samedi 21 mai 2011

Ut pictura poesis, 诗 中 有 画, 画 中 有 诗


Branche de pêcher, Shitao

Ut pictura poesis est une phrase d’Horace, 诗 中 有 画, 画 中 有 诗 (shī zhōng yǒu huà,huà zhōng yǒu shī) est une phrase de Su Shi. Elles signifient à peu près la même chose : la poésie est peinture, la peinture est poésie.

Ces deux phrases soulignent l’intime relation entre poésie et peinture, entre image et écrit présente dans toutes les cultures mais qui est sans doute renforcée en Chine de par le caractère de son écriture et de sa calligraphie.

La phrase de Su Shi est un commentaire des poèmes et des peintures de Wang Wei. Elle est très célèbre en Chine. J’ai pu le vérifier dernièrement en l’évoquant avec des étudiants chinois qui la connaissaient tous. Il faut, sans doute, voir là une survivance de la tradition lettrée qui a établit des liens très étroits entre la peinture, la poésie et la calligraphie. Les lettrés étaient à la fois peintres, poètes et calligraphes. Sur un même support on peut lire et contempler une peinture et un poème calligraphié qui « évoquent sur des modes parallèles et complémentaires les sensations, les impressions de l’artiste ».

Les exemples de cette mise en écho de la poésie et de la peinture sont innombrables dans l’art chinois. Dans le cadre de cet article, Je me bornerai en en évoquer deux.

J'ai trouvé le premier dans le tableau de Shitao intitulé : Branche de pêcher. Le peintre-poète a calligraphié en marge de son tableau le poème suivant :

« Clair de lune épandu sur la montagne,
Ou couleur d’aurore inondant le ciel…
Le vent d’est en ayant cueilli l’éclat
Vient au monde pour éclore en fleurs. »

Shitao

Illustration poétique et picturale de la pensée chinoise. Le souffle « est en constante circulation entre sa source indéterminée et la multiplicité infinie de ses formes manifestées ». Toute chose n’est qu’un état de plus ou moins grande condensation du souffle. Le souffle représenté ici par le vent se manifeste, prend la forme, éclot en fleurs.

Le second exemple m’a été donné par mon amie Yang Zhihong que je tiens à remercier ici.
Voici le tableau :

Ma Yuan, Pêcheur solitaire

Et voici le poème :

« Un millier de collines – mais pas d’oiseaux en vol,
Dix mille chemins – sans une trace humaine.
Un bateau solitaire, un vieil homme avec un chapeau de roseaux et un vêtement de pluie,
Pêche seul la neige sur le fleuve glacé.»

Liu Zongyuan (773 - 819 ap. J.-C.).

Ce poème fut souvent « mis en peinture ». Ici par un tableau de Ma Yuan (1180-1224). Poème et peinture rendent parfaitement l’art du Vide (留白 liu bai). Le Vide autre notion centrale de la pensée chinoise. Le Vide « qui étant par excellence virtualité est paradoxalement la racine de la vie. »

En Europe, même si elle a été explorée moins loin, l’affinité entre la poésie et la peinture a été reconnue de longue date comme en témoigne le vers d’Horace. En évoquant la poésie et la peinture, les Anglais parlent de sister arts .

En France, Marcel Proust qui écrivait à Jean Cocteau : « mon volume est un tableau » est, sans doute, un des auteurs qui a le mieux exprimé la proximité entre la littérature et la peinture. La Recherche du Temps Perdu fait référence à plus d’une centaine de peintres.

Proust décrit très clairement comment les sensations issues de nos différents sens : la vue, l’ouïe, l’odorat peuvent se transposer d’une forme dans une autre : un son peut être mouillé, lumineux et prendre la forme d’une sphère ; le charme de la pluie ou du soleil peut se traduire en sons :

« Il y avait des jours où le bruit d’une cloche qui sonnait l’heure portait sur la sphère de sa sonorité une plaque si fraîche, si puissamment étalée de mouillé ou de lumière, que c’était comme une traduction pour aveugles, ou si l’on veut, comme une traduction musicale du charme de la pluie, ou du charme du soleil. Si bien qu’à ce moment-là, les yeux fermés, dans mon lit, je me disais que tout peut se transposer et qu’un univers seulement audible pourrait être aussi varié que l’autre. »
Marcel Proust, La Prisonnière

Shitao a, lui aussi évoqué, le phénomène de la transposition dans une très belle phrase :
« Je parle avec ma main, tu écoutes avec tes yeux ; et nous nous comprenons, n’est-ce pas, en un seul sourire. »

Si tout est transposable, la peinture peut être poésie et la poésie peut être peinture. Marcel Proust a écrit de nombreux tableaux. L’un des plus beaux, un tableau de paysage, lui fut inspiré par le sommeil d’Albertine :

« …son sommeil, au bord duquel je rêvais avec une fraîche volupté dont je ne me fusse jamais lassé et que j’eusse pu goûter indéfiniment, c’était pour moi tout un paysage. Son sommeil mettait à mes côtés quelque chose d’aussi calme, d’aussi sensuellement délicieux que ces nuits de pleine lune, dans la baie de Balbec devenue douce comme un lac, où les branches bougent à peine ; où étendu sur le sable, l’on écouterait sans fin se briser le reflux. »
Marcel Proust, La Prisonnière
Jean-Louis

Bibliographie
Shitao, la saveur du monde, François Chen, Editions Phébus
Du visible au lisible, Anne Kerlan-Stephens et Cécile Sakai, Editions Philippe Piquier
Histoire de la pensée chinoise, Anne Cheng, Editions du Seuil, Points
A la recherche du temps perdu, La Prisonnière, Marcel Proust, Editions Le Pléiade
Le Musée imaginaire de Marcel Proust, Eric Kaperles, Editions Thames et Hudson

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Bonjour, J'ai ete tres interesse par vos propos sur la peinture et la calligraphie. J'ai decouvert par hazard votre article car je suis a la recherche de documentation sur le theme du poeme et de la peinture. Je voudrais realiser ce concept mais avec une photo et un poeme calligraphie. Par chez nous ce concept n'est pas tres courant surtout si vous voulez que le poeme ne soit pas un descriptif de la photo ou l'inverse. Ce concept chinois n'est pas facile a mettre en œuvre.
Je suis etonne que dans la biblio de votre article vous ne citez pas le livre 'Les Propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amere'.
Cordialement.
Christian