jeudi 14 avril 2011

Le Beau, le Naturel


Léonard de Vinci, l’Homme de Vitruve, 1490, dessin à la plume

Jean-François Billeter le disait déjà : c’est à tort que l’on appelle l’art chinois de l’écriture calligraphie. En effet celui-ci ne vise pas, ne vise pas d’abord à la belle écriture. Son idéal voudrait que les caractères paraissent aussi naturels que les traces de gouttières sur un mur ou d’insectes rongeant le bois.

Yolaine Escande et François Jullien nous le rappellent la recherche du Beau n’a pas été un idéal de l’art lettré qui, dans ses différentes branches (peinture, poésie, calligraphie) s’est fixé comme but : le Naturel. Qu’est ce que cela signifie ?

Il est intéressant de rapprocher ces deux notions, le Beau et le Naturel, pour mieux les définir.

Dans les livres traitant de l’esthétique, le Beau est souvent défini par les qualités de juste mesure, d’équilibre, d’harmonie. Le Beau s’incarne le mieux dans la beauté corporelle et plus particulièrement dans le Nu où il passe d’abord, aux yeux des peintres, à partir du XV° siècle, par le respect de normes de proportions censées assurer la « symétrie » (au sens ancien d’harmonie de la figure). Un rapport de dimensions regardé comme parfait doit exister entre la mesure de la tête et la hauteur totale de la figure, sa largeur et les différentes parties du corps.
La représentation du Nu et l’idéal de beauté qu’il incarne qui fut au centre de l’art grec est réapparu sous la Renaissance à peu près en même temps que l’on découvrait cette autre « invention » de l’esthétique de la Renaissance qu’est la perspective linéaire.

Or, le Nu, le Beau et la perspective linéaire ont trois points communs :
- Ils ont partie liée aux mesures, aux nombres, aux mathématiques, à la géométrie,
- Ils offrent une représentation fixe, arrêtée, figée de l’objet de la peinture ou de la sculpture.
- Ils postulent un dédoublement du sujet regardant et de l’objet représenté.

Ces trois points communs sont le reflet d’un bouleversement qu’ont connu les sciences et la philosophie européenne à partir de la Renaissance.

Ce bouleversement, nous dit Augustin Berque « s’est institué en paradigme au XVII° siècle : le paradigme occidental de la modernité. On peut illustrer ce paradigme par quatre noms : Bacon (la méthode expérimentale), Galilée (la confirmation du décentrement cosmologique anticipé par Copernic), Descartes (le dualisme sujet-objet) et Newton (l’espace homogène, isotrope, infini, autrement dit absolu). Pour le réduire à un principe, il s’agit de la découverte du monde physique en tant que tel ; autrement dit, le monde de la chose en soi, découplé de la subjectivité humaine. Cette découverte révolutionnaire qui allait engendrer les sciences et les techniques modernes introduisait du même coup une fracture inouïe dans l’histoire de l’humanité. Désormais le monde physique celui de la réalité intrinsèque des choses (le monde où la Terre tourne autour du Soleil) était posé indépendamment du monde phénoménal – celui de la réalité de ces mêmes choses pour l’homme (le monde où le Soleil tourne autour de la Terre).»

La Chine n’a pas suivie cette voie. Elle a exploré d’autres chemins. Son art, son esthétique avec la recherche du Naturel en sont le reflet. Nous verrons, par exemple, comment la médecine chinoise ayant peu pratiqué l’anatomie, l’art chinois s’est trouvé devant l’impossibilité ou la difficulté à figurer le Nu.

Tout cela demande quelques développements que je vous propose d’aborder dans de prochains articles.
Jean-Louis

Bibliographie :
- Jean-François Billeter, L’art chinois de l’écriture, Skira
- François Jullien, Le Nu impossible, Points Essais
- Yolaine Escande, L’art en Chine, Hermann
- Yolaine Escande, La culture du Shanshui, Hermann
- Augustin Berque, Les raisons du Paysage, Hazan
- Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture, Larousse.

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