dimanche 13 avril 2008
Lettre à une tante : Yimutie de Wang Xizhi
« Lettre à une tante » (Yimutie) de Wang Xizhi
Il y a quelques jours, Marius et M. Galiano nous faisaient découvrir les merveilles du parc de Saint Pons qui sans leurs commentaires nous seraient passées inaperçues.
Pour moi, il en va du parc de Saint Pons comme de toutes choses. J’ai besoins d’explications pour découvrir la richesse d’une œuvre, d’un lieu. Et rien ne me fait plus plaisir que lorsque je peux croiser, rapprocher le point de vue de plusieurs personnes.
Aujourd’hui, je vous propose de découvrir la richesse d’une calligraphie de Wang Xizhi (321 -379) qui est considéré comme un des plus grands calligraphes.
Cette calligraphie se nomme « Lettre à une tante » : Yimutie. Ci-dessous vous trouverez une reproduction de la lettre originale et ci-dessus une interprétation par Weiyi.
J’ai demandé à Weiyi, Jean-François Billeter, Su Dongpo et François Jullien de nous servir de guide dans notre exploration de la forêt des caractères de cette œuvre.
Mais avant d’aborder les commentaires sur la lettre, je voudrais vous décrire comment s’y prend Weiyi pour écrire.
Il y a en premier lieu la composition de l’espace qui va servir de support à l’écriture. Cette organisation de l’espace se nomme « Zhangfa » : « art de la composition ».
La feuille est pliée de manière à identifier autant de colonnes verticales (comme des lamelles de bambous) que nécessaire pour écrire les caractères.
Une marge est laissée sur les quatre côtés de la feuille. Celle du haut se nomme « tian », le ciel; celle du bas se nomme « di », la terre.
Commence ensuite la calligraphie. En principe une dizaine de brouillons sont nécessaire pour parvenir à une composition satisfaisante. Mais, en général nous nous contentons d’un ou deux essais.
Weyi me montre l’équilibre des traits au sein des caractères et comment ceux-ci s’inscrivent dans des figure géométriques : carré, cercle, losange, triangle …
Elle me fait découvrir l’équilibre des caractères entre eux. A l’aide d’une règle posée au milieu de la première colonne sur la droite (reproduction de l’original) nous voyons que les caractères sont légèrement décalés sur la droite. Pour rétablir l’équilibre le 2ème caractère en partant du haut (yi) et surtout le troisième trait du 5ème caractère (san) sont décalés sur la gauche.
De la même manière, pour compenser le vide de la dernière colonne où ne figure qu’un caractère a incurvé légèrement sur la gauche la dernière colonne, tandis que Weiyi a profité de la place libre pour mettre une dédicace.
Pour qu’une calligraphie soit harmonieuse, il convient ensuite d’éviter les répétitions qui engendreraient la monotonie.
Mais laissons la parole à Jean-François Billeter. « Un calligraphe exercé trouve dans le retour d’éléments semblables l’occasion de variations qui lui serviront à enrichir la composition tout en lui donnant une cohésion plus forte ».
Le prénom du calligraphe Xizhi figure deux fois dans la composition. 7 et 8 ème caractères de la première colonne et 5 et 6 ème de la 5 ème colonne. Ils sont reproduits dans l’image ci-dessous qui permet d’apprécier les variations.
Mais écoutons JF Billeter : « Le 7ème caractère de la première colonne est dense. Il a l’allure d’une matrone curieusement attifée et pleine d’aplomb malgré son petit pied. » pour compenser cette densité le Xi est suivi d’un Zhi éthéré.
Dans la 5ème colonne, le prénom est écrit d’une autre manière. Le Xi (5ème caractère) « s’élance vers la gauche comme la patineuse de Bonnard. Le Zhi qui suit rattrape et inverse l’élan comme cela se fait quand on valse sur la glace ».
Nous retrouvons ce souci de l’équilibre que nous avions découvert dans l’analyse du poème « l’enclos aux cerfs » : un thème (le silence de la montagne) est à peine esquissé qu’il est compensé par un autre (l’écho de la voix des hommes).
Dans son livre « L’éloge de la fadeur », François Jullien reproduit également le prénom de Wang Xizhi tel que calligraphié dans « la lettre à une tante ».
Il cite Su Dongpo qui compare les maîtres de la calligraphie de IV ème siècle (époque où vécut Wang Xizhi) et ceux des Tangs. Par leur virtuosité poussée à l’extrême, par la magnificence de leur talent les maîtres des Tang « surpassent toutes les générations. Mais cet air d’élévation d’au-delà le monde de la poussière qui caractérisait la tradition des Wei et des Jin (III et IVème siècle) s’est trouvée du même coup légèrement perdu. »
Et François Jullien nous invite à méditer sur ce thème : « l’art le plus parfait n’est pas nécessairement celui dont l’effet est le plus réussi; car il est déficient en raison de cette perfection. Evoquant les calligraphies de Wang Xi Zhi, Su Dongpo les qualifient de « traces désolées – éparses – simples – lointaines et leur merveilleuse réussite réside au-delà du trait et du pinceau. » Malgré une technique très aboutie (comme on a pu le voir), les calligraphies de Wang Xizhi conservent une simplicité qui leur permet « de contenir la saveur la plus extrême. » On reconnaît ce thème déjà évoqué : la simplicité (ou le vide) « accueille en lui tous les mondes possibles » Su Dongpo.
Voilà la visite est terminée. Il nous reste à remercier nos guides. Ils avaient encore beaucoup à nous dire. Car comme l’écrit JF Billeter à propos de la culture chinoise, mais cela pourrait, bien sûr, s’appliquer à toutes les cultures : « la culture multiplie le plaisir. La lecture détachée à laquelle il (l’amateur) revient après de multiples allers et retours est une lecture enrichie, une synthèse des observations qu’il a faites sur l’œuvre même, des associations qu’elle a éveillées en lui, des émotions qu’il a éprouvées à son contact. Dans les grandes œuvres, cette synthèse peut être indéfiniment reprise et approfondie. »
A suivre,
Jean-Louis
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