dimanche 10 mai 2009

Chronique d'une transformation annoncée.


Voilà quelque temps que j’ai terminé la lecture du « Rêve dans le pavillon rouge » et je me suis toujours promis de faire un petit article suite à cette lecture.
Il y eu une très belle et très complète conférence Chinafi sur ce sujet par le trio Yan, Daniel et Jean Louis et je me demande ce que je peux y rajouter. Toutefois, ce roman est si riche (plus de trois mille pages, nombreuses descriptions de personnages, de lieux, de mœurs et de coutumes ainsi que de nombreux poèmes) que chacun va y trouver des résonnances personnelles, retrouver une part de soi même.
Quand on vient de lire les romans chinois tels que « Au bord de l’eau », « La pérégrination vers l’ouest » et « Les trois royaumes », « Le rêve dans le pavillon rouge » est à la fois en continuité mais aussi en rupture avec ces romans classiques.
En continuité car chacun des romans précédents est une illustration d’un âge de la vie : enfance pour « La pérégrination », adulte pour « Au bord de l’eau » et vieillesse pour « Les trois royaumes ». Avec « Le rêve » c’est l’adolescence qui est illustrée de façon magistrale. On est aussi dans la continuité car on y retrouve un style de roman avec une succession de nombreux chapitres (parfois répétitifs), de nombreux poèmes, une interpellation directe du lecteur. Dans la continuité car chacun de ces romans par delà la répétition des chapitres, mettent en scène une transformation. Transformations politiques dans les « Trois royaumes », transformation (naissance vie et mort) d’un groupe de rebelles à l’empire, transformations géographiques dans « La pérégrination ». Pour « Le rêve » qui traite de l’adolescence, la transformation est bien entendu omniprésente.
En rupture aussi car, aux univers guerriers et valeurs essentiellement masculines des autres romans, on pénètre avec « Le rêve » dans un univers où les valeurs qui y sont reconnues sont exclusivement féminines. Le héros du roman d’ailleurs ne se plaît dans un monde peuplé de femmes et de jeunes filles et son passage dans une école avec d’autres garçons se solde par un échec.

Le roman peut se décomposer en deux grandes parties. La première partie (en gros les deux tiers du livre) raconte la vie dans la famille Jia, une famille d’un riche mandarin dans laquelle vivent de nombreuses jeunes filles entourant un jeune garçon (Jia Baoyu) qui se plait en leur compagnie. A première vue voici un univers qui ressemble au paradis, et vu à travers les yeux de Jia Baoyu, c’en est un effectivement. Des lieux magnifiques, une grande aisance de vie où chaque membre de la famille se voit octroyer domestiques, soubrettes et femme de chambre, un temps qui dure longtemps (et d’ailleurs le roman s’y attarde aussi), tout n’y est qu’insouciance. Il y va comme du temps de l’enfance. Comme ce serait bien si cet état pouvait se prolonger indéfiniment, mais ce serait aller contre la propension naturelle des choses à se transformer.
Et l’auteur du roman Cao Xueqin va s’employer à semer dans ce paradis des petits ferments de transformation. Ainsi le père de Jia Baoyu ne semble pas du tout accepter ce fils si efféminé au point même une fois de le faire sévèrement bastonner. Mais ce père est très occupé et donc il repart bien vite pour longtemps et la belle vie reprend son cours sous la protection de l’Aïeule.
De temps en temps, les protagonistes sont pris de très forts sentiments nostalgiques par rapport au temps qui passe, mais les larmes sèchent vite et les jeux de poésie reprennent bien vite. Le demi-frère de Jia Baoyu est issu d’une concubine et lui voue une haine féroce qui n’a d’égal que la haine de cette concubine pour l’épouse légitime.
Bien que riche, il faut malgré tout tenir les comptes et il n’est pas facile de concilier la réputation de la famille avec la trésorerie. Sans compter les nombreux intendants qui volent dans la caisse et les pots-de-vin qu’il faut verser pour corrompre les juges. Mais à force d’arrangements qui ne font pas que des heureux, on finit par boucler les fins de mois.

