jeudi 7 août 2008

Wuwei, le non-agir. Taoïsme (1ère partie)



Laozi, le vieux Maître ou le vieil enfant (sa mère l’aurait porté 72 ou 81 ans) désabusé par la décadence des Zhou aurait décidé, selon la légende, de partir vers l’Ouest, vers le monde sauvage. Franchissant une passe, il fut arrêté par le gardien qui le pria de rédiger un livre contenant son enseignement. C’est ainsi qu’aurait pris forme le Laozi ou Daode Jing, le « Livre de la voie et de la vertu » en cinq mille mots, ouvrant une des « voies taoïstes ».

Le Laozi tente de répondre à des préoccupations dominantes à son époque, la fin des Royaumes Combattants (IVème siècle avant Jésus-Christ), mais toujours, oh combien d’actualité !
Dans un contexte où les principautés les plus puissantes en arrivent à lutter à mort pour l’hégémonie, le problème le plus pressant est de savoir comment sortir du cercle vicieux de la violence.

La réponse du Laozi, paradoxale s’il en fut, c’est de ne rien faire, de rester dans le « non- agir » : le « wu wei ».
Que faut-il entendre par « non-agir » ? Le Laozi part de la constatation que la force finit toujours à se retourner contre elle-même.

« Ne cherche pas à primer par les armes
Car primer par les armes appelle la riposte »

Ainsi le non-agir vise à briser le cercle de la violence en absorbant l’agression, en s’abstenant d’agresser en retour pour ne pas tomber dans la surenchère et pour au bout du compte faire en sorte que l’agression devienne inutile.

Pour illustrer son paradoxe central : la stratégie qui consiste à vaincre en cédant, le Laozi a recours à une métaphore : l’eau.
L’eau représente l’élément le plus humble en apparence qui, bien que ne résistant à rien, vient pourtant à bout des matières réputées les plus solides.

« L’homme du bien suprême est comme l’eau
L’eau bénéfique à tout n’est rivale de rien
Elle séjourne aux bas-fonds dédaignés de chacun
De la Voie elle est toute proche
Rien au monde n’est plus souple et plus faible que l’eau
Mais rien ne saurait prendre sa place
Que faiblesse prime force
Et souplesse dureté
Nul sous le Ciel qui ne le sache
Bien que nul ne le puisse pratiquer. »


Cette métaphore de l’eau se retrouve chez de nombreux penseurs chinois en fréquente association avec le Dao dont elle est la figuration par excellence : comme le Dao, l’eau jaillit d’une source unique et constante tout en se manifestant sous une multitude de formes.
L’eau est au cœur de tout un réseau métaphorique. De fait elle coule toujours au plus bas, elle va ce vers quoi tout le reste conflue, appelant ainsi l’image de la Vallée.

« L’esprit de la Vallée ne meurt pas
Il a nom mystérieux féminin
La porte du mystérieux féminin
A nom racine du Ciel-Terre
Un mince fil –c’est à peine s’il existe-
Et pourtant, il a beau servir, jamais il ne s’use ».

Dans son humilité (et son humidité) elle est pourtant ce qui donne vie à toute chose, symbole en cela de la femme, du Yin qui conquiert le Yang par attraction plutôt que par contrainte. De la figure du féminin, on en arrive naturellement à celle de la Mère dont le Laozi ne fait rien moins qu’une des désignations de la Voie elle-même : « Mère des dix mille êtres »
L’eau est là pour illustrer ce paradoxe : le faible réussit à triompher du fort, le souple du rigide. Cette idée est à la base des arts martiaux (judo est la prononciation japonaise de roudao : « la voie du souple ».

Cette possibilité pour le faible de vaincre le fort, pour le souple de l’emporter sur le rigide est, bien sûr, liée à la notion de contraires complémentaires qui s’échangent mutuellement, à la loi cyclique selon laquelle tout ce qui est fort a été, à l’origine, faible et est destiné à le redevenir.

Mais pourquoi le Laozi préfère t-il le faible au fort, le souple au rigide, le vide au plein, le silence aux paroles, le non-agir à l’agir, le féminin au masculin ?

A suivre,
Jean-Louis

Les sources des deux articles consacrés au taoïsme sont :
- Histoire de la pensée chinoise d’Anne Cheng (le premier article en cite de longs extraits)
- Comprendre le Tao d’Isabelle Robinet (Editions Albin Michel)
- Les articles de Guillaume Dutournier dans le numéro spécial du Point consacré à la pensée chinoise
- Les articles de Vincent Goossaert dans le Monde des Religions
- Eloge de la fadeur de François Jullien
- 100 mots pour comprendre les Chinois de Cyrille J-D Javary

Bientôt une magnifique surprise sur le blog.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Super ton article, ça valait le coup d'attendre on est pas déçu !

NON VIOLENCE le 08-08-2008 OK, par contre continuons la discussion.

无花果 : FIGUE ( WU HUA GUO)
ici il s'agit du fruit sans fleur
Est ce que le WU de la figue et du non agir (WU WEI) sont les mêmes?

Anonyme a dit…

Merci jean louis pour ces pensées apaisantes et ô combien d'actualité.

Anonyme a dit…

Je me suis renseigné auprès des Maîtres compétents pour répondre à la question de Nicole.
Le wu de wu wei (non-agir) est bien le même que le wu de wu de wu hua guo (la figue). Simplement le wu de la calligraphie de Weiyi est en écriture non simplifiée.
Pour les taoïstes wu « il n’y a pas » est le contraire complémentaire et l’origine de you « il y a ».
« Le retour c’est le mouvement même du Dao
Le faible, c’est l’efficacité même du Dao
Les dix mille êtres sous le Ciel naissent de l’il y a
Et l’il y a naît de l’il- n’y a pas »
Daode Jing §40

Isabelle Robinet nous signale que Wang Bi (226-249 après Jésus Christ), un génie précoce mort à 23 ans s’est principalement préoccupé du rapport entre le « il n’y a rien » wu, et le « il y a quelque chose » you.
Le Tao est négation wu au sens particulier de non-détermination, de refus de l’élimination des possibles; ce wu est à peu près employé comme synonyme de « vide » xu. Le you, le « il y a », le monde des phénomènes, est le lieu des déterminations qui tronquent et ne rendent pas compte de la réalité fondamentale : « Le Saint n’établit ni noms ni formes pour y enfermer les êtres… »
La deuxième partie de l’article sur le Taoïsme reviendra sur ces notions et, je l’espère, les éclaircira ».

Il est amusant de trouver chez Proust une approche un peu semblable « Sans doute les noms sont des dessinateurs fantaisistes, nous donnant des gens et des pays des croquis si peu ressemblants que nous éprouvons une sorte de stupeur quand nous avons devant nous au lieu du monde imaginé, le monde visible … »

Merci Nicole pour ces rapprochements. Désormais lorsque nous verrons une figue nous penserons à Wang Bi.
Jean-Louis

Anonyme a dit…

Au début de la description de la création dans la Bible on peut lire

ET ROUAH ELOHIM (le saint Esprit)SE MOUVAIT AU-DESSUS DES EAUX

Cela pourrait signifier que l'esprit divin se manifeste devant l'humilité, la tendance à se mettre au dessous de tout ou de tous.