5. Traduire
Le questionnement sur l'éventuelle altérité pose le problème de la traduction et de la manière de la concevoir. Deux conceptions de la traduction s’opposent. Soit, comme Billeter le propose, on traduit de manière à ce que le résultat soit familier et naturel. Traduire est dans ce cas, une opération de rapprochement avec ce que l'on connaît déjà. On peut alors se demander ce qui se perd peut être du sens originel du texte. Soit, comme Jullien, on traduit en laissant entendre un dérangement possible au sein du texte d'arrivée. Jullien s'impose trois règles de vigilance. 1. Rester au plus près du texte de départ quitte à devoir accepter une certaine rugosité. 2. Commenter et critiquer la traduction première pour rattraper et corriger ce qu’elle a laissé perdre du texte originel. 3. Indiquer dans un glossaire les principales expressions chinoises. C'est de cette façon qu'il pense éviter l'occidentalisation du texte chinois.
Jullien reprend l'exemple de la phrase que Billeter traduit par «le dao doit avoir un but précis». Or, selon Jullien, la pensée du dao n’est pas conçue en fonction d’un but. Billeter a projeté abusivement la notion de but dans les textes chinois et notamment le but oppressif, là où, selon Jullien, il n’y a que conformisme. Par ailleurs, même si cette notion de but n'apparaît pas dans les textes chinois, cela n’empêche pas Jullien de poser la question (occidentale) de la finalité et de juger la pensée chinoise de ce point de vue, notamment dans ses effets politiques. Jullien écrit dans «La propension des choses» à propos de la position d'autorité du prince : «son fonctionnement, polarisé sur le prince, ne peut déboucher sur aucune autre finalité transcendante à l'appareil que celui ci incarne et devient dans sa logique même, parfaitement monstrueux».
Jullien reprend le texte de Zhuangzi sur l’avènement de la vie. La traduction de Billeter «quelque chose qui avait d'abord existé dans l'indistinction première s'était transformé en souffle» est critiquée par Jullien dans la mesure où il utilise l'expression «quelque chose» qui renvoie à la question occidentale de la Création. Jullien propose alors la traduction suivante : «au sein de la confusion et de l'indistinction, par modification, il y a du souffle» traduction qui éclaire le phénomène de la vie comme un pur processus.
Jullien reproche aux traductions de Billeter, de souvent utiliser le mot «acte» alors qu’il faudrait plutôt utiliser le mot «conduite».
Jullien discute ensuite de la manière de traduire la fameuse formule taoïste : «无为而不无为 wu wei er wu bu wei». Là où Billeter propose la traduction «qui ne force rien peut tout», Jullien propose plutôt : «ne pas agir mais/d'où ne pas non agir». Jullien reproche à Billeter d'avoir abandonné la symétrie de la phrase, symétrie que l'on rencontre beaucoup en Chine sur les chambranles des portes, dans la poésie, dans le vocabulaire (东西dongxi).
Jullien revient sur la critique de Billeter sur la traduction du Huainanzi. Il s'étonne que Billeter reproche aux traducteurs de ne pas avoir traduit invariablement le mot « 道 dao » par le seul mot de« nature » alors qu'il reprochait l'inverse à Jullien dans ses traductions. Ce n'est pas, selon Jullien, parce qu'une traduction laisse entendre un écart de pensée, qu'elle conduit à la formation de deux mondes opposés.
samedi 1 mars 2008
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