samedi 2 avril 2011

Deux styles : le xieyi 写意, et le gongbi 工笔


Peinture gongbi : Anonyme d’époque Song (XII° siècle, Auberge


Peinture xieyi : Wang Jiu (XVIII° siècle)

Les historiens de l’art distinguent traditionnellement deux écoles dans la peinture chinoise. Même si cette distinction ne doit pas être poussée trop loin, elle est révélatrice non seulement de techniques différentes mais d’une conception dissemblable de la fonction de l’œuvre d’art, des rôles respectifs du peintre et du spectateur et des relations de la peinture avec les autres arts : calligraphie, poésie, musique.

Examinons tout d’abord les différentes techniques.
J.F. Billeter dans son livre L’art chinois de l’écriture nous indique que le genre xieyi (littéralement « noter une impression) est, en général, une peinture au lavis – une peinture produite par application d’encre plus ou moins délayée sur la soie ou le papier, sans dessin préalable. Le genre gongbi (littéralement « pinceau travaillé) est plus descriptif et plus attentif au détail.

Une peinture gongbi part d’un dessin fait au trait, avec un pinceau fin, et qui est ensuite coloriée. Remarquez dans la peinture gongbi proposée en illustration comme l’on peut distinguer les feuilles des arbres, le matériau du toit de l’auberge, les différents personnages : un fait la cuisine, un enfant s’amuse, un homme fait la sieste sur un coin de table, comme on peut encore le voir de nos jours dans les auberges chinoises. Ce type de peinture va intéresser en nous l’historien, l’ethnologue soucieux d’étudier les scènes de vie, le détail des vêtements, des visages, des coiffures, des habitations de telle ou telle époque, de telle ou telle région.

La peinture de style xieyi représente à peu près le même sujet. Mais voyez comme les motifs sont à peine esquissés. La frondaison des arbres se confond avec les nuages, les montagnes en arrière plan. Le personnage est représenté d’une manière maladroite, enfantine. Ce genre, plus intemporel, va émouvoir en nous le poète qui veut rêver sur les brumes, les nuages formés par les lavis d’encre ou suggérés par les blancs, les vides qui occupent une place si importante dans la toile. Le genre xieyi, genre volontairement inachevé, art de l’imparfait pour reprendre la formule des maîtres du thé laisse une place beaucoup plus importante à l’imagination du spectateur.

Ce style était essentiellement pratiqué par ces amateurs qu’étaient les lettrés, alors que la peinture gongbi était plutôt l’œuvre de professionnels, d’académiciens. Or, les lettrés chinois, comme on le sait, étaient non seulement des fonctionnaires et des hommes politiques. C’étaient aussi des calligraphes, des peintres, des poètes, des musiciens et des philosophes. Cela explque les liens que l’on peut observer entre la peinture xieyi et ces différents arts. Pour dire les choses d’ne autre manière, le genre xieyi se prête à l’intertextualité.

Liens avec la calligraphie tout d’abord : même matériel, encre et pinceau, même exploitation du monochromatisme, même vocabulaire. Dans les deux arts on parle de dian (points ou éléments ramassés) et de hua (éléments allongés, développés).

Liens avec la poésie. « Les peintures sont des poèmes et les poèmes des peintures ». Ces liens trouvent souvent leur manifestation dans des poèmes qui sont calligraphiés à même la peinture (voir illustration).

Liens avec la musique. J.F. Billeter et Ding Wenjun nous rappellent que Schopenhauer voyait dans la musique le plus noble des arts car c’est celui qui, par son caractère informel, laisse le plus de place à l’imagination du récepteur. Or, on l’a vu, c’est l’idéal que se propose le genre xieyi en refusant la recherche de la ressemblance formelle, en se voulant non descriptif, imparfait inachevé.

En évoquant la recherche ou non de la ressemblance formelle nous abordons un des sujets les plus débattus dans l’esthétique de tous les pays et de tous les temps. Nous lui consacrerons un prochain article. Elle nous permettra d’étudier comment certaines peintures peuvent refléter la vision du monde de leur auteur, spécialement quand ceux-ci sont également des philosophes. Pour terminer ce billet et entretenir le suspense, je vous propose une petite énigme. Quels rapports y a t-il entre le deuxième concile de Nicée, le poète Su Shi et les tribus indiennes de la forêt amazonienne ?

Jean-Louis

Bibliographie :
L’art chinois de l’écriture, Jean-François Billeter, Skira
L’art en Chine, Yolaine Escande, Hermann

3 commentaires:

Nicole a dit…

au travers des derniers articles, je crois que nous allons avoir très prochainement une formidable conférence sur la peinture.

Françoise a dit…

J'en suis à une histoire d'images, d'icônes puisque - si j'ai bien cherché - ce concile a réhabilité le rôle des images, des représentations dans la pratique religieuse. J'entrevois le rapport avec les Indiens, mais avec Su Shi ???

Jean-Louis a dit…

Le concile de Nicée édicta effectivement des prescriptions concernant l'esthétique.
Quel rapport avec Su Shi ?
Le blog de Chinafi c'est comme "Plus belle la vie". Il faut parfois attendre quelques jours avant d'avoir la réponse.
Jean-Louis