mercredi 31 mars 2010

Quand Lévi-Strauss se trompait...


Chu Ta, Le Voyageur solitaire, Metropolitan Museum NYC

Le peintre à dos de mulet
Entre pas à pas
Dans le paysage de son tableau
Ping Hsin citée par François Cheng


Dernièrement, je relisais Regarder, Ecouter, Lire, un des derniers livres de Lévi-Strauss. On y trouve de très belles pages sur la musique, sur la Recherche du temps perdu qu’on aimerait citer en entier tant elles donnent à penser.
Pourtant je relevais, ce qui m’a semblé être une assimilation hâtive entre la peinture occidentale et la peinture chinoise.
Voici le passage :
« Que le suprême talent, pour l’artiste, soit d’imiter la réalité à s’y méprendre, c’est pourtant là un lieu commun du jugement esthétique qui, même chez nous jusqu’à une époque récente, a longtemps prévalu. Pour célébrer leurs peintres, les Grecs accumulaient les anecdotes : raisins peints que venaient picorer les oiseaux, mages de chevaux que leurs congénères crient vivants, rideau qu’un rival demandait à l’auteur de soulever pour pouvoir contempler le tableau dissimulé derrière. La légende fait crédit à Giotto, à Rembrandt, du même genre de prouesse. Sur leurs peintres fameux, la Chine, le Japon racontent des histoires très voisines : chevaux peints qui, la nuit, quittent le tableau pour aller paître, dragon s’envolant dans les airs quand l’artiste ajoute le dernier détail qui manquait ».

Il est exact que l’histoire de la peinture chinoise fourmille d’anecdotes de ce type : c’est un peintre qui trouve refuge dans son tableau, c’est un dragon qui s’envole lorsque l’artiste ajoute les pupilles qui lui manquait. Mais si le peintre peut trouver refuge dans son tableau ce n’est pas parce qu’il a peint un paysage ressemblant à la réalité comme ont pu le faire les artistes occidentaux cités par Lévi-Strauss. C’est parce que, pour les Chinois, sa peinture a recréé un monde réel.
Selon Wang Wei (701-761), la peinture n’est pas une image : elle est le réel (in La culture du Shanshui de Yolaine Escande). Et Pierre Ryckmans dans Ses commentaires sur les propos de Shitao « La peinture n’est pas un décalque, un démarquage du monde mais une réalité parallèle au monde… ».
La peinture chinoise ne se veut donc pas une imitation du réel, mais une recréation du réel. Pour mieux le comprendre, il faut rapprocher cette conception de la peinture de la conception chinoise de l’écriture dont on sait qu’elles sont très proches.
Anne Cheng dans son Histoire de la pensée chinoise écrit à propos de l’écriture chinoise : « D’origine divinatoire, elle est accréditée de pouvoirs magiques associés plus généralement à tout signe visible.
Au lieu de s’appuyer sur constructions conceptuelles, les penseurs chinois partent des signes écrits eux-mêmes. Loin d’être une concaténation d’éléments phonétiques en soi dépourvus de signification, chacun d’eux constitue une entité porteuse de sens et se perçoit comme « une chose parmi les choses » Cela est si vrai que lorsque, par exemple, il manque du bois dans le thème astrologique d’un enfant ses parents on coutume de lui donner un nom contenant l’élément bois. Le caractère d’écriture peut se substituer à l’élément manquant car il est aussi réel que la chose nommée.

Voilà. Mais il faut être prudent. Je ne sais si mes remarques sont judicieuses. Si Lévi-Strauss était encore là, peut-être lui aurais je fais part de les doutes, et sans doute m’eut-il répondu comme il le faisait lorsqu’on lui écrivait.
Jean-Louis

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Coucou,JL

Je te recommande un bon film très frais, que j'ai vu hier soir, intitulé "Achilles et la tortue" pour connaître aussi les peintures japonaises.

*** *** ***
Flot de cinéma

Jean-Louis a dit…

Effectivement, cher flot de cinéma. J’ai vu ce film et je l’ai recommandé à tous mes amis. Comme tu le dis c’est un film très frais, très émouvant et parfois très drôle. Le héros est un doux dingue qui court après le succès sans jamais le rattraper, comme Achille dans la théorie de Zénon d’Elée, incapable de rattraper une tortue qui, pourtant, avance moins vite que lui.

J’aime beaucoup cette image. Ne courrons nous pas tous après nos rêves sans jamais pouvoir les rattraper ?

Mais tu sais, cher flot de cinéma, notre bonne ville de Marseille a beaucoup de qualités. Mais elle a au moins un défaut. Ses salles de cinéma ne projettent pas longtemps les films surtout lorsqu’ils sont bons. La prochaine séance a lieu Aux Variétés à 13h40. Avis aux amateurs.
Flot de rêves

nicole a dit…

quel plaisir de te lire cher ami
comme tu n'as pas l'air de vouloir venir à Marseille nous envisageons notre prochaine excursion chinafienne dans la forêt de Fontainebleau
qu'en pensez vous ?
DANS LE REGISTRE CINEMA ET PEINTURE : "Ivre de femmes et de peinture" Film coréen d'Im Kwon-taek est à recommander également.