Leçon 2 : les régimes de l’activité
Dans cette leçon, Billeter s’intéresse aux textes de Zhuangzi qui parlent de « changement de régime de notre activité ». Ces changements de régime correspondent aux moments où notre conscience naît ou expire comme par exemple l’endormissement ou l’ivresse. Même si certains auteurs occidentaux ont abordé ce sujet (Montaigne, Proust, Julien Gracq) ces états ont en général reçu peu d’attention de la part de la littérature ou de la science. Ces états transitoires permettent, selon Zhuangzi, un passage du « régime de l’humain » vers « le régime du ciel ». Le « régime de l’humain », considéré comme inférieur correspond à l’intentionnel et « le régime du ciel », considéré comme supérieur, correspond au spontané, au nécessaire. Selon Zhuangzi, notre « esprit » est la cause de nos errements tandis que notre « corps », considéré comme la totalité de nos facultés et ressources connues ou inconnues, est notre grand maître.
Ainsi le cuisinier Ting de la leçon précédente, au fur et à mesure de son apprentissage, passe du régime de l’humain vers le régime du ciel.
Ainsi le texte de Zhuangzi « Ce que j’appelle apprendre, c’est apprendre ce qui ne s’apprend pas. Ce que j’appelle agir, c’est accomplir ce qu’on ne peut accomplir [volontairement]. Ce que j’appelle discerner, c’est discerner ce qu’on ne peut discerner [intentionnellement] » prend tout son sens dans cette optique.
Billeter remarque que dans certains textes ce « changement de régime » est rendu par le terme 忘 wang (oublier). « Ah! si je connaissais un homme qui oublie le langage pour avoir à qui parler ! » dit Zhuangzi.
Toutefois, lorsque l’on se trouve dans le « régime du ciel », nos gestes sont effectués de manière quasi automatique et la conscience se trouve en quelque sorte libérée et redevient disponible. Elle peut alors se tourner ailleurs sans que l’action s’interrompe et peut notamment observer l’activité en cours. Ce régime d’activité dans lequel notre conscience, dégagée de tout souci pratique, se fait spectatrice de ce qui se passe en nous est au cœur de la pensée de Zhuangzi, comme celle aussi de Spinoza. Ce régime est traduit par Zhuangzi par le verbe 游 (you) : se promener, se ballader.
Tout ce qui précède étant posé, Billeter donne à lire le texte de Zhuangzi relatant les échanges entre 4 personnages (Grande-Pureté, Sans-Fin, Sans-Rien-Faire et Sans-Commencement) dans lequel se trouve exposé le « paradoxe de la subjectivité » car s’il est vrai qu’on ne peut ni comprendre ni transmettre les formes supérieures d’activité par le moyen du discours (le régime du ciel), on peut néanmoins la connaître en poussant la maîtrise jusqu’au point où la conscience se fait spectatrice de l’activité.
Dans ce chapitre Billeter fait une digression dans laquelle il observe qu’il y a eu dans la sensibilité allemande (Kleist, Lichtenberg, Luther) une disposition favorable à des réflexions de ce type.
vendredi 18 janvier 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
1 commentaire:
J'ai lu cet été les leçons sur Zhuangzi de J-F Billeter. Le résumé qu'en donne Olivier est très fidèle au livre.
J'apprécie l'honneteté de la démarche qui consiste à donner à chacun les éléments pour se faire une opinion.
Le verbe You signifie aussi, je crois, nager. On reconnait d'ailleurs la clef de l'eau et un petit bonhomme qui nage.
Ne retrouve t-on pas cet arrêt de "l'intentionnalité" dans l'écriture automatique des surréalistes et dans la notion de poignet vide en calligraphie.
Je pense développer cette notion dans un prochain article.
Aborderas tu Olivier la différence ente culture et pensée chinoise ?
Jean-Louis
Enregistrer un commentaire