mercredi 24 juin 2009

L'envers du décor


Jia Baoyu rend hommage à Nuée d'Azur devenue déesse des hibiscus

Le Rêve dans le Pavillon Rouge nous présentent de somptueuses descriptions d’appartements et de vêtements appartenant aux familles nobles mais il décrit aussi l’envers du décor c'est-à-dire la dure condition réservée aux faibles : les paysans, les femmes et parmi celles-ci surtout les femmes mal mariées et les servantes.

L’essentiel du roman se passe dans un monde protégé : la fastueuse maison des Jia et plus particulièrement, à l’intérieur de celle-ci, dans le jardin aux sites grandioses où le temps se passe dans l’insouciance à composer des poèmes : «C’est une contrée resplendissante et prospère, au foyer d’une famille aristocratique de lettrés, fastueux domaine où abondent les fleurs et les saules, terroir de douceur, de richesse et d’honneurs.
Les fleurs purent aussitôt s’accrocher aux ceintures brodées, et les saules balancer des parfums dans la brise. »

Pourtant à de rares occasions les héros quittent cet univers protégé. C’est l’occasion pour eux de découvrir un monde étrange, le monde des paysans et du travail : Jia Baoyu, se trouvant dans une ferme, découvre avec surprise les instruments agricoles.
« Les instruments dont usent les fermiers lui étaient inconnus : bêches, pioches, houes et charrues qu’il apercevait lui paraissaient tous étranges ».

Il découvre le dur labeur qu’a pu coûter chaque grain de riz.

Une autre catégorie à laquelle va toute la sympathie de l’auteur ce sont les femmes mal mariées et les servantes.
Le drame des femmes mal mariées préoccupe manifestement Cao Xueqin. Il l’évoque à plusieurs en décrivant la triste condition de Parfum de Corniole, de la Deuxième des Demoiselles Printemps ou de la Deuxième Née des sœurs You qui doivent subir les violences d’un mari et de sa famille ou la jalousie de la première épouse.

Cao Xueqin décrit souvent avec beaucoup d’émotion le monde des servantes. Tous les membres de la famille sont entourés d’une foule de servantes et de petits valets qui constitue leur maisonnée. Dans une famille, comme celle des Jia, les serviteurs sont plutôt bien traités. Mais ce sont des esclaves et leur sort dépend du bon vouloir de leurs maîtres.

Une servante de Jia Baoyu, Nuée d’Azur, est chassée du parc car la mère de Jade la considère comme une renarde enjôleuse. Elle est malade et va mourir. Le jeune garçon va lui rendre visite chez des parents où elle a trouvé refuge. Et là, loin des fastes des appartements princiers, nous découvrons, par ses yeux de jeune seigneur, l’intérieur d’une maison pauvre.

. Il voit Nuée d’Azur couchée sur un grabat. Elle lui demande du thé.
« - Où y a-t-il du thé ? demanda précipitamment le jeune garçon en essuyant ses larmes.
- Là-bas répondit Nuée d’Azur ; sur le bord de ce petit poêle.
Le frérot Jade y jeta les yeux et vit en effet une sorte de cruchon de terre brune, mais qui ne ressemblait aucunement à une théière. Il ne s’en munit pas moins d’un bol, posé sur une table, qui lui parut énorme, fait de la matière la plus grossière, et qui n’avait rien de commun avec une tasse de thé. Mais à peine l’eut-il pris en mains, qu’il sentit lui monter aux narines une puanteur de graisse rance. Il jugea nécessaire de le laver à deux reprises dans un peu d’eau, puis de le rincer encore, avant de l’emplir à moitié du liquide rougeâtre que contenait le cruchon, et qui n’avait, à ses yeux, aucune ressemblance avec le thé…Tenant à s’assurer par lui-même de la qualité de ce breuvage, le jeune garçon se décida à y goûter le premier du bout de la langue. Il n’y trouva nulle trace ni du pur fumet ni de la délicate saveur, qu’une certaine âcreté rappelait seule, et bien vaguement, au goût. Cette expérience faite, il tendit ce bol à son infortunée soubrette, qui s’en saisit comme s’il eût contenu le vrai nectar de suave rosée, et le vida d’un seul trait. A cette vue, il ne put retenir les larmes qui lui brouillaient les yeux.»


Le contraste est saisissant avec les chambres où il dort habituellement et où « au milieu d’une haute, étroite, et longue table de santal pourpre à dragons sculptés, était exposé un antique chaudron tripode de bronze à patine, haut de plus de trois pieds. Au mur du fond était suspendue une grande peinture sur lavis figurant un dragon « dans l’attente, à la clepsydre, de l’heure de l’audience matinale ». D’un côté du chaudron, un vase à libation d’or ciselé ; de l’autre, une grande coupe de verre. Sur le sol, répartis en deux rangs opposés, seize fauteuils de bois de cèdre à dossiers légèrement arrondis ».
Nuée d’Azur va mourir et Jia Baoyu voudra croire à l’histoire que lui raconte une autre de ses servante : Nuée d’Azur a été appelée par l’empereur de Jade pour devenir la déesse des hibiscus.

Jean-Louis

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