, qui présentent plusieurs aspects de l’ancêtre totémique, tantôt pacifique, tantôt irrité, tantôt humain et tantôt animal, illustrent de façon frappante le lien entre le dédoublement de la représentation et les masques ». Le surnaturel est destiné avant tout à fonder un ordre de castes par la préséance des généalogies. Les peintures corporelles ont pour objet de graver non seulement sur le corps mais dans l’esprit les traditions de l’ethnie.

Claude Lévi-Strauss, à notre connaissance, a rarement parlé de la Chine. Pourtant sa pensée et celle de certains auteurs français comme Michel Foucault, offre parfois des points de convergence très curieux avec la pensée chinoise.
Il raconte que, lorsqu’il était adolescent, ses parents avaient acheté une petite magnanerie dans les Cévennes. De là il s’élançait pour d’excitantes randonnées de nuit à l’assaut du mont Aigoual. Un de ses grands plaisirs, avec ses amis, était de donner comme objectif à ses randonnées le suivi d’une ligne de fracture géologique.

Le petit article que nous vous avons présenté aujourd’hui est un avant propos à une série d’autres où nous vous proposerons une randonnée dont « la ligne de fracture géologique » sera de considérer les points de convergence que l’on peut trouver entre certains courants de la pensée française dont le trait commun est de n’être pas des « philosophie du Sujet » et certains aspects de la pensée chinoise ou orientale, notamment le bouddhisme et le taoïsme.
Nous essayerons de faire en sorte que cette randonnée soit aussi excitante et nous fasse découvrir des choses aussi fabuleuses et mystérieuses qu’une randonnée de nuit dans les forêts et les montagnes de la Sainte Baume.


A suivre,
Françoise
Jingping
Weiyi
Jean-Louis