lundi 10 mars 2008

"Chemin faisant" de F. Jullien

7. Conditions : embranchements, recoupements, ressources

Jullien ne renonce pas à l’exigence d’universalité mais elle ne doit pas se poser au départ, elle aussi doit se construire. Pour montrer cette exigence qu'il y a à travailler, Il prend l'exemple de deux notions que l'on pourrait imaginer poser au départ comme faisant "pont" entre l'Occident et la Chine : la notion de «vérité» que l'on pourrait croire universelle n’est pas une notion chinoise, même si certaines écoles (mohistes tardifs) l’ont approchée. De même la notion de «bonheur» ne peut non plus faire pont avec la Chine, pour qui la sagesse s’appuie davantage sur les notions de disponibilité, de viabilité, que sur la notion de bonheur.

Jullien reconnaît toutefois qu’il y a bien une « communauté du pensable » entre les anciens chinois et nous. Les textes chinois comme les textes grecs sont intelligibles. Pour les comprendre, pas besoin de se convertir ni de se siniser mais d’être patient (lecture des commentaires). Il y a un même tissu intellectif entre les deux pensées et il dénonce les termes naturalisant du genre « c’est du chinois », « esprit chinois », « âme chinoise », « mentalité chinoise ». S'il y a hétérotopie des deux mondes, il y a aussi la capacité dialogique de l’esprit.

La sinologie ne doit pas se limiter à ranger du savoir mais aussi s’ouvrir à l’intelligence de cet ailleurs. Par exemple les concepts de « compréhension » et de « cohérence » sont particulièrement favorables à la rencontre des deux pensées. Il est aussi possible pour les sinologues de reprendre une notion telle que l’immanence mais à condition de la retravailler. En effet, la pensée chinoise, si elle est bien centrée sur l’immanence s’est aussi ouverte à la notion de transcendance, celle-ci étant vue davantage comme une totalisation de l’immanence.

Ce travail doit amener la sinologie à décrire des «embranchements» de pensées ainsi qu’à repérer des «recoupements» de pensées. Un exemple d’embranchement par exemple est la séparation entre « pensée de l’Etre » et « pensée des processus ». La notion de Dieu que la Chine archaïque a développé a été peu à peu délaissée. La notion de transformation du monde à partir des contraires corrélés et s’engendrant, est aussi présente chez les grecs mais s’est développée en un développement de «l’essence». Il existe aussi des recoupements entre les deux pensées. Par exemple on retrouve des cohérences stoïciennes dans la pensée de la Chine ancienne. N’y a-t-il pas d’ailleurs une dimension universalisante du stoïcisme ? La notion d’allusif émerge par ailleurs dans le romantisme allemand.

Ce que doit faire la sinologie et c’est aussi la vocation de la philosophie, c’est d’ouvrir un écart et de faire travailler cet écart : on ne devient philosophe que si l’on s’écarte de ses prédécesseurs. Jullien en appelle de plus à délaisser la métaphysique pour déployer à la place ce qu’il appelle un «auto réfléchissement de l’humain».

Par ailleurs, la mondialisation théorique ayant enfoui depuis plus d’un siècle la pensée chinoise sous la pensée occidentale, Jullien pense qu’il y a danger à recouvrir trop hâtivement les différences entre les cultures.

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