mercredi 23 janvier 2008

Zi Wo



Zi Wo : Le Sujet

En écho à l’article d’Olivier voici une petite réflexion sur le JE, le Sujet.
Depuis, au moins, le Cogito cartésien, le Sujet, le Je occupe une place centrale dans les cultures occidentales. Je pense donc je suis, je parle, j’écris, je peint. Cela nous semble tellement évident que nous avons du mal à concevoir que l’on puisse considérer les choses d’un autre point de vue.

Pourtant certaines civilisations ont exploré d’autres voies. JMG Le Clézio dans Haï, un livre où il évoque sa rencontre avec le monde amérindien écrit : « Tu peux affirmer, si cela te fait plaisir que c’est toi qui penses ou qui te déplaces, mais tu peux aussi dire que c’est la Nature qui pense et qui se déplace à travers toi. »
Nous avons vu que les peintres chinois abandonnant leur « Je » devenaient le bambou qu’il peignaient. Voici un poème de Su Shi (Su Dongpo) :
«Lorsque Yüke peignait un bambou,
Il voyait le bambou et ne se voyait plus.
C’est peu de dire qu’il ne se voyait plus;
Comme possédé, il délaissait son propre corps.
Celui-ci se transformait, devenait bambou
Faisant jaillir sans fin de nouvelles fraîcheurs.
Zhuangzi, hélas, n’est plus de ce monde !
Qui conçoit encore un tel esprit concentré ? »

Zhuangzi dans une phrase célèbre disait « Je ne sais pas si je suis le papillon ou si le papillon est moi ».
Cette recherche d’une fusion avec les diverses manifestations de la Nature explique que les peintres chinois se soient moins intéressés à poursuivre la ressemblance qu’à tenter de restituer l’essence interne des choses. Christian Garcin le souligne dans un numéro spécial de Télérama consacré à Cézanne « Car j’ai pensé alors que, comme pour les Chinois, le but de Cézanne n’était pas de reproduire l’aspect extérieur des choses (qu’elles soient pomme, montagne ou personnage), mais d’en saisir les lignes internes qui, elles, sont constantes, et de fixer les rapports obscurs, essentiels, qu’elles entretiennent entre elles. »

Dans cette conception l’artiste n’est plus tant un Sujet créateur que le vecteur, l’organisateur des forces à l’œuvre dans l’univers. Yolaine Escande nous explique « D’un point philosophique, cela correspond à une création qui se produit d’elle-même, c'est-à-dire sans l’intervention de l’artiste, qui se contente de canaliser une énergie à l’œuvre dans l’univers. Néanmoins, l’artiste qui doit être un lettré, ne pet saisir cette énergie que s’il parvient à un certain état d’esprit, s’il est détaché des contingences matérielles en faisant le vide en son cœur ; c’est dans cette mesure qu’il s’apparente au sage »

JMG Le Clézio dans l’ouvrage cité plus haut nous décrit l’émotion que l’on peut éprouver en abandonnant, pour un moment son « Je » : « Il faudrait parler de cette expérience comme on parle de la mer, par exemple. Elle était là, on la côtoyait tous les jours, on la regardait, on y pensait, mais on ne savait pas ce qu’elle voulait dire. Mais la mer, elle, savait. C’était elle qui entourait les villes, elle qui organisait les pensées des hommes, qui réglait ses musiques, ses tableaux et ses poèmes. Et non l’inverse. Comment imaginer cela ? Quand on se servait des mots du langages, et qu’on les alignait sur la feuille blanche, on ne s’en doutait pas, mais ce qu’on alignait, c’étaient des coquillages. Ce qu’on découvre, un jour, comme cela, rien qu’en étant assis sur un rocher devant la mer, vous comprenez, c’est que l’expérience des hommes est incluse dans l’expérience de l’univers…Cela veut dire que le langage est une expression de l’univers modifiée par la bouche des hommes, un langage interprété en quelque sorte, dont l’original restera toujours sans traduction. »

En considérant les choses du point de vue d’autres cultures, nous nous rendons compte que les notions qui nous paraissent évidentes, ici le Sujet, le Je, ne le sont en fait pas. Mais en sortant de l’évidence, en voyant les choses d’un point de vue externe, nous pouvons en même temps mieux comprendre nos propres notions.
C’est ce que l’on peut espérer de l’étude d’autres cultures : un enrichissement mutuel, une meilleure compréhension et d’abord de nous-mêmes et comme nous en formulions le souhait, au début de cette série d’articles, plus de tolérance réciproque.


Tout cela est bien intéressant. Il y aurait encore tant à dire sur ce thème. Maisje pense qu'Olivier y reviendra longuement. C'est bien d'aborder les sujets par touches successives qui se complétent et se précisent peu à peu. Pour relier cet article avec le débat sur l’altérité : un sujet de réflexion que nous offre Rimbaud : « Je est un Autre ».

A suivre,
Jean-Louis

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