dimanche 2 mars 2008

Tian


Tian, Ciel

Evoquant le culte des Ancêtres, Anne Cheng souligne la continuité entre le monde des vivants et le monde des morts.
Les Ancêtres : « en tant que membres d’une communauté familiale et par delà les frontières entre vie et mort, continuent à jouer un rôle au sein de cette communauté et leur statut dans la parenté garde toute son importance. Il y a continuité entre les sacrifices proprement religieux dus aux Ancêtres et les codes rituels à respecter à l’égard des vivants. Le culte des Ancêtres manifeste le groupe de parenté comme le paradigme de l’organisation sociale. »
L’organisation sociale est intégrée dans la vision d’un ordre familial sur lequel de fonde toute harmonie.
Ainsi s’explique, sans doute, que « pays » en chinois se dise « guojia », littéralement pays famille, pays maison et que les gens se saluent par oncle, grand frère, petite sœur, même s’ils n’ont aucun lien de parenté.

Sous la dynastie des Shang (XVIII°-XI° siècle avant Jésus Christ) au dessus des mânes des Ancêtres qui remplissent semble t-il une fonction de médiation « les inscriptions oraculaires révèlent l’existence d’une croyance en l’existence d’une divinité suprême toute puissante commandant à l’ensemble de la nature et imposant aux hommes ses volontés : di ou shangdi, le souverain d’en haut » que les missionnaires chrétiens traduisirent par Dieu. Les derniers souverains des Shang s’attribuèrent l’appellation de di.
Lors de la transition dynastique des Shang aux Zhou (XI° - 256 av. Jésus Christ) « la documentation épigraphique révèle le caractère quasi systématique du glissement lexical de di (divinité suprême) à tian (Ciel) qui manifeste le passage d’une pensée religieuse à une pensée cosmologique. »
Mais comme le souligne Anne Cheng, « il est significatif qu’une des toutes premières élaborations de la pensée sue le Ciel ait eu un enjeu politique : en chine, l’aménagement de l’univers est aussi avant tout un aménagement de l’espace humain : ordre social et ordre cosmique se rejoignent…Ainsi l’exercice du pouvoir n’était plus l’apanage d’un seul et même lignage par simple transfert héréditaire. Le mandat du Ciel était susceptible de passer d’un lignage à un autre censé plus digne de gouverner. L’expression changement de mandat (geming), les Zhou furent les premiers à s’en prévaloir pour justifier le renversement de la dynastie précédente. » Notons que geming en est venu à traduire pour les penseurs progressistes du XIX° la notion de révolution.

Mais que recouvre la notion de Ciel ? Quelle est la différence entre la notion de Ciel et la notion de Dieu ?
Pour François Jullien, le Ciel n’appartient pas à un autre monde, à une transcendance par extériorité comme le Dieu biblique ou les idées platoniciennes. Le Ciel c’est « la totalité des processus en cours. » François Jullien précise que la transcendance par extériorité qui a d’abord épousé la notion de Dieu a pu, par la suite, revêtir d’autres formes : progrès, idéal, liberté… « La liberté, c’est un affranchissement par rapport au monde. Pourquoi la pensée chinoise n’a pas pensé la liberté dans sa tradition ? C’est parce que c’est une pensée de l’immanence. » Une pensée des processus dont le fils du Ciel doit garantir l’harmonie.
Le culte des Ancêtres, le Ciel sont la manifestation d’une continuité entre le celeste et l’humain.

Nous comprenons mieux pourquoi la pensée occidentale a privilégié certaines notions : Dieu, métaphysique, création, liberté et pourquoi la pensée chinoise en a privilégié d’autres Ciel, souffle Qi, processus, harmonie.

Dans les prochains messages nous tenterons de voir comment la pensée occidentale s’est incarnée dans la figure du philosophe et de l’intellectuel et comment la pensée chinoise s’est incarnée dans la figure du Sage et du lettré.

A suivre,
Jean-Louis

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