jeudi 31 mars 2011

Un bol de thé ou "l'art de l'imparfait"


Claude Lévi-Strauss et sa femme Monique à Tokyo, avril 1986. (Photo du Nouvel Observateur)

A la fin de sa vie, Claude Lévi-Strauss s’était pris d’une passion pour la culture japonaise. Aujourd’hui, 31 mars, paraissent en librairie deux inédits publiés aux éditions du Seuil:
- L’anthropologie face aux problèmes du monde moderne rassemble trois conférences données à Tokyo
- L’autre face de la lune contient des textes consacrés à la civilisation japonaise.

Le Nouvel Observateur de cette semaine publie quelques extraits de ces livres. L’un deux a particulièrement retenu mon attention. Il y est question de Sengaï un peintre et moine japonais (1750-1837).

« Sengaï se situe dans la filiation spirituelle des maîtres de cérémonie du thé qui, dès le XVI° siècle recherchaient en Corée et en Chine les ustensiles les plus grossiers et les plus humbles : bols à riz de paysans pauvres, fabriqués sur place par des artisans de village. D’avoir été produits sans habileté manuelle et sans prétentions esthétiques aux yeux des maîtres de thé leur conférait plus de prix que si c’eussent été de véritables œuvres d’art. Ainsi naquit le goût pour les matières rugueuses, les formes irrégulières, ce qu’un maître de thé appela d’un mot qui fit école : « l’art de l’imparfait »…Pour les maîtres de thé …il s’agissait de s’affranchir de tout dualisme pour atteindre un état où l’opposition du beau et du laid n’a plus de sens : état que le bouddhisme appelle « Ainsité », antérieur à toutes les distinctions, impossible à définir sinon par le fait d’être ainsi. »

On peut tirer quelques enseignements de ce court extrait qui constitue, en fait, une introduction à plusieurs articles qui paraîtront prochainement dans ce blog :
- Les maîtres de cérémonies du thé préféraient les bols de thé aux tasses de thé. L’appellation « bol de thé » est donc pertinente. Les fidèles lecteurs du blog comprendront bientôt le sens de cette remarque anodine.

- Les maîtres de thé avaient, comme les lettrés chinois, une prédilection pour « l’art de l’imparfait » ou art de l‘inachevé. « Art de l’imparfait » qui n’est pas sans rappeler le xie yi dont j’ai parlé dans un précédent billet. Zhao Jie, notre nouveau professeur de chinois, me faisait remarquer que l’on rencontre deux techniques dans la peinture chinoise : le xie yi ou style libre, spontané plutôt pratiqué par ces amateurs qu’étaient les lettrés et le gong bi ou style travaillé, recherché plutôt utilisé par les professionnels.

- On trouve dans cet article le terme « d’ainsité » ou « ainséité » parfois appelé « propension des choses » qui désigne ce qui se réalise de soi-même, spontanément. Cette notion occupe une place importante dans la pensée et l’esthétique chinoises. Cette notion, comme les distinctions xie yi / gong bi, amateurs / professionnels sont au centre des débats qui ont animés l’histoire de la peinture chinoise. Nous aurons l’occasion de revenir largement sur tous les sujets que nous venons d’effleurer.
Jean-Louis