Après avoir mis les ferments dans la pâte ceux-ci vont faire leur effet et conduire à la chute de ce beau monde. La seconde partie raconte la fin de l’insouciance avec le mariage des jeunes, souvent contre leur gré, la disgrâce du mandarin et la perte des richesses. Jia Baoyu quittera définitivement ce monde de coutumes et de valeurs conventionnelles pour une recherche spirituelle.

J’ai souvent rencontré des lecteurs du « Rêve » qui voyaient dans cette œuvre un roman qui finit mal, dont ils auraient bien coupé la dernière partie, tout comme ils auraient coupé la dernière partie de « Au bord de l’eau » où la bande de rebelles commence à perdre des batailles, tout comme ils auraient coupé la dernière partie des « Trois Royaumes » où Zhu Ge Liang n’arrive pas à reconquérir le royaume du Wei. Je crois qu’il y a là un refus de la transformation des choses. Pourtant les états ne dont pas éternels et tout état porte en lui le germe de sa destruction (le langage chinois a même créé une particule spéciale pour le changement d’état). L’enfance n’est pas éternelle, la bande de « Au bord de l’eau » n’est pas éternelle, le régime impérial n’est pas éternel.
Quitter un état c’est toujours en redécouvrir un autre, c’est un horizon qui se dégage, un nouvel espoir. Après la pluie, le beau temps et vice versa, après l’adolescence vient l’âge adulte, après les préoccupations essentiellement matérielles viennent les recherches spirituelles. Voilà, à mon sens, le beau message d’espoir que Cao Xueqin a voulu transmettre dans son merveilleux « Rêve ».

Olivier

Pour ne pas faire trop long ici, je publierai dans de futurs messages quelques extraits du roman.

4 commentaires:

Nicole a dit…

Il faudra qu'un jour enfin je lise !!!

Dans les extraits à venir, se pourrait il que l'on trouve un passage adaptable en comédie musicale ?
En effet il s'agit là d'un projet de spectacle que j'affectionne tout particulièrement...

Jean-Louis a dit…

Enfin le premier des articles consacrés au Rêve dans le Pavillon Rouge que nous attendions.

Merci à toi, cher Olivier, de rappeler la conférence donnée par Yan, il y a environ deux ans à la préparation de laquelle Daniel et moi avions effectivement participé. Mais une chose est certaine c’est que nous n’avions certainement pas épuisé le sujet.

En Chine, bien sûr, mais aussi dans de nombreux autres pays, la réception du Rêve a donné lieu à d’innombrables commentaires; à ma connaissance cela n’a pas été le cas en France. C’est dire si tes articles seront les bienvenus.

En Chine, le Rêve dans le Pavillon Rouge est un véritable phénomène social. Soit par la lecture du roman, soit par les adaptations qui en ont été faites, presque tous les chinois connaissent les héros du Rêve, ont leur préféré et s’identifient à l’un d’entre eux. Pendant la préparation de la conférence, Yan m’a confié que ses camarades d’école l’identifiait à l’héroïne du Rêve : Lin Daiyu, ce dont elle n’était pas peu fière. Cher Olivier, je lui signalerai tes articles. Je pense qu’elle sera contente de les lire.

Tu indiques que beaucoup de lecteurs chinois déplore la fin un peu triste du Rêve. Je me souviens que c’était le cas de Yan qui pensait, d’ailleurs, que ce n’était pas la fin souhaitée par Cao Xueqin. En effet sur les 120 chapitres que comporte le livre, seuls les 80 premiers sont de cet auteur.

Tu soulignes avec raison qu’un des thèmes du roman est le caractère cyclique de la vie des hommes comme des sociétés.
Ce livre est un travail sur la mémoire, un travail contre l’oubli, sur le temps perdu qui file entre nos doigts : « Demeurant à présent en proie aux vents et aux poussières de ce bas monde, sans avoir, en rien réussi à rien, me revient brusquement le souvenir de toutes les filles ou jeunes femmes dont j’étais naguère entouré ; et je les découvre, en les comparant consciencieusement les unes aux autres et à moi-même que par leur comportement et leur discernement, elles m’étaient toutes supérieures…et je ne saurais …les laisser s’éteindre dans l’oubli. » Cette belle phrase souligne l’originalité du roman où les femmes sont de tous les personnages celles qui ont le plus de personnalité.

