lundi 17 mars 2014

La langue est l'âme d'une civilisation


画蛇添足

Huà Shé Tiān Zú

Dans ses entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Georges Charbonnier déclare : « Je vous prie de me permettre une grossièreté : faire une citation. » Cette phrase surprendrait probablement les lecteurs chinois pour qui les citations loin de constituer une grossièreté sont des figures qui réhaussent le style. Ces citations prennent parfois la forme de chengyu comme celui qui figure en  illustration qui est extrait d’un livre intitulé  Il était une fois au pays des chengyu (Editions You Feng).
Cet ouvrage contient une excellente préface qui défend la même idée que celle exposée par Joël Bellassen dans sa conférence : une langue n’est pas un simple outil de communication : « elle est porteuse de l’âme d’une civilisation et contient l’ensemble des représentations symboliques d’une culture, témoin d’une vision du monde.C’est pourquoi la traduction pose tant de problème : il n’est jamais aisé de faire concorder deux systèmes symboliques. C’est ainsi que toute traduction peut être contestée et est contestable ».

Les chengyu, on le sait, sont des expressions en quatre caractères qui souvent font référence à un conte de l’antiquité. Les étudier constituera donc pour le lecteur étranger un moyen de s’imprégner de la culture et de la sensibilité chinoises.

Le chengyu que j’ai choisi hua4 she2 tian1 zu2 signifie mot à mot « dessiner serpent ajouter pieds » que l’on peut développer en « dessiner un serpent en lui ajoutant des pieds ». Pour en comprendre la signification il faut se reporter à une histoire légendaire.  

Il était une fois, au temps des Royaumes Combattants, un homme du royaume de Chu qui, lors d’une réception qu’il organisait, fut débordé par le nombre des invités. Il était bien embêté car il n’y avait pas assez de vin pour tous les participants. Quelqu’un proposa de faire un concours de dessin dont le sujet serait un serpent. Celui qui finirait le premier serait le premier à boire le vin. Un des participants eut bientôt fini. Mais il eut l’idée saugrenue d’ajouter des pattes à son serpent et termina son dessin bon dernier alors qu’il n’y avait plus de vin. 

Il y a une expression française qui correspond à ce chengyu c’est : « le mieux est l’ennemi du bien ». On peut toutefois constater que l’expression française est moins imagée et, à ma connaissance, ne fait pas référence à une conte. 
On comprend le goût des Chinois pour les citations. C’est pour eux le moyen de se rattacher à une tradition culturelle, « de renouer avec des pensées qui peuvent faire vibrer une part de l’enfance encore présente en eux et de retourner aux sources d’un inconscient collectif forgé, au cours des siècles, sur la Terre des Ancêtres. » En outre, il ne faut pas oublier que dans le plaisir de citer ou d’entendre un chengyu (comme d’ailleurs un poème) figure la visualisation des caractères composant ce chengyu (ou ce poème). C’est la conjugaison simultanée de ces différents éléments : référence à des racines culturelles, musicalité de la langue, visualisation des caractères qui explique la puissance évocatrice des chengyu et des poèmes chinois qu’il est bien difficile de traduire.

Jean-Louis

2 commentaires:

Françoise a dit…

Merci, c'est très clair et en même temps riche de développements. Et puis, c'est aussi une des preuves de la réussite de la précédente conférence que d'ouvrir des portes, des pistes de réflexion...

Nicole a dit…

高歌猛进 gāo gē měng jìn : « haut / chanter / violent / avancer »
« Avancer à grands pas en chantant à pleins poumons » ; se dit de quelqu'un qui progresse avec une grande volonté.
Je ne résiste pas à la tentation de citer un chengyu qui caractérise à merveille notre chorale !!!
Comme quoi si la précédente conférence ouvre des portes, cet excellent article est loin d'en fermer.
Ainsi nos jeunes chanteurs nous ont expliqué des chengyu mardi dernier, nous pourrons en voir d'autres mardi prochain sur la danse et les ...adieux
A SUIVRE