dimanche 31 mai 2009

红楼梦, 第二十八回



Le début du chapitre 28 est à mon sens l'un des plus beaux passages du roman.

   话说林黛玉只因昨夜晴雯不开门一事,错疑在宝玉身上.至次日又可巧遇见饯花之期,正是一腔无明正未发泄,又勾起伤春愁思,因把些残花落瓣去掩埋,由不得感花伤己,哭了几声,便随口念了几句.不想宝玉在山坡上听见,先不过点头感叹,次后听到"侬今葬花人笑痴,他年葬侬知是谁","一朝春尽红颜老,花落人亡两不知"等句,不觉恸倒山坡之上,怀里兜的落花撒了一地.试想林黛玉的花颜月貌,将来亦到无可寻觅之时,宁不心碎肠断!既黛玉终归无可寻觅之时,推之于他人,如宝钗,香菱,袭人等,亦可到无可寻觅之时矣.宝钗等终归无可寻觅之时,则自己又安在哉?且自身尚不知何在何往,则斯处,斯园,斯花,斯柳,又不知当属谁姓矣!——因此一而二,二而三,反复推求了去,真不知此时此际欲为何等蠢物,杳无所知,逃大造,出尘网,使可解释这段悲伤.正是:花影不离身左右,鸟声只在耳东西.


La soubrette Nuée d'Azur ( Qingwen 晴雯), ayant donc, la veille au soir, refusé de lui ouvrir la porte de l'Enclos égayé de rouge, Lin Dayu (林黛玉) en avait à tort, imputé l'offense à Jia Baoyu (賈寶玉) lui-même. Par mauvaise coïncidence, avait suivi le jour des offrandes d'Adieu aux Fleurs. De sorte que rien n'avait fait lumière en elle, et qu'elle n'avait pu se soulager de son ressentiment. Prise, en outre, de tristesse et du regret du printemps à son déclin, elle était allée enterrer quelques corolles flétries et des pétales effeuillés. A force de pitié pour les fleurs, elle n'avait pas manqué de s'affliger de son propre sort et, gagnée par les sanglots, en était venue à moduler, au gré de l'inspiration, la lamentation qu'à son insu Jia Baoyu (賈寶玉) avait entendue. Il n'avait d'abord fait qu'en scander le rythme de signes de tête et soupirer d'émotion. Mais lorsque lui parvinrent aux oreilles des vers tels que :

Moi dont on raille la folie
Pour les fleurs que j'ensevelis,
Sais-je pour qui viendra le jour
De m'ensevelir à mon tour ?


Ou:

Un beau jour, leur printemps fini,
Et le clair visage flétri,
La belle meurt, la fleur périt,
D'elles plus rien n'est su ni dit


Il ne fut plus maître de sa douleur et se laissa choir à la renverse sur le versant de la colline, en répandant sur le sol, tout autour de lui, les pétales qu'il tenait amassés dans le creux de sa robe.
Qu'on y pense : à l'idée que viendrait un jour où, de l'éclat lunaire sur le beau visage en fleur de Lin Daiyu (林黛玉), ne resterait plus trace, pouvait il ne pas sentir son cœur se briser et se déchirer les entrailles ? Et puisqu'il devait y avoir un jour où de Lin Daiyu (林黛玉) ne resterait plus trace, pour toutes les autres, aussi bien sa propre camériste Bouffée de parfum (Xiren 襲人) que Grande sœur Joyau( Xue Baochai 薛寶釵) ou la petite épouse Parfum de Corniole( Xiangling 香菱), devrait aussi venir un jour où nulle trace n'en resterait. Et lorsque aucune trace d'aucune d'elles ne subsisterait, où serait il lui-même ? Et quand lui-même ne serait plus là, où donc demeuré? où donc allé? Qui sait à quelle autre famille appartiendrait ce palais, ce parc, ces fleurs et ces saules ?
Passant ainsi d'une première déduction à une seconde, d'une seconde à une troisième, et ainsi de suite, il en arriva à se demander quelle sorte de chose inerte, dépourvue de toute conscience, soustraite à la puissance créatrice, échappant aux pièges de ce bas monde de poussière, il lui faudrait devenir à cette heure, en ces instant mêmes, pour être à jamais délivré d'une telle trame de tristesses et de souffrances. C'est bien ici le cas de dire :

Leurs yeux ne quittent pas les ombres de ces fleurs
Il faut toujours des chants d'oiseaux à leurs oreilles.



En liaison avec les messages précédents les termes "moduler, scander, rythme" du début de ce passage font apparaître les lamentation de Lin Daiyu comme une musique à laquelle répond en chœur Jia Baoyu.

A la beauté de ce texte s'ajoute sa richesse et ses prémonitions. Il y a là les disputes d'adolescents, mais aussi leurs angoisses devant le temps qui passe. Il y a aussi l'annonce du destin collectif (la chute de la famille) mais aussi l'annonce des destins individuels comme la mort de Lin Daiyu et le destin religieux de Jia Baoyu.

Les pièges, la tristesse et les souffrances de ce bas monde ne constituent ils pas l'analyse de départ du Bouddhisme ? Cette chose inerte dépourvue de toute conscience et détachée des souffrances du monde à laquelle veut ressembler Jia Baoyu n'est elle pas l'état d'Eveillé ayant atteint la délivrance ? Ne fait elle pas aussi référence à l'état de Roc dont il est issu, selon la légende du début du roman et auquel il aspire à retourner ?

Dans ce chapitre 28, qui est bien de Cao Xueqin (曹雪芹), on y voit en filigrane la fin du roman.

Olivier

1 commentaire:

Jean-Louis a dit…

Tu as raison, cher Olivier, le récit que tu cites est très beau.
Nombreux sont les passages qui décrivent chez Lin Daiyu, mais surtout chez Jia Baoyu cette angoisse devant le temps qui passe. Il me semble qu’il y a chez ce dernier un refus de vieillir, un refus de grandir qui me le fait ranger dans la lignée des Peter Pan.
Et, sans doute, faudrait-il évoquer ici un des personnages principaux du roman : le jardin (rapprochement avec Neverland ? ) où se passe l’action, ce monde clos qui protège des atteintes du monde extérieur et de l’intrusion du temps.

Tu as évoqué, comme en passant, Nuée d’Azur. Cela m’a rappelé un souvenir. C’était une nuit d’été, je marchai avec quelques chinois sur le Vieux Port. L’un d’eux m’a parlé de sa passion pour Nuée d’Azur. Nous emmèneras tu, Olivier, vers l’allée Nuée d’Azur ?
Mais alors c’est 20 que dis-je 30 pages de commentaires qu’il faudra écrire.
Mais pour ce soir, il est temps d’aller se coucher j’entends les clochettes tintinnabuler.
Jean-Louis