vendredi 18 mars 2011

Qu Yuan et Yang Xiong



Dans le premier article de cette série consacrée à la fête du double cinq, nous avons vu que la pensée chinoise se déployait en une succession de dialogues internes qui ont tenu en haleine le monde intellectuel génération après génération. Cette tapisserie de dialogues internes finit « par laisser apparaître des motifs en relief » (Anne Cheng).

Les maîtres mots (Fayan) de Yang Xiong fournissent un bel exemple de ce mode de fonctionnement de la pensée chinoise. L’ouvrage, traduit par Béatrice L’Haridon, est paru dans la bibliothèque Les Belles lettres en édition bilingue. Le texte est accompagné d’une longue introduction et d’un appareil critique (notes, index, biographies) qui font de ce livre un excellent outil de recherche.

Dans l’introduction, Béatrice nous indique les différentes formes qu’ont pu prendre ces dialogues internes. Ce peuvent être des commentaires, des citations. Le Fayan utilise une forme originale puisqu’il s’agit de la transposition, de la transformation des Entretiens de Confucius. Je ne doute pas que ce procédé eût retenu toute l’attention de Claude Lévi-Strauss qui fonda sa méthode sur l’étude des transformations, des transpositions.

Dans la mesure où cet article fait partie d’une série consacrée à la fête du double cinq, je vais privilégier le dialogue noué entre Qu Yuan et Yang Xiong en m’appuyant sur l’appareil critique mis à notre disposition.

Yang Xiang (53 av. J.C – 18 après J.C) est originaire, comme Qu Yuan du pays de Chu. Ses premiers textes sont des réponses au Lisao de Qu Yuan. Un seul de ces poèmes, le Fansao, nous est parvenu. Après l’avoir achevé Yag Xiong est parti vers la montagne Min (où le fleuve Bleu prend sa source) pour jeter dans le fleuve sa réponse à Qu Yuan.

« Ces premiers textes manifestent déjà une préoccupation pour la position du lettré dans son temps et son souci d’apporter une réponse à l’échec tragique du lettré auprès de son souverain. » Dans de très beaux vers, il regrette le suicide de Qu Yuan :

« Hélas, [Qu Yuan] mon entravé, tes riches parfums
Flottant lumineux sur les plantes aromatiques
Ont croisé le gel en été finissant
Emporté trop tôt par le chagrin, ta florescence perdue

Le Fansao semble ainsi opter pour la recherche d’une postérité par l’écriture de textes, et refuse dans le même temps le suicide politique, dans la continuité de Xunzi ainsi que de Sima Qian ».

La référence à Qu Yuan se poursuit dans le Fayan sous la forme d’un éloge.

"Qu Yuan était-il vraiment sage ?
- Eclatante comme un jade
Laissant apparaître des veines rouges et bleues.
Telle fut sa sagesse ! Telle fut sagesse !"

Une longue note nous éclaire sur ce passage, nous renseignant notamment sur l’utilisation du jade comme signe de reconnaissance car « chaque pierre possède une chair particulière, marquée par un réseau de veine, qui permet la reconnaissance lorsque les réseaux de deux pièces coïncident ».

Ainsi dans une succession de renvois, de dialogues nous voyons se dessiner les motifs de la tapisserie de Yang Xiong : rapports des lettrés avec le pouvoir, recherche d’un modèle éthique…thèmes qui peu à peu ont constitué la tradition.

Merci à Béatrice de nous avoir aidé à comprendre le fonctionnement de la pensée chinoise.

Jean-Louis

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