La chanson de l’olivier de San mao célébrant les voyages m’a fait penser à une réflexion de Claude Lévi-Strauss : l’anthropologie est un art de l’éloignement.
Je me suis demandé si mon intérêt pour les voyages, pour l’ethnologie et pour la pensée chinoise n’avaient pas un point commun : une sensibilité particulière pour cet art de l’éloignement qui est aussi un art de la mise en perspective où chaque pôle de la perspective tire sa valeur de son opposé.
La mise en perspective peut être provoquée par l’éloignement géographique qui permettra de mieux percevoir les singularités du pays dont on s’est éloigné. Fernand Braudel nous dit : « une semaine à Londres pour un français ne lui fera pas mieux comprendre l’Angleterre, mais il ne verra plus la France de la même manière. »
La mise en perspective peut résulter de la succession des étapes de la vie. Ainsi lorsque l’on est proche de la retraite on commence à considérer son activité professionnelle du point de vue de la retraite. Et une activité professionnelle qui fut peut-être parfois lourde commence à devenir précieuse lorsque l’on sait que l’on va la quitter.
La mise en perspective peut consister à faire surgir l’aventure ou le merveilleux dans le quotidien. Hergé en donne de nombreux exemples. On se souvient des premières vignettes de Tintin au Tibet. Tintin descend un petit chemin des Alpes pour rejoindre le confortable hôtel où il a sa chambre. Cette image d’un chemin modelé par l’homme depuis des générations avec un havre de paix à l’étape contient déjà même si elle en est l’opposé les sommets de l’Himalaya, leur nature vierge et hostile.
L’aventure qui surgit dans le quotidien c’est l’appel téléphonique que reçu Claude Lévi-Strauss un dimanche matin de l'automne 1934 par lequel Célestin Bouglé alors directeur de l’Ecole Normale Supérieure lui proposait de suivre Georges Dumas au Brésil, appel téléphonique qui devait décider de la carrière de l’ethnologue et qui fit entrer dans son appartement parisien les feux de brousse, les savanes ruisselantes de pluie et les indiens du Brésil.
Et de fait le sentiment de l’aventure et du merveilleux ne résulte t-il pas toujours de la mise en perspective de deux mondes éloignés ? Pour prendre un dernier exemple emprunté aux films de Wong Kar-Wai, le merveilleux au cœur du quotidien c’est une chambre dans un hôtel du Hong Kong des années soixante qui se transforme en fenêtre sur le futur et qui va permettre à l'étreinte de deux mains échangée dans un taxi de se répercuter dans l’avenir, de se mêler aux étoiles, l’éphémère rejoignant l’éternité.
Comme le fait remarquer la lettre du Collège de France consacrée au centième anniversaire de Claude Lévi-Strauss, l’œuvre de l’ethnologue est une réflexion sur l’éloignement, la mise en perspective, la bonne distance. Un de ses livres s’intitule d’ailleurs De près et de loin. « A bonne distance, les formes se dégagent du fouillis du réel ». On se souvient peut-être du poème où Su Dongpo disait que pour contempler la montagne il faut s’en éloigner.
Calligraphie du poème La montagne de Su Dongpo
« C’est le propre de l’anthropologie (pouvons nous ajouter de l’étude de la pensée chinoise ?) de parcourir les paysages les plus éloignés pour finalement observant le lointain nous éclairer sur le proche et nous parler de nous.
En se mettant à distance, en s’éloignant d’une culture qui est la sienne, en s’éloignant sans doute aussi de soi même c’est l’Homme tout entier que l’anthropologue tente d’embrasser du regard. »
Car cet art de l'éloignement est aussi un art du retour.
Et si nous suivons l’exhortation de Confucius : « étudier sans relâche » peut-être pourrons nous percevoir à la fois les ressemblances et les différences des différentes cultures, « percevoir la diversité comme variation et entendre le thème.»
Jean-Louis
mardi 5 mai 2009
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