mardi 13 janvier 2009

Une énigme



Wou Tchen (1280-1354) Bambous et rocher

Dans un livre intitulé Haï, JMG Le Clézio écrit cette phrase un peu énigmatique :

« Il faudrait parler de cette expérience comme on parle de la mer, par exemple. Elle était là, on la côtoyait tous les jours, on la regardait, on y pensait, mais on ne savait pas ce qu’elle voulait. Mais la mer, elle, savait. C’était elle qui entourait les villes, elle qui organisait les pensées des hommes, qui réglait ses musiques, ses tableaux et ses poèmes. Et non pas l’inverse. Comment imaginer cela ? Quand on se servait des mots du langage, et qu’on les alignait sur la feuille blanche, on ne s’en doutait pas, mais ce qu’on alignait, c’étaient des coquillages. Ce qu’on découvre alors, un jour, comme cela, rien qu’en étant assis sur un rocher devant la mer, vous comprenez, c’est que l’expérience des hommes est incluse dans l’expérience de l’univers. Ca, c’est vraiment terrifiant, et en même temps délectable, parce qu’à ce moment-là, beaucoup de mots apparaissent, beaucoup de mots s’écroulent. Cela veut dire que le langage est une expression de l’univers modifiée par la bouche des hommes, un langage interprété en quelque sorte, dont l’original restera toujours sans traduction. »

Quel rapport peut-il y avoir entre la peinture d’un artiste chinois de la dynastie des Yuan et le texte d’un auteur français contemporain ?
Que peut bien vouloir dire Le Clézio ? Les mots seraient des coquillages ? Les livres, les musiques, les tableaux des hommes seraient contenus dans le flux de la Nature ? Quel est ce renversement de perspective auquel nous convie Le Clézio ? Quelle est cette expérience terrifiante et délectable dont il parle ?
C’est ce que nous allons tenter de découvrir le long d’une série d’articles.

Un premier indice pour résoudre cette énigme ne tiendrait-il pas dans le fait que Le Clézio raconte dans son livre sa rencontre avec le monde amérindien. Faut-il faire un détour par d’autres cultures pour en trouver la solution ?

Fortement influencés par le cartésianisme, nous avons un peu de mal à comprendre ce texte. Nous avons l’habitude de dire : je parle, j’écris, je pense, j’écoute de la musique ….et non les choses se pensent en moi, la musique se vit en moi.
Il semble que le fameux « Je pense donc je suis » qui nous parait évident aurait été difficile à traduire en chinois ancien. Anne Cheng dans son Histoire de la pensée chinoise nous signale « qu’au regard des langues indo-européennes, l’un des faits les plus frappants est l’absence en chinois ancien du verbe « être » comme prédicat » et elle cite Jean Beaufret « La source est partout, indéterminée, aussi bien chinoise, arabe qu’indienne …mais voilà, il y a l’épisode grec, les Grecs eurent l’étrange privilège de nommer la source « être ». »
Et Nicolas Zufferey dans Introduction à la pensée chinoise nous dit « qu’en chinois classique, le sujet de la phrase peut naturellement tomber ».

« Source indéterminée » : conservons en mémoire cette expression : elle nous fournit un second indice très important car vous vous souvenez peut-être que nous l’avons rencontré dans différents textes traitant du taoïsme.

Nous y reviendrons bien sûr, mais auparavant pour tenter de mieux comprendre l’expérience délectable dont nous parle Le Clézio, nous allons la rapprocher d’autres expériences vécues en des lieux et des époques différentes. Nous suivrons un promeneur solitaire perdu dans ses rêveries le long d’une petite rivière des Alpes, nous surprendrons un adolescent à son réveil et nous recueillerons les confidences d’un ethnologue remontant le rio Machado à la rencontre des indiens Tupi-Kawahib. Puis, mais vous l’aviez deviné, nous partirons pour la Chine lointaine afin de tenter un parallèle entre ces expériences et celle des sages chinois qui se sont essayés à ce qu’ils ont nommé « la culture de soi ». Ce sera aussi l’occasion de chercher et de présenter de beaux textes qu’ils soient français ou chinois, de belles calligraphies, de merveilleux tableaux et poèmes et peut-être de vous donner envie, de nous donner envie d’approfondir la connaissance de ces œuvres.

A suivre…

Françoise,
Jingping,
Weiyi,
Jean-Louis

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel programme, que de découvertes en perspective, je m'en délecte par
avance.
Une fois encore merci à vous pour ce beau cadeau (d'anniversaire...)

Anonyme a dit…

Bravo à vous toutes et tous pour ce travail collectif.
On attend la suite...
Olivier