lundi 25 avril 2011
Le naturel ou comment traduire le souffle vital en peinture
Chen Hongshou (1599-1652), Les quatre joies de Nan Shenglu
Dans les précédents billets nous avons vu que la recherche du Beau et la perspective linéaire qui occupent une place centrale dans l’esthétique européenne à partir de la Renaissance reflétent un certain état des sciences (géométrie, anatomie) et de la philosophie (cogito cartésien). Or la Chine n’a pas placé le Beau au cœur de son esthétique mais le Naturel. Qu’est ce que cela signifie ? Quelle conception du monde ce choix révèle t-il ?
Yolaine Escande nous dit qu’en chinois, il existe deux expressions pour dire nature, naturel : ziran et tianran. Ziran signifie ce qui est ainsi, non au sens de ce qui est en soi, mais d’un dynamisme à l’œuvre par lui-même ; ziran est parfois traduit par ainséïté (voir article sur Claude Lévi-Strauss au Japon) au sens de ce qui se réalise de soi-même.
Cette notion est essentielle dans la conception chinoise du monde. Celui-ci n’est pas conçu comme l’œuvre d’un Dieu extérieur à sa création mais, nous dit Anne Cheng, « comme allant de soi-même ainsi, suivant un processus de transformation… Ce que la pensée chinoise perçoit comme premier est la mutation, ressort du dynamisme universel qu’est le souffle vital…Le souffle est un, mais pas d’une unité compacte, statique et figée. Vital, il est au contraire en circulation permanente, il est par essence mutation ».
C’est ce dynamisme à l’œuvre par lui-même, ce processus de transformation, cette circulation permanente du souffle, cette mutation, ce passage du « il n’y a pas » au « il y a », du virtuel au manifeste, de l’indifférencié au différencié que c’est efforcé de rendre l’art chinois.
L’art chinois ne pouvait représenter ce dynamisme, ce processus de transformation, cette circulation permanente du souffle dans la forme figée, fixe, arrêtée que suppose le Nu. Lorsqu’il représente un personnage, l’art chinois préfère le couvrir « de vêtements flottant alentour lui redonnant déjà du mouvant » (François Jullien). Jean-François Billeter nous donne un exemple de ce procédé à partir d’une série de tableaux de Chen Hongshu (1599-1652). Dans le tableau que nous avons choisi en illustration de cet article « le corps n’est pas représenté mais seulement signifié par le visage et la pointe d’une chaussure…le drapé n’a pas du tout la même fonction que celui du Caravage (voir billet précédent). Tandis que les étoffes du Bacchus sont soumises à la loi de la pesanteur…celles de Chen Hongshou sont animées de forces qui circulent et tourbillonnent sans cause apparente. »
Mais les mouvements du costume n’offrant que des possibilités limitées, les peintres chinois ont inventé d’autres moyens de visualiser la circulation du souffle, le processus de transformation à l’œuvre dans l’univers. Le principal a été le paysage.
Montagne au printemps, attribué à Yang Weizhen (1296-1370)
Jean-François Billeter nous propose l’analyse d’une peinture de paysage Montagne au Printemps. Il fait remarquer « qu’un pas de plus est franchi dans la dissolution de l’objet », nous sommes loin de la tradition picturale de la Renaissance « qui s’est éprise de l’objet, en particulier du corps objet… ». « Les eaux, les arbres, les roches ne sont plus que des figures en train de s’abolir dans la lumière…Les masses …sont réduites à des signes tourbillonnants, en passe de se résorber dans l’énergie pure ».
Comme le souligne François Jullien une telle tradition picturale « peint, non la forme arrêtée, mais le monde accédant à la forme ou revenant à son fonds indifférencié. ». Elle peint non la forme mais la formation, la transformation.
Dans cette perspective nous dit Yolaine Escande, le geste du peintre est «une participation au dynamisme, à l’autogenèse sans cesse renouvelée du cosmos ». Ce prolongement du dynamisme de l’univers ne peut s’obtenir qu’en « l’absence de mise en avant du soi », qu’à condition de bannir « la volonté d’imposer son moi ou même d’en avoir conscience ». Alors, remarque Nicole Vandier-Nicolas, l’artiste pourra restituer « le mystère de la création, changeante et mouvante qui ne peut pas se dépeindre par les formes ».
Pour terminer ce billet et ménager une transition avec le suivant remarquons avec Jean-François Billeter, l’inscription calligraphiée en haut du tableau qui nous montre l’affinité qui lie en Chine le signe pictural et le signe calligraphique », et d’une manière plus générale l’affinité qui lie la poésie et la peinture.
Jean-Louis
Bibliographie :
- Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Seuil, Points, Essais
- Jean-François Billeter, L’art chinois de l’écriture, Skira
- François Jullien, Le Nu impossible, Points Essais
- Yolaine Escande, L’art en Chine, Hermann
- Yolaine Escande, La culture du Shanshui, Hermann
- Nicole Vandier-Nicolas, Peinture chinoise et tradition lettrée, Seuil
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