jeudi 8 janvier 2009

Des masques et des noms

Bronze Shang







Peintures faciales des femmes Caduveo


Peinture représentant un ours, Canada, Indiens Haida



Dans un texte déjà ancien publié pour la première fois en 1944 et intitulé « le dédoublement de la représentation », Claude Lévi-Strauss met en correspondance des bronzes de la Chine archaïque, des peintures corporelles observées sur les visages des femmes Caduveo (société indienne du Brésil central) et divers objets d’art provenant des indiens de la Colombie britannique.
Ces œuvres sont très belles et le seul fait de les contempler nous transporte au pays des rêves et dans un monde fabuleux. Avec elles Lévi-Strauss nous emmène dans le pantanal brésilien, un des plus grand marécage du monde, territoire des Caduveo, il nous invite ensuite à remonter le temps pour contempler les bronzes de la dynastie des Shang comme on peut les voir au musée de Shangaï, puis nous transporte sur les zones côtières de la Colombie Britannique là où les sommets enneigés des montagnes rocheuses se jettent dans la mer en face de l’Ile de Vancouver ou des Iles de la reine Charlotte.
Mais quel est le point commun à ces œuvres ? C’est d’offrir une représentation dédoublée c'est-à-dire des motifs semblables s’opposant en deux moitiés affrontées autour d’un axe médian comme sont dans un rapport symétrique les deux moitiés d’un visage (yeux, oreilles…) ou d’un masque. Le point commun de toutes les sociétés considérées est, en effet, que ce sont des sociétés à masques.

Bien sûr les masques existent dans toutes les cultures et Claude Lévi-Strauss nous rappelle plaisamment que « dans cosmétique, il y a cosmos ; et ce n’est pas un hasard si le mot masque a pu s’introduire dans le vocabulaire des instituts de beauté…en se faisant coiffer, en masquant son visage de crème, de poudre et de colorants divers, en rectifiant, à l’aide du pinceau et du crayon, des traits irréguliers pour leur conférer un style, l’élégante exécute, sans le savoir, sur sa figure – univers en miniature – les gestes du démiurge, organisateur du cosmos, destructeur des monstres, introducteur des arts de la civilisation. »

Toutefois, les masques occupent une place particulière dans les cultures dont Claude Lévi-Strauss nous présente les objets. Leur fonction est très souvent magique. Ainsi dans la Chine ancienne on mettait des masques sur le visage des enfants pour détourner d’eux les maladies. Il est intéressant de noter que ce caractère magique se rencontre dans les noms et encore aujourd’hui on donne parfois aux enfants des noms dépréciateurs (petit cochon, vilain canard…) dans le même objectif.
La fonction des masques dans les sociétés considérées est également d’assurer le passage du surnaturel au social. Le point commun de ces cultures est d’accorder une place importante aux généalogies, aux lignées, à l’ancestralité : les masques représentent l’ancêtre. « Les masques à volets, qui présentent plusieurs aspects de l’ancêtre totémique, tantôt pacifique, tantôt irrité, tantôt humain et tantôt animal, illustrent de façon frappante le lien entre le dédoublement de la représentation et les masques ». Le surnaturel est destiné avant tout à fonder un ordre de castes par la préséance des généalogies. Les peintures corporelles ont pour objet de graver non seulement sur le corps mais dans l’esprit les traditions de l’ethnie.

Claude Lévi-Strauss, à notre connaissance, a rarement parlé de la Chine. Pourtant sa pensée et celle de certains auteurs français comme Michel Foucault, offre parfois des points de convergence très curieux avec la pensée chinoise.
Il raconte que, lorsqu’il était adolescent, ses parents avaient acheté une petite magnanerie dans les Cévennes. De là il s’élançait pour d’excitantes randonnées de nuit à l’assaut du mont Aigoual. Un de ses grands plaisirs, avec ses amis, était de donner comme objectif à ses randonnées le suivi d’une ligne de fracture géologique.

Le petit article que nous vous avons présenté aujourd’hui est un avant propos à une série d’autres où nous vous proposerons une randonnée dont « la ligne de fracture géologique » sera de considérer les points de convergence que l’on peut trouver entre certains courants de la pensée française dont le trait commun est de n’être pas des « philosophie du Sujet » et certains aspects de la pensée chinoise ou orientale, notamment le bouddhisme et le taoïsme.
Nous essayerons de faire en sorte que cette randonnée soit aussi excitante et nous fasse découvrir des choses aussi fabuleuses et mystérieuses qu’une randonnée de nuit dans les forêts et les montagnes de la Sainte Baume.


A suivre,
Françoise
Jingping
Weiyi
Jean-Louis

1 commentaire:

Anonyme a dit…

N'a t-on pas déjà un lien entre l'axe médian, la ligne de fracture et l'importance du vide créateur - François Cheng parle aussi de vide médian -