vendredi 27 novembre 2009

Le Père Noël supplicié


Le 6 décembre, nous nous promènerons dans les rues d’Allauch à la découverte des traditions de Noël. Nous rencontrerons peut-être un Père Noël distribuant des cadeaux aux enfants. J’espère que personne n’aura l’idée de le brûler. C’est pourtant ce qui s’est passé le 23 décembre 1951 lorsque le clergé de Dijon brûla (en effigie, heureusement) le Père Noël sur le parvis de la Cathédrale devant 250 enfants des catéchismes. C’était pour les prêtres l’occasion de rappeler que Noël est l’anniversaire de la naissance du Sauveur et non la commémoration de fêtes païennes. Le chanoine Kir, personnage fort respecté, était alors maire de Dijon. Trouvant, sans doute, que ses collègues de la Cathédrale y étaient allés un peu fort, il fit ressusciter le Père Noël qui s’adressa aux enfants du balcon de la Mairie le 25 décembre.

Arpentant les rues entre la Cathédrale et la Mairie, Claude Lévi-Strauss nous invite à redécouvrir l’origine du Père Noël qui recoupe certains rites de cadeaux donnés aux enfants à travers le monde et qui ont pour trait commun de vouloir apaiser l’âme des morts.
Chez les indiens Pueblos, par exemple, les parents déguisés, offrent des cadeaux aux enfants. Ces déguisements représentent les premiers enfants pueblos morts que l’on célèbre et que l’on veut apaiser pour qu’ils ne viennent pas rechercher les enfants actuels. On connaît Halloween : les enfants déguisés en sorcières ou en squelettes viennent effrayer les adultes qui les apaisent en leur offrant des bonbons.
Les folkloristes s’accordent pour penser que le père Noël, avant de nous revenir avec le plan Marshall et les Américains, trouve son origine dans Saint Nicolas qui lui-même est le descendant du roi des Saturnales. Les Saturnales étaient une fête romaine qui se déroulait du 17 au 24 décembre et qui avait pour objet également d’apaiser les morts. Ces fêtes donnaient lieu à des excès pendant ce que l’on appelait la « libertas décembris ». A la fin des Saturnales on brûlait l’effigie du roi. Lévi-Strauss, fait remarquer l’ironie de cette histoire : le clergé de Dijon croyant abolir un mythe l’accomplit jusqu’au bout, renouant avec ses anciennes origines.

Je me replonge ces derniers temps dans la mythologie et dans l’Histoire. Et je me souviens d’une remarque d’Olivier sur ce blog à propos de la mythologie. Il disait, avec Girard, son effroi devant la violence dont les mythes sont remplis. C’est vrai. On ne peut lire un mythe ou une page d’Histoire sans trouver la violence. Mais nous aussi « nous avons nos mythes que nous ne reconnaissons pas comme tels ». De nos jours ils s’appellent journal télévisé, séries ou jeux vidéo tout aussi remplis de violence. Je mesure la responsabilité des enseignants qui peuvent transmettre aux jeunes générations le plaisir qu’il y a dans l’étude, plaisir plus grand encore que celui qu’on peut trouver à taper sur ses voisins.
Ce plaisir on peut l’éprouver en lisant Lévi-Strauss. Par exemple lorsqu’il nous découvre certains aspects peu connus du mythe d’Œdipe, mythe qui fit les délices du bon docteur Freud et qui continue à faire celui de ses successeurs.
Alors comme le Sphinx, je vais vous poser une devinette.
Savez vous ce que signifie Œdipe ? Ce nom signifie « pieds enflés ». Or le père d’Œdipe s’appelait Laïos qui signifie « gauche, qui a du mal à marcher » et son grand père se nommait Lapdacos qui signifie « le boiteux ». Pourquoi ces rois de Thèbes avaient donc tant de mal à marcher et quel rapport y a t-il avec la sexualité ?
Un cadeau pour ceux qui répondront à la devinette.
Jean-Louis

5 commentaires:

Nicole a dit…

Mon esprit tortueux imagine une réponse mais ma raison m'interdit de la publier ici.
Au fait le cadeau est il décerné à quiconque répond ou seulement à celui qui donne la bonne réponse ?
Toutefois, lire ton article si riche d'enseignements c'est déjà un fabuleux cadeau !!!
MERCI

Jean-Louis a dit…

Chinafi ne regardant pas à la dépense, il y aura non seulement un cadeau, mais deux. Et ils seront destinés à tous les lecteurs du blog.
Jean-Louis

Nicole a dit…

c'est trop trop bien 2 cadeaux !!!!!! je suis hyper contente !!!!!!

Olivier a dit…

Cher Jean Louis,
Tu me titilles pour me forcer à répondre, je le vois bien !