Comme le ferait les passionnés du Rêve et un peu par jeu, je me permets, cher Olivier de contester le qualificatif d’efféminé que tu attribues à Jia Baoyu. Certes celui-ci ne se plait que dans la compagnie des femmes. Il est fasciné par leurs parures, leurs cosmétiques (il y a des scènes savoureuses là-dessus). Il les aime profondément « les filles leurs sont faites de chair et de sang, les garçons sont faits de boue » (Je cite approximativement de mémoire, je n’ai pas retrouvé la citation exacte.) C’es un être en rupture avec son milieu (autre thème du roman) mais je ne l’ai pas vu comme quelqu’un d’efféminé.

Mais il est vrai que le livre est très ouvert ce qui donne lieu à de multiples interprétations. Je me souviens avoir eu une image positive de Xue Boachai (Grande sœur Joyau) que je trouvais raisonnable. Yan au contraire la voyait comme un personnage calculateur et froid incapable des sautes d’humeur, des caprices, de la passion inhérentes à la féminité.

Pou répondre à Nicole, de nombreux passages se prêtent à des scénettes parfois pleines d’humour. Je lui en parlerai de vive voix.

Olivier, nous attendons impatiemment la suite.

Jean-Louis

Jean-Louis a dit…

Je m'aperçois en relisant mon commentaire que j'ai fait de nombreuses fautes d'ortographe. Que l'on veuille bien m'en excuser. J'étais pris dans la passion de la réponse.
Tes articles, cher Olivier marqueraient-ils le début du Hong Xue en France ?
J'en profite pour apporter un petit complément à mon commentaire.

Tu parles de chapitres parfois répétitifs. Je parlerai plutôt de variations. Le livre est très bien construit et les thèmes sont amenés un peu comme des thèmes musicaux.
Par exemple le personnage de Jia Baoyu existe sous trois formes différentes : Baoyu lui même bien sûr, mais aussi son double et surtout l'histoire du Roc (Baoyu est l'incarnation de ce Roc) qui fut abandonné par la déesse Naguia alors qu'elle reconstruisait la voûte céleste (amorçant ainsi le thème de la rupture d'avec le milieu). A noter que cette histoire du Roc contient également le thème des oeuvres contenues dans le flux de la Nature, l'auteur déclare avoir trouvé le roman gravé sur le Roc (voir les articles sur l'effacement du Sujet).

Je voudrais enfin signaler que les poèmes du Rêve ont fait l'objet de nombreuses chansons toutes plus belles les unes que les autres. Plusieurs ont été mises sur le blog. La dernière l'a été sur l'article écrit à propos du départ de Yan il y a quelques mois. On pourra s'y reporter pour s'immerger dans l'ambiance du roman et apprécier le caractère du personnage de Lin Daiyu.

Jean-Louis

Olivier a dit…

Chère Nicole,
J'ai peur que les quelques extraits ne puissent servir de support pour une comédie musicale. Il faudrait pour cela reprendre le roman, choisir un passage, en faire une compilation. Bref c'est un travail !

Cher Jean Louis,
Je vois que ta flamme pour "Le Rêve" est loin d'être éteinte et ton commentaire prolonge et complète mon message. Sur le caractère de Jia Baoyu, je me suis mal exprimé : je voulais dire que c'est son père qui le voit comme un personnage efféminé. Comme toi, je vois Jia Baoyu comme un garçon qui aime profondément les femmes et qui surtout les aime de la manière dont elles aiment être aimées. Qu'importe l'âge, la position dans la famille ou le statut social, il est profondément attentif à la santé et à l'état d'âme de la femme avec qui il est en compagnie. Il peut s'émouvoir jusqu'aux larmes et assume parfaitement ce caractère devant les hommes de la famille.

Pour reprendre ton jeu, un petit tour sur wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cao_Xueqin

me montre qu'il n'existe aucune certitude sur le fait que la dernière partie de l'ouvrage ne serait pas de Cao Xueqin. Mais peut être as-tu d'autres sources ?