samedi 29 septembre 2007

Larme



Cette belle calligraphie représente le caractère qui signifie larme.
A gauche : la clef de l’eau, à droite un œil stylisé.
Elle se contemple et elle se lit. Dans nos échanges sur le forum (plaidoyer pour un cancre), nous avons vu que le caractère wen dans sa graphie originelle illustrait la proximité entre la peinture et l’écriture chinoises. Ce thème est développé dans le livre d’Anne Kerlan-Stephens et Cécile Sakai : « Du visible au lisible ». Elles citent Zhang Yanyuan qui dans un texte fondateur du IX° siècle écrit :
« En ce temps là, écriture et peinture étaient de forme similaire, on ne les distinguaient pas encore …Comme il n’existait nulle façon de transmettre les idées, il y eut l’écriture, comme il n’existait nulle façon de rendre visible les formes, il y eut la peinture : telle était l’intention du Ciel, de la Terre et des Sages ».

Cette calligraphie pourrait illustrer un des thèmes du Rêve dans le Pavillon Rouge : la souffrance des femmes que Cao Xueqin a connu dans sa jeunesse et dont il veut conserver la mémoire : souffrance des femmes vendues, souffrance des femmes battues, souffrance des femmes victimes d’un mari violent (thème récurrent dans le roman).

Ce thème est annoncé dans un beau prologue où l’auteur expose le projet de son livre: « Demeurant à présent en proie aux vents et poussières de ce bas monde, sans avoir en rien, réussi à rien me revient brusquement le souvenir de toutes les filles et jeunes femmes dont j’étais naguère entouré; et je découvre en les comparant consciencieusement les unes aux autres et à moi-même, que par leurs comportements et leurs discernements, elles m’étaient toutes supérieures …je ne saurai à aucun prix les laisser toutes ensemble s’éteindre dans l’oubli ».

Il est repris dans un passage qui illustre bien les propos d’Anne Kerlan-Stephens et de Cécile Sakai : « la pratique de l’écriture idéographique et une certaine éducation du regard ont formé un modèle de réception esthétique original où l’interprétation, la recherche de l’implicite jouent un grand rôle. Cette pratique donne à voir et à lire des significations inattendues, secrètes ou parallèles ». Voici ce passage.
Au début du roman Jade magique fait un rêve prémonitoire où des petites servantes viennent lui présenter, des deux mains, un thé merveilleux :

«Ce thé, lui dit l’Immortelle, se récolte dans la Caverne aux Exhalaisons de Fragrances, des Monts de Libération des Printemps…Il est infusé dans la rosée nocturne que retiennent les fleurs et les feuilles des plantes surnaturelles. On le nomme « Mille rougeurs dans un même creux » ».

Or, le rouge et les fleurs sont les symboles des filles et le mot qui se traduit par creux, en chinois, est homophone d’un mot qui signifie « pleurer ». Le nom du thé peut donc également signifier : « toutes les filles pleurent ensemble ».
Peut-être la personne d’origine chinoise, spécialiste du Rêve pourra nous écrire cette expression en chinois.
Nous retrouverons cette approche de la réception esthétique en visitant les jardins de Suzhou.
A suivre,
Jean-Louis

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Jean Louis d'avoir publié à nouveau ce message. J'ai cru un instant qu'une mauvaise censure était passée par là :-)

Pour enrichir le débat, voici un lien intéressant sur les apports de la science moderne, la psychologie expérimentale en l'occurence, sur l'écriture chinoise et qui montre qu'en dépit des contrastes évidents entre les formes graphiques du chinois et les écritures alphabétiques, il existe une grande proximité des processus cognitifs mis en jeu par la lecture de ces écritures de types différents.

Olivier

Anonyme a dit…

Ce lien est effectivement interessant, il apporte un éclairage nouveau sur la comparaison entre les écritures alphabétiques et le chinois.

J'ai particulièrement apprécié le passage sur les difficultés de l'apprentissage de la lecture du chinois face à la segmentation.

Toutefois, je vais relire ce texte car je n'ai pu dès la 1ère lecture en saisir toutes les subtilités.

Merci

Nicole

Anonyme a dit…

Merci Olivier pour ce lien.
Je vais imprimer le texte pour le lire attentivement.
Toujours concernant l'écriture chinoise, je suis en train de lire le livre de Jean-François Billeter qui est passionnant. Je pense que nous aurons l'occasion d'en reparler.
Jean-Louis

Anonyme a dit…

j'ai également imprimé le texte conseillé par Olivier
mais je ne comprends pas ce que veulent dire :
1-médiation par la parole
2-recodage phonique
et ce dans le paragraphe intitulé "le phonétisme intervient nécessairement dans la lecture du chinois"
merci

Anonyme a dit…

"On sait que les débutants verbalisent chaque mot pour en saisir le sens".

Pour comprendre le sens d'un mot, un lecteur débutant doit donc prononcer le mot à voix haute. La vision du mot ne suffit pas pour la compréhension de celui ci. Il faut donc une étape intermédiaire : la prononciation du mot. C'est le sens de l'expression : médiation par la parole (médiation a les sens ici d'intermédiaire).

Pour les débutants, l'information sur un mot lu, donnée donc par les yeux est codée en terme de code visuel. Ce code n'est pas compris par le cerveau. Il faut que le débutant recode ces informations dans un autre code, le code de la parole. Cette opération de recodage dans le code de la parole, c'est le recodage phonique.

J'espère que c'est plus clair.

Bises

Olivier

Anonyme a dit…

谢谢橄榄树老师
je retrouve là ton talent de pédagogue c'est très clair
j'ai tout compris
merci
Nicole