Pour commencer, une petite histoire.
Il était une fois un petit village où tous les habitants vivaient leur vie paisiblement lorsque sans que l’on sache trop pourquoi, des malheurs virent à frapper le village : inondation, incendie, maladie. Tout le monde pouvait être frappé. Devant la répétition de tels malheurs les villageois se réunirent. Lors de cette grande assemblée, plusieurs villageois évoquèrent le cas de ce membre de la communauté, connu de tous, boiteux, d’origine étrangère. N’étais-ce pas lui qui, par quelque sortilège, aurait déclenché la pluie, mis le feu à la réserve de grains, empoisonné le puits ? Le temps passant, les catastrophes continuant à frapper le village, l’ensemble des villageois furent tous convaincus que la tranquillité ne reviendrait qu’après avoir expulsé le boiteux. Les protestations du boiteux ne firent que conforter la croyance des villageois dans sa culpabilité et, sans enquête, sans procès et sans ménagements, ils le chassèrent du village.

Tout le monde a entendu ce genre d’histoire et chacun y repère un phénomène bien connu de chasse aux sorcières ou de bouc émissaire.

Comment cette histoire a des chances d’être racontée par la victime émissaire si elle en réchappe ? Sûre de son innocence, elle dénoncera une formidable injustice, une persécution purement gratuite.

Maintenant, comment cette histoire a des chances d’être racontée par les villageois persécuteurs. Eux, ils sont convaincus de la culpabilité de leur victime d’autant plus que l’expulsion du boiteux a eu un effet d’apaisement général sur la communauté. Les malheurs ont bien fini par s’arrêter renforçant la croyance dans sa culpabilité. De génération en générations cette histoire va être racontée et transformée de telle sorte que le sacrifice de la victime va se retrouver progressivement mis en avant comme un acte nécessaire au maintien de la cohésion de la communauté. L’histoire va se transformer en mythe et la victime va être divinisée. Ainsi en veut l’étymologie du verbe « sacrifier » : sacrum facere ou « faire du sacré ». Voilà comment donc naissent les religions.

Dans tous les mythes, on retrouve des traces de la petite histoire invariable du bouc émissaire.

Dans le mythe d’Œdipe, on retrouve le village (Thèbes), les malheurs qui frappent le village (la peste), les signes victimaires d’Œdipe (son handicap, le fait d’être étranger), les accusations abominables (parricide et incestueux). Comment se fait il qu’avec de si nombreux indices, on ne repère pas qu’il s’agit d’une version transfigurée de la petite histoire du début et qu’on s’en tienne aux belles petites histoires bucoliques racontées par les mythes ? Et le mythe d’Œdipe n’est pas le seul. Tous les mythes présentent des similitudes, cela c’est Lévi Strauss qui le dit lui-même. Ses analyses sur les mythes ne sont pas fausses, mais, en se cantonnant dans la sphère du langage et du symbolique, il ne repère pas le mécanisme de génération du sacré à partir du sacrifice d’une victime innocente.

Pourtant il nous a été transmis des versions de la petite histoire, non pas celle des persécuteurs, mais celle des victimes. Les deux grandes victimes qui crient leur innocence et dénoncent le mécanisme sacrificiel et dont le témoignage nous est parvenu, c’est le Job de la Bible et aussi et surtout le Christ de l’Evangile, qui sont des victimes expiatoires. C’est peut être grâce à ces témoignages que nous avons la puce à l’oreille dès que nous entendons la fameuse petite histoire. Grâce à eux, nous repérons tout de suite le mécanisme à l’œuvre. Grâce à eux l’essence des religions nous est révélée.

Olivier, inspiré par René Girard.

Jean-Louis a dit…

Tu as raison, cher Olivier. J'ai écris cet article, en grande partie, pour te titiller et je suis très heureux de te relire.

J'espère que tu prépares un bel article qui permettra de reprendre nos échanges amicaux. Mais déjà ton commentaire en donne l'occasion.

Je ne pense pas qu'il faille rechercher la bonne lecture d'un mythe. Ellles se complétent toutes et, sans doute, nous en apprennent autant sur le lecteur que sur le mythe et surtout elle nous permettent de retrouver et de mieux comprendre les personnages qui forment notre imaginaire.

L'interprétation du bouc émissaire de René Girard est très intéressante et je partage son horreur de la violence.
Tu as raison de rappeler le Christ qui par son sacrifice a voulu abolir tous les sacrifices à venir : "Je suis l'Agneau du monde celui qui enlève les péchés du monde".

Il est d'ailleurs intéressant de noter un rapprochement avec Zarathoustra qui a voulu (d'après ce que nous dit l'histoire des religions), lui aussi, limiter sinon arrêter les sacrifices.

Tu as raison on retrouve dans le mythe d'Oedipe les grands thèmes des mythes. Les catastrophes s'abattent sur Thèbes à cause de l'inceste d'Oedipe. A noter que dans le mythe, Oedipe se sent coupable puisqu'il se crève les yeux. Mais cet inceste, il l'a commis sans le savoir puisque ses parents l'ont éloigné de Thèbes (en fait il voulaient le tuer) dès sa naissance à cause de l'oracle qui prédisait qu'il tuerait son père.

Ce qui me semble important c'est de ne pas se limiter à une seule lecture, à un seul modèle et c'est peut-être ce que René Girard et Claude Lévi-Strauss ont fait.

Je rapporte dans mon prochain article l'explication de la claudication donnée par Lévi-Strauss. Je ne sais quel crédit on peut lui apporter mais en tout cas, elle procure un plaisir intellectuel. Et le plaisir intellectuel n'est-il pas un moyen de lutter contre la violence ?
Jean-Louis