6. La construction de l’altérité : pour un lexique euro-chinois de la pensée
Après avoir exposé sa façon de travailler, Jullien aborde dans ce chapitre le fond de la question : celle de l'altérité. Il commence par rappeler les deux positions sur l'altérité. Celle de Billeter qui pose le principe du «fond commun» et celle de Ryckmans qui pose le principe du «totalement autre». Jullien note que ces deux positions apparemment opposées se rejoignent dans la méthode, celle de poser un principe au départ.
Mais, se demande Jullien, quelle est la nature du fond commun de Billeter ? N'est ce pas sa traduction occidentalisée qui le fait apparaître ? D’où viendra l'apparition spontanée des différences ? De même, d'où vient cette configuration de départ (deux cultures différentes) proposée par Ryckmans ? N’y a-t-il pas d’autres cultures au monde ?
Jullien rappelle qu'il ne pose pas de principe au départ. Il commence par constater que la Chine est ailleurs, ce qui ne veut pas dire autre ou différent. Pour la découvrir il faut se déplacer alors que si l’on présuppose (le différent ou le commun), on intègre déjà la Chine dans sa pensée. Ensuite il faut travailler pour produire la réponse à la question posée. C'est ainsi qu'il s'est livré, tout au long de ses ouvrages, à une construction progressive de l'altérité par la méthode suivante : lecture du texte chinois, en dégager une question dont l'enjeu est commun avec la pensée occidentale, mise en évidence (ou non) d'un «clivage». Jullien se défend de poser des contraires mais fait jouer un effet de contraste entre les deux pensées afin qu'elles s'éclairent mutuellement. Il reprend alors tous les points abordés dans ses ouvrages et expose les clivages qu'il a pu dégager entre les deux pensées.
Clivage relatif à l’art de la guerre : efficacité/efficience.
Clivages relatifs au discours : imitation/déploiement, inspiration/incitation, persuasion/influencement, frontal/oblique, symbolique/allusif, dire quelque chose/dire au gré.
Clivage entre une pensée de l’être et une pensée du processus : essence/capacité, substance/polarité, causalité/immanence, présence/prégnance, sens/cohérence, révélation/régulation, éternel/sans fin, distentionnel/transitionnel.
Clivages philosophie/sagesse : connaissance objective/ connaissance processive, généralité/globalité, liberté/ spontanéité, nourrir son âme/nourrir sa vie, bonheur/viabilité.
Clivages sur la morale : règles/régulation, volonté/ténacité, sincérité/fiabilité.
Clivages sur l’art : forme/transformation, ressemblance/résonance, modélisation/schématisation, composition/corrélation.
Jullien en est donc arrivé à produire un lexique euro-chinois de la pensée. Ce lexique, dit il, n’est pas traduit mais produit, ensuite il s’énonce en français (avec un travail d’ouverture de la langue à l’extériorité), il s’organise en réseaux dont les entrées se répondent et tissent entre elles leurs cohérence et enfin il se retourne car il peut mettre en lumière des altérités internes (l'art moderne occidental par exemple).
vendredi 7 mars 2008
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