mercredi 30 janvier 2008

Contre François Jullien de J.F. Billeter

1. La Chine

Billeter commence son ouvrage par remarquer que l’œuvre de François Jullien (FJ) est fondée sur le mythe de l’altérité de la Chine.

La lignée de F. Jullien.

Il se propose de déterminer l’origine de ce mythe et donc d’établir la « lignée » de FJ, en remontant dans le temps.

• Au 20ème siècle. Pour Victor Segalen la Chine est l’Ailleurs par excellence. Dans son ouvrage « La pensée chinoise », Marcel Granet a accrédité l’idée d’un univers chinois obéissant à des lois qui lui seraient propres. Richard Willhelm par sa traduction du livre des mutations a produit un effet comparable. Simon Leys (Pierre Ryckmans) a souvent redit que la Chine est l’autre pôle de l’expérience humaine (« la Chine est cet autre fondamental sans la rencontre duquel l’Occident ne saurait devenir vraiment conscient des contours et des limites de son Moi culturel »)

• Au 18ème siècle. Voltaire fait de la Chine une image inverse du régime qu’il combattait à savoir une image d’une Chine philosophique, celle des lettrés philosophes censés être les porteurs de la pensée chinoise. Cette « Chine lettrée » plait aux intellectuels notamment français car de fait ils peuvent être identifiés à une sorte de mandarinat laïque.

• Au 16ème siècle. Par une ironie de l’histoire, ce sont les ennemis de Voltaire, à savoir les jésuites, qui sont les auteurs de cette Chine « autre ». En effet ils cherchaient à convertir l’empire chinois par le haut. Il leur fallait donc donner une idée favorable de ce pouvoir impérial.

• Ce sont les mandarins eux-mêmes, grands commis de l’état, qui ont inspiré les jésuites et qui leur ont transmis leur vision du monde. Les jésuites ont colporté en fait une pensée idéologique.

L’empire est né en 221 avant JC et, pour perdurer, a instrumentalisé la culture, a fabriqué une pensée faite pour qu’il soit considéré comme naturel, conforme à l’ordre des choses, typiquement chinois. Le passé pré impérial a lui aussi été réinterprété pour qu’il devienne aussi partie intégrante de ce nouvel ordre.

Les positions modernes par rapport à l’empire

Après la chute de l’empire en 1911, les intellectuels et les hommes politiques ont dû se déterminer par rapport à l’ancien système. On peut dégager de ces nombreux débats qui ont agité la Chine du 20ème siècle 4 grandes positions.

• Les « iconoclastes » rejettent totalement la civilisation chinoise liée au pouvoir impérial qu’ils détestent. (Chen DuXiu)
• Les « critiques » font une analyse détaillée et historique de l’empire pour se libérer de l’emprise de ce dernier sur la pensée (Gu Jiegang, Li Dongjun). Ils oeuvrent en faveur de la démocratie.
• Les « comparatistes » redéfinissent une entité chinoise en opposition avec l’entité occidentale (Feng YouLan). Ils s’accommodent du système actuel.
• Les « puristes » prônent le retour aux sources et font l’apologie d’une forme idéalisée de l’ancien système (Qian Mu, Mu Zhongjian). Ils correspondent aux forces conservatrices.


Billeter fait un résumé de l’étude de Li Dongjun, (« Canonisation de Confucius et révolution confucianiste », 2004) du courant critique, qui analyse le système de représentations mis en place pour assurer la pérennisation du régime impérial et qui paralyse encore aujourd’hui l’esprit des vivants, ce confucianisme impérial ayant peu à voir avec la pensée originale de Confucius. Selon Li Dongjun la Chine n’est pas encore sortie de ce système car elle n’a pas donné la primauté à l’individu.

Billeter place FJ dans le courant des comparatistes. Il lui reproche de s’être inspiré des écrits de Mou Zongsan et de Xu Fuguan pour échafauder une opposition entre pensée chinoise (pensée des lettrés) et pensée occidentale (pensée grecque), ce détour par la Chine devant permettre un retour sur nous-mêmes. Il lui reproche aussi d’avoir pris Wang Fuzhi pour représentant de la pensée chinoise ce qu’il n’est pas. Billeter pense qu’on peut faire par exemple un rapprochement entre la pensée de Wang Fuzhi et Montesquieu. Billeter reproche à FJ sa méthode qui consiste à poser à priori que l’Occident et la Chine sont deux mondes différents et d’aller ensuite choisir dans les écrits des éléments qui confortent l’hypothèse de départ. Billeter pense qu’il est possible de faire d’autres choix de textes qui peuvent révéler non pas des différences mais des analogies. On peut même faire des rapprochements : entre l’ésotérisme européen et le taoïsme, entre Cicéron et Wang Chong.
Une autre grave conséquence du travail de FJ est de construire deux histoires parallèles en négligeant les problématiques internes à chacune d’elles, même s’il y a eu moins de problématiques du côté chinois à cause du régime impérial. Par ailleurs, les différences qu’il y a entre les traditions philosophiques françaises, allemandes ou anglaises, montrent qu’il est difficile de parler de « la pensée occidentale ».

Billeter pense que FJ a influencé ses lecteurs sur une pensée chinoise trop éloignée de la leur et de les renvoyer à leur identité d’Occidentaux, et faisant de ce fait le jeu des forces de la restauration idéologique chinoise.

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