lundi 30 novembre 2009
Le(s) rois boiteux
Gustave Moreau, Oedipe et le Sphinx
La question était donc : « Pourquoi les rois de Thèbes portent un nom signifiant qu’ils ont du mal à marcher ou encore quel rapport y a-t-il entre la boiterie et la sexualité ? »
Les mythes ont pour fonction d’expliquer les phénomènes, souvent la création du monde, la naissance de l’Homme ou des animaux. Dans de nombreux mythes, l’Homme, les animaux, les monstres naissent de la terre comme les végétaux. Le mythe d’Œdipe contient encore des éléments de ces anciens mythes : les hommes naissent de la terre, le Sphinx, monstre chtonien, est né de la terre (Dans le tableau de Gustave Moreau, le Sphinx est un bien joli monstre. Ne trouvez vous pas ?). Mais voilà, les hommes nés de la terre s’entretuent et Œdipe tue le Sphinx. Le mythe d’Œdipe nous permet de passer d’un modèle végétal où les hommes naissent de la terre à un modèle où les hommes naissent de l’union de l’homme et de la femme.
Mais ce n’est pas si simple de passer d’un modèle à l’autre. Au moins deux éléments le montrent.
Tout d’abord, les hommes ont du mal à marcher. Ils restent attachés à la terre. Leurs pieds conservent encore quelque chose de la racine. Lévi-Strauss nous dit que l’on rencontre cette caractéristique dans de nombreux mythes.
Ensuite les relations au sein de la famille ne sont pas encore équilibrées, c’est le moins que l’on puisse dire. Soit il y a défaut d’attachement : c’est Œdipe qui tue son père Laïos, c’est Etéocle qui tue son frère Polynice (Etéocle et Polynice sont les deux fils d’Œdipe). Soit il y a excès d’attachement : c’est l’inceste entre Œdipe et sa mère, Jocaste, ou encore c’est Antigone, la fille d’Œdipe, qui enterre son frère Polynice, malgré l’interdiction du nouveau roi, Créon. Antigone, un modèle de piété filiale. Elle accompagnera Œdipe sur les chemins du monde lorsque celui-ci se crèvera les yeux après avoir appris qu’il avait épousé sa mère.
Voilà, c’était le premier cadeau : la réponse à la devinette. Je ne sais pas, chère Nicole, si elle recoupe l’explication que tu as trouvée. Je ne sais pas non plus quel crédit on peut accorder à cette lecture. Elle m’a permis, en tout cas, de retrouver des héros dont j’ai entendu parler depuis les bancs de l’école : Œdipe, Laïos, Jocaste, Antigone…
L’histoire de ces rois boiteux, m’a fait penser à une chanson de Georges Brassens : « le roi boiteux ». Ecoutez bien cette chanson : c’est un modèle d’impertinence vis-à-vis des courtisans de toutes sortes. (Malheureusement, je n’ai pas pu trouver de vidéo de Georges Brassens. J’ai choisi une vidéo qui se rapproche le plus de l’original.) Je l’ai fait écouter à mon professeur de guitare qui m’a fait remarquer le rythme ternaire évoquant la claudication.
Et comme Chinafi ne recule devant rien, bientôt un troisième cadeau qui nous permettra de découvrir d’autres aspects méconnus de légendes bien connues, par exemple découvrir quels rapports existent entre la légende chinoise du Bouvier et de la Tisserande et le Lac des Cygnes.
Jean-Louis
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
7 commentaires:
Tout d'abord merci pour ces 2 magnifiques kdo
ma réponse était plus coquine...
bon j'attends avec impatience le prochain jeu
Cher Jean- louis
Tu as été plus rapide que moi..J'ai passé un "certain temps" pour ne pas dire un temps certain,à faire des recherches sur internet à ce sujet,car malheureusement ma culture en mythologie grecque est quasiment inexistante!!
Voici quelques éléments glanés de ci, de-là, qui mettent en évidence une relation commune entre ces 3 personnages à savoir un boîtement à la fois physique et moral:
- Œdipe, " pieds-enflés " doit s’appuyer sur une canne pour marcher +
- Labdacos " le Gaucher ":
"Labdacos, le nom, signifie le boiteux et peut-être que là déjà, y a t-il une indication : la lignée royale, la lignée de Cadmos, qui s’est unie nécessairement à ces guerriers issus du sol, au lieu de se poursuivre droitement est perpétuellement rejetée en oblique.
Loxias, l’Oblique, est celui qu’on ne peut regarder de face (cf. Commos)
- Laios " le boîteux ":
Laïos :la démarche, le cheminement n’est pas droit. On peut dire, que là aussi, lui, il boite. Il boite sexuellement. Pour les Grecs ce n’est pas une vraie boiterie s’il avait eu un amour régulier, codifié avec ce jeune garçon pour essayer la paideia, l’enseignement, en faire un vrai homme, mais non, l’autre refuse.
