jeudi 9 août 2007

Cao Xueqin, Proust, Brassens

On pourrait faire de nombreux rapprochements entre "Le Rêve dans le Pavillon Rouge" et "La Recherche du Temps Perdu".
Deux petit fils (Boayu dans "le Rêve", le Narrateur dans "la Recherche") choyés par leurs grand-mère, entourés de jeunes filles en fleurs et portant sur elles le même regard et partageant le même sentiment de l'éphémère, du temps qui passe.
Ce sentiment de l'éphémère on le retrouve dans scène étonnement proche dans les deux livres.
Les deux héros qui sont des citadins rencontrent, alors qu'ils ont quitté la ville, deux jeunes campagnardes et sont pareillement fascinés par elles. La rencontre est bien sûr fugitive et va leur laisser un même déchirement.
Je ne peux dans le cadre de ce message que citer de courts extraits (plus tard peut-être nous développerons cette comparaison dans le blog).


Dans la Recherche le narrateur va rejoindre en train sa grand-mère à Balbec.
« Le train s’arrêta à une petite gare entre deux montagnes. Si un être peut être le produit d’un sol dont on goûte en lui le charme particulier… ce devait être la grande fille que je vis sortir de cette maison et, sur le sentier qu’illuminait obliquement le soleil levant, venir vers la gare en portant une jatte de lait. .. Elle longea les wagons, offrant du lait à quelques voyageurs réveillés. Empourprés des reflets du matin, son visage était plus rose que le ciel. Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur…
La vie m’aurait paru délicieuse si seulement j’avais pu, heure par heure, la passer avec elle…Elle m’aurait initié aux charmes de la vie rustique et des premières heures du jour. Je lui fis signe qu’elle vint me donner du café au lait. J’avais besoin d’être remarqué d’elle. Elle ne me vit pas, je l’appelai. Elle revint sur ses pas…Elle posa sur moi son regard perçant, mais comme les employés fermaient les portières, le train se mit en marche ; je la vis quitter la gare et rejoindre le sentier, il faisait grand jour maintenant : je m’éloignais de l’aurore. ..Cette belle fille que j’apercevais encore, tandis que le train accélérait sa marche, c’était comme une partie d’une vie autre que je connaissais, séparé d’elle par un liseré, et où les sensations qu’éveillaient les objets n’étaient plus les mêmes et d’où sortir maintenant eût été comme mourir à moi-même. »


Mêmes sentiments éprouvés par Jade Magique dans une scène où il fait également la rencontre d’une jeune paysanne.
A l’occasion des funérailles de la jeune dame Qin, le cortège fait halte dans une ferme. Avec son ami Qin Cloche d’Or,
« il s’introduisit dans une chambre, aperçut un rouet dressé sur un lit de brique, et s’ébahit de plus belle de la bizarre singularité de ce nouvel objet…Il venait de grimper sur le lit de brique pour manier le rouet, lorsque entra une jeune campagnarde, dans sa dix-septième ou dix-huitième année, qui lui cria : « N’allez pas me le gâter ! ».
Tous les valets se précipitèrent sur elles, en la gourmandant à grands cris. Mais le frérot Jade lâcha le rouet et expliqua :
« C’est que je n’en avais jamais vu. J’essayais de le manœuvrer.
- Comment sauriez-vous le faire ? répondit la fille. Ecartez-vous de là et laissez-moi le faire tourner, je vais vous montrer. »
… Il voulait lui parler, quand se fit brusquement entendre, à côté, la voix d’une vieille femme qui criait : « Petite Deuxième-née, viens vite par ici ! »
Sur quoi, la jeune campagnarde abandonna le rouet et, d’un seul élan s’esquiva.
Le frérot Jade demeurait mornement désenchanté… »
Mais vient le moment de quitter la ferme. L’intendant a fait remettre aux fermières un paquet de sapèques à titre de gratification.
« Elles s’empressèrent aussitôt de venir s’acquitter des salutations de remerciement…Le frérot Jade eut beau les considérer toutes très attentivement, il ne vit pas trace de la jeune fileuse. »
Mais la voiture n’avait encore fait qu’un petit bout de chemin,
« lorsqu’il l’aperçut tout à coup, debout, à l’entrée du village, portant dans ses bras un marmot, accompagnée de deux fillettes, et les yeux tournés vers lui. Irrésistiblement ému, mais enfermé dans la voiture, il ne pu mieux faire que lui lancer, du coin de l’œil, un regard chargé de tendresse. Et, quand il se retourna presque aussitôt, mais emporté par le vent, à la vitesse de l’éclair, il n’en restait aucun vestige. »

Bien des années plus tard, Georges Brassens et Antoine Pol, écrivaient "Les Passantes" que je vous invite à écouter en lisant ces deux chefs d'oeuvre.
Jean-Louis

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