mercredi 23 mars 2011
"Avoir montagnes et vallées en son sein"
Li Cheng, Pagodes sous un ciel clair
S’intéresser à la pensée chinoise n’est pas un exercice gratuit. Elle peut nous aider à réfléchir sur certaines de nos pratiques. J’en fais actuellement l’expérience en essayant de découvrir la peinture chinoise.
Anne Cheng fait remarquer qu’aborder les grands textes, découvrir un enseignement ou une discipline artistique cela ne concerne pas le seul intellect mais au contraire cela met en jeu la personne entière. Il faut les laisser descendre toujours plus profond en soi, dans son existence. Au-delà d’une simple lecture, d’une écoute, d’une contemplation rapide cela ne peut être le résultat que d’une longue fréquentation de l’objet que l’on veut découvrir.
C’est en suivant cette méthode que les artistes chinois pouvaient espérer, selon a célèbre formule, « avoir montagnes et vallées en leur sein » pour saisir l’esprit des paysages qu’ils voulaient peindre ou chanter.
Nicole Vandier-Nicolas nous dit, par exemple, que le peintre Li Cheng (vers 919-967) possédait en lui ces montagnes et vallées « pour avoir toute sa vie contemplé ces chaînes superposées, ces hauts monts, leurs pins et leurs gorges, il les avait faits siens. Avec le temps, ils s’étaient transformés en lui. Ils étaient devenus une part de lui-même. ». Même chose pour Li Longmian (1040-1106) : « ce qu’il peignait, il le portait en lui ». On pourrait multiplier les exemples. On se souvient du célèbre poème de Su Shi où il est dit que lorsque Yüke peignait un bambou son corps devenait un bambou.
Dans cette fusion de l’artiste et de l’univers on reconnait la recherche de l’unité originelle si chère à la pensée chinoise. Ce désir de fusion, cette quête de l’unité a sous tendu l’idéal de naturel dans l’esthétique chinoise alors que l’esthétique européenne privilégiait plutôt la recherche du beau, du pittoresque ou du sublime. C’est ce que je vous propose d’aborder dans un prochain billet.
Jean-Louis
Bibliographie : Peinture chinoise et tradition lettrée, Nicole Vandier-Nicolas, Seuil
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4 commentaires:
C'est particulièrement intéressant pour moi de découvrir ce phénomène dans la peinture, car cela m'a toujours semblé plus évident pour la musique par exemple et pour l'apprentissage des arts énergétiques et martiaux. en revanche, je crois en effet que notre point de vue occidental considère plutôt la peinture, mais de même que le paysage, voire la nature comme un objet extérieur.
Donc j'attends la suite avec impatience et que tous ceux qui pensent comme moi osent le dire!
Françoise
Merci Françoise pour ce commentaire.
Tu évoques les arts énergétiques et martiaux. Voici ce que Nicole Vandier-Nicolas écrit à propos de la notion de xieyi : "au XIV° siècle,l'expression xieyi prend toute sa valeur. Xie (écrire, transcrire) signifie aussi "décharger". Quand il jette une esquisse sur le papier, le peintre se décharge de son énergie, comme le fait le calligraphe en traçant un trait".
Et un peu plus loin en parlant du grand peintre Ni Zan (1301-actif jusqu'en 1374): "le souffle qu'il déchargait en peignant des bambous était celui d'une nature élevée, distante, inapaisée."
Cette réflexion me conduit à deux questions :
-existe t-il dans les arts martiaux une notion proche de l'expression xieyi ?
- NVN explique bien les différents sens de "xie". Mais elle ne dit rien sur "yi" la deuxième partie de l'expression. Quelqu'un peut-il m'éclairer et nous donner les caractères chinois de l'expression "xieyi" ?
Jean-Louis
Voici quelques éléments de réponse
les caractères :
写(xiě ) = écrire
意 (yì) = intention, sens
Il existe un art martial interne, d'inspiration taoïste, le xing yi quan ou boxe xingyi (形意拳, pinyin: xíng yì quán).
Les caractères chinois se traduisent par « poing de la forme/intention » (souvent traduit « poing de la forme et de l'intention »)
形 xing : forme | corps, silhouette | paraître | comparer
意 yi : sens | intention, désir
拳 quan : poing, boxe
Françoise
Merci pour ces précisions.
Il me semble que ces commentaires permettent des écanges fort intéressants. Il est un peu dommage qu'ils ne soient pas plus nombreux.
Quant à la remarque sur la peinture, le paysage, la nature comme objet extérieur, ils seront au centre de la suite du présent billet.
En fait il me manque un livre pour l'écrire. Je l'ai retenu à la bibliothéque l'Alcazar.
Je profite de ce commentaire pour conseiller à tous ceux qui ne la connaissent pas une visite et une inscription dans cette bibliothèque. C'est un endroit merveilleux possédant un fonds très important qui permet de se livrer à toutes sortes de recherches.
Jean-Louis
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