jeudi 15 janvier 2015

Le chant des Sirènes


Dans un article récent consacré au poème L’aube printanière de Meng Haoran, j’ai transcris trois propositions de traduction. Comment choisir lorsque l’on ne parle pas la langue ?
En fait, comme toute faiblesse cette gageure peut se transformer en force. Elle oblige à travailler avec un locuteur de la langue du texte à traduire, à remonter avec lui au mot à mot et à essayer de retrouver derrière les mots le charme d’un poème.

J’ai trouvé un merveilleux exemple des problèmes posés par la traduction dans un petit livre de Pascal Quignard intitulé Boutès. L’examiner nous fera quitter pour quelques instants la culture chinoise, mais pour mieux y revenir bientôt. C’est l’occasion de visiter un très beau mythe grec. Ces mythes sont souvent tragiques mais ils irriguent notre culture, parfois jusqu’à nos expressions proverbiales.

Dès la fin du Mycénien la légende courut d’une île mystérieuse sur les rives de laquelle les marins périssaient attirés par le chant des Sirènes. Pour échapper à ce danger les navigateurs utilisèrent plusieurs moyens. Certains se faisaient emplir leurs oreilles de cire pour ne pas entendre. Ulysse se fit attacher les pieds et les mains au mât de son navire. Orphée, le premier des poètes, le premier des musiciens lui qui ajouta deux cordes à sa cithare pour qu’elles soient neuf comme les muses employa un autre stratagème. Sur le pont du navire il frappa avec le plectre sa cithare. Il contra ainsi le chant de Ligia, de Leukosia, de Parthénopè. Apollonios de Rhodes dit qu’il repousse leur chant, qu’il cherche à brouiller l’appel de leurs voix par un rythme extrêmement retentissant et rapide.

Pascal Quignard signale que Francis Vian a traduit ainsi le vers 969 des Argonautiques : Orphée triompha du chant des Sirènes. Or, traduit mot à mot, le vers signifie La cithare a violé le chant des vierges. La traduction de Francis Vian est peut-être plus facilement accessible dans un premier temps. Le mot à mot pour être compris suppose un appareil de notes. Mais c’est à ce prix, me semble t-il, que nous est restitué tout le merveilleux de la légende grecque.
A suivre…

Jean-Louis

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