samedi 19 mars 2011

Qu Yuan et l'émergence de la peinture de paysage


Les Bergers d’Arcadie, Nicolas Poussin


Vue merveilleuse de la Xiao et de la Xiang, Mi Youren (1086-1165)

Le présent article (le quatrième de la série concernant Qu Yuan et la fête des bateaux dragons) va nous permettre, à la fois de voir l’influence de la vie et de l’œuvre de Qu Yuan sur la peinture de paysage et, après avoir évoqué la transposition des Entretiens de Confucius dans le Fayan de Yang Xiong, de considérer une autre application du procédé de la transposition, mais cette fois dans le domaine de la peinture.

En suivant Augustin Berque, j’évoquerai ce procédé dans la peinture européenne et dans la peinture chinoise.

Le premier tableau présenté en illustration, un des plus célèbres de la peinture européenne, se nomme les bergers d’Arcadie. On y voit trois bergers antiques déchiffrant l’inscription « Et in Arcadia ego » qui signifie « même en Arcadie, moi (la mort) j’existe ».

Ce tableau a fat l’objet d’innombrables études, notamment celle, magistrale, de Claude Lévi-Strauss dans Regarder, écouter, lire où il analyse les différentes versions et transformations du thème des Bergers en Arcadie du Guerchin à Poussin.

Dans cet article, je suivrai celle d’Augustin Berque qui fait remarquer que le paysage, en arrière plan du tableau, censée représentée l’Arcadie est en fait un territoire imaginaire, Poussin n’étant jamais allé dans le Péloponnèse. Ce paysage est, en réalité, la transposition des campagnes italiennes que le peintre connaît et des poèmes bucoliques d’Hésiode, Virgile ou Tibulle vers la peinture.

L’Arcadie aura été ainsi « l’une de ces figures emblématiques où cristallisent les façons de voir d’une culture et d’une époque ». Selon Augustin Berque, l’Arcadie aura joué le même rôle dans la sensibilité européenne que le paysage des rivières Xiang et Xiao dans la sensibilité chinoise et extrême orientale. Ce lieu se trouve au sud de l’ancien royaume de Chu (dans l’actuel Hunan) là où Qu Yuan fut exilé et se donna la mort. Cette région est devenue pour tous les artistes chinois une retraite de prédilection.

Dans toute l’Asie orientale se sont ainsi trouvés transposés les « huit paysages de la Xiang et de la Xiao ». Augustin Berque souligne : « le regard positiviste qui questionnerait ces paysages, pour savoir s’ils ressemblent vraiment à ceux des parages du lac Dongting, serait forcément déçu ; car il n’en est rien, ou guère. Il ne s’agit pas là de similitude morphologique, mais d’une parenté symbolique véhiculée …par l’intertextualité qui empreint et motive, allusivement, les divers champs de la représentation du paysage à travers toute l’Asie orientale. Dans ce système, les motifs paysagers passent d’un champ de représentation à un autre – par exemple d’un rouleau de peinture à un poème, de ce poème à un paravent, de celui-ci à un jardin, puis de là derechef dans un paysage grandeur nature, etc. »

Cette intertextualité entre poésie et peinture est également évoquée par Yolaine Escande. Elle remarque que les Elégies de Chu dont Qu Yuan est un des auteurs contiennent de nombreuses descriptions de la nature. Pour Yolaine Escande et Donald Holzmann, les Elégies de Chu « représentent un pas important dans l’évolution de la poésie de paysage » et dans l’apparition du shanshui pictural.

Voilà. Dans cette série d’articles consacrés à la fête des bateaux dragons, j’ai commencé à aborder certains thèmes : fonctionnement de la pensée chinoise par le jeu de dialogues internes, évocation de l’intertextualité, des procédés de transpositions, de transformations. Bien sûr ces thèmes demanderaient des développements bien plus longs qu’il n’est possible de faire dans le cadre de ce blog. J’ai tenté de soulever un angle de la question. Je vous laisse le plaisir de soulever les trois autres.
Jean-Louis

Bibliographie :
Pouvoirs de la mélancolie, Lisa Bresner, Albin Michel
Les raisons du paysage, Augustin Berque, Hazan
La culture du shanshui, Yolaine Escande, Hermann,
Regarder, écouter lire, Claude Lévi-Strauss, Plon

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