D'aprés J.-P. Vernant, Lévi-Strauss a dégagé le premier " l'importance d'un trait commun aux trois générations de la lignée des Labdacides : un déséquilibre de la démarche, un manque de symétrie entre les deux côtés du corps, un défaut à l'un des deux pieds " et " Labdacos : c'est le boiteux " ; celui dont les jambes sont non identiques. La tragédie de Sophocle souligne clairement l'anomalie physique.
Oedipe est ainsi de la lignée lorsqu’il épouse Jocaste sans savoir qu’elle est sa mère, on peut parler d’un retour aux sources . son rapport aux femmes est problématique tout comme se fut le cas pour son propre père qui commença par s’éprendre d’un beau jeune homme du nom de Chrysippe.
Je ne sais si ma réponse correspond vraiment -en partie au moins à ta question ??mais je te l'envoie-à tout hasard
Merci pour ces précisons. C’est toujours gratifiant de voir qu’un article conduit à des recherches.
Ton commentaire complète l’explication du mythe donné par Lévi-Strauss.
Il reprend l’origine de la boiterie dans le fait que ces hommes sont issus de la terre et y restent encore attachés. Ils ont en commun d’évoquer les problèmes que l’Homme entretient avec sa sexualité.
Mais alors que Lévi-Strauss insistait sur l’instauration difficile des rapports de parenté (entre inceste et meurtre) lorsque l’on passe du modèle végétal au modèle sexuel comme explication de la naissance des hommes, ton commentaire donne un éclairage légèrement différent mais non contradictoire en reliant la boiterie (déviance physique) à la déviance sexuelle (ou ce qui est considéré comme telle) : l’inceste et l’homosexualité. Toutes ces explications m’ont permis de mieux comprendre et de mieux apprécier (ce qui est déjà beaucoup) le magnifique tableau de Gustave Moreau. Regardez le Sphinx. Le haut de son corps évoque le modèle sexuel en représentant une belle jeune fille qui échange avec Œdipe des regards empreints de désir, mais le bas de son corps rappelle l’origine chtonienne du monstre et l’impossibilité de cet amour.
Jean-Louis
Ces billets et les échanges qui les ont suivis m’ont fait rechercher des livres d’Annick de Souzenelle Le Symbolisme du corps humain et De l’arbre de vie au schéma corporel.
Ces livres passionnants, très érudits et dont je ne comprends qu’une très faible proportion se situent dans la tradition ésotérique du Judaïsme qui exprime que - de même que dans le taoïsme - l’homme situé entre Ciel et Terre est un microcosme. Il est lui-même archétype. Dans ce schéma, le corps humain est un arbre inversé.
Annick de Souzenelle nous dit que l’humanité, à travers ses mythes, exprime sa séparation du divin « en trainant un pied gonflé avec Œdipe, vulnérable avec Achille, mordu par le serpent avec Eve ».
On peut aussi remarquer qu’en médecine chinoise, les pieds représentent le corps entier de l’homme. Ils correspondent physiologiquement aux reins et le 1er point du méridien du rein, nommé « source jaillissante » se situe sous la plante du pied.
Ce ne sont là que quelques références qui demandent bien sûr une lecture approfondie et je serais bien incapable d’en faire un vrai compte rendu et puis, je n’ai pas envie de subir le syndrome des « chevilles enflées » dont le langage populaire parle avec ironie comme marque d’orgueil.
Merci Françoise pour ce commentaire qui relie la mythologie grecque à la tradition ésotérique du judaïsme et à la cosmologie chinoise, ce qui tend certainement à montrer qu'il y a un fond commun dans les représentations de l'esprit humain.
Par contre, je ne comprends pas pourquoi la cosmologie chinoise voit le corps humain comme un arbre inversé. Dans les représentations populaires on voit souvent le feuillage comme la chevelure et les racines comme les pieds.
Peux tu nous éclairer ?
Jean-Louis
Tu as raison, Jean-Louis (comme d'hab.) et je suis allée trop vite (comme d'hab.) cette phrase sur l'arbre inversé n'était pas liée à la cosmologie chinoise mais à une représentation hébraïque qui sans explications ne se comprend pas. Donc, je la retire après cette réponse. La cosmologie chinoise nous parle bien d'un Homme situé entre Ciel et Terre (juste milieu?)et qui ne marche pas sur la tête (enfin, il essaie!)
Je n'ai pas trouvé de possibilité de corriger un commentaire sans l'effacer en entier. Tant pis! Mes erreurs resteront sur ce blog!
Enregistrer un commentaire