mardi 21 octobre 2014

Aux origines de la poésie chinoise et française


Poursuivant une lecture conjointe des poésies chinoises et françaises, je vous propose aujourd’hui d’en explorer les origines.

Les plus anciens poèmes chinois connus sont recueillis dans le Livre des odes, le Shi jing (詩經). La Séquence de Sainte Eulalie est le plus ancien poème en langue française (ou proto française).

J’en ferai une brève présentation en deux articles. Le premier sera consacré au recueil de poèmes chinois, le second au poème français.

Le Livre des odes est un recueil de 305 poèmes composés approximativement entre les IX° et IV° siècles avant J.C. Selon la tradition, Confucius serait intervenu dans le choix des poèmes Sous le patronage du Sage, le Shi jing est devenu un texte canonique, l’un des six Classiques. On y trouve des règles de conduite mais aussi des « leçons de choses » : par le Livre des odes on connaitra beaucoup de plantes et d’animaux.

Jacques Gernet indique que les plus anciens poèmes sont des hymnes de cérémonies rituelles telles que banquets ou rite du tir à l’arc. Ils étaient chantés à la cour des rois de Zhou avec un accompagnement de danse et de musique où dominaient les carillons de cloches et de pierres sonores. Les thèmes semblent être devenus plus variés aux VII° et VI° avec des odes dont l’inspiration paraît provenir des chants d’amour alternés de jeunes paysans et paysannes lors des fêtes de printemps.

Il est intéressant de noter que l’usage qui a été fait de ces textes antiques permet de cerner quelques uns des traits dominants de la culture chinoise :
- L’esprit rituel
- L’efficacité quasi magique des mots, des proverbes d’où découle le goût pour les citations
- Le jeu subtil et infini des allusions

D’où provient l’efficacité, le pouvoir quasi magique des rites, des caractères d’écriture, des textes canoniques ? Anne Cheng nous donne la réponse : ils sont la transcription humanisée des forces naturelles à l’œuvre dans l’univers.

Concernant les rites, elle nous rappelle qu’il y a une connivence des deux homophones LI (ordre naturel) et li (esprit rituel), ce dernier n’étant pas une grille apposée de l’extérieur à l’univers, mais la nervure même de l’univers qu’il s’agit de retrouver, de faire réapparaitre, de révéler au sens photographique du terme

Concernant les caractères d’écriture : Ils ont un lien originel avec la divination : ils épousent sans médiation les lignes naturelles de l’univers .

Il en va de même des textes canoniques : le texte, comme texture, se contente de faire apparaître les motifs fondamentaux de l’univers…Dans ce sens les Classiques représentent la trame de l’univers
Ils sont à l’image du Ciel et de la Terre, se modèlent sur les esprits et les divinités, participent de l’ordre des choses et règlent les affaires humaines
(Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise P. 88).

Dans le même ordre d’idées Marcel Granet (La pensée chinoise). L’efficacité des poèmes du Shi jing provient du fait qu’ils correspondent exactement aux signaux que répète la nature en fête. On trouve dans le Livre des odes des principes de conduite visant à assurer l’harmonie de la société mais aussi l’harmonie des hommes avec la nature. Ces poèmes se soucient médiocrement des nouveautés d’expressions. Les mêmes images reviennent sans cesse se rapportant surtout aux périodes du printemps et de l’automne, époques où se tenaient de grandes fêtes ayant pour objet de renouveler l’accord entre les hommes et la nature. Hommes et choses, plantes et bêtes semblent unis par le désir d’obéir de concert à un ordre valable pour tous.

Le Shi Jing constitue un trésor d’exempla (Anne Cheng), un fonds commun de référence pour l’élite lettrée. Marcel Granet et François Jullien rappellent que dans l’Antiquité chinoise les entrevues diplomatiques prenaient la forme d’un échange de citations canoniques tirées du Livre des Odes. Ces citations permettaient de faire valoir allusivement un point de vue.

Je vous propose maintenant d’examiner un des poèmes du Shi jing

J’ai trouvé ce poème dans L’anthologie bilingue de la poésie chinoise classique de Maurice Coyaud paru dans l’excellente collection Les belles lettres.

Maurice Coyaud rappelle que de nombreux poèmes du Shi jing ont des vers de quatre pieds


Les pêchers
Pêcher touffu luxuriant
Aux fleurs brillantes
Cette enfant va se marier
Sera la joie du foyer

Pêcher touffu luxuriant
On croule sous les fruits
Cette enfant va se marier
Sera la joie du foyer

Pêcher touffu luxuriant
Ses feuilles abondent
Cette enfant va se marier
Sera la joie de la famille.

Il s’agit d’une chanson de mariage, l’idée du mariage est associée à celle de l’essor de la végétation, et, particulièrement, à la belle venue d’un jeune pêcher.
Ce poème est largement commenté par Marcel Granet dans Fêtes et chansons anciennes de la Chine, ouvrage auquel je renvoie.

Voilà, un très bref aperçu de ce que l’on peut dire sur le Livre des odes.

Quelques pistes de lecture pour ceux qui veulent aller plus loin :
- Marcel Granet : Fêtes et chansons anciennes de la Chine
- Marcel Granet : La pensée chinoise
- Anne Cheng : Histoire de la pensée chinoise (notamment chapitre 2)
- François Jullien : Le détour et l’accès
- Maurice Coyaud : L’anthologie bilingue de la poésie chinoise classique
- Jacques Gernet : Le monde chinois

Jean-Louis

1 commentaire:

Françoise a dit…

Le poème choisi est vraiment très beau, à la fois simple et chantant comme un refrain, très ancré dans la nature. On attend la suite...
Ce que dit Anne Cheng à propos de la "nervure même de l'univers" me rappelle que le caractère 經 est aussi employé pour désigner le méridien d'acupuncture, nervure du corps humain. La langue chinoise est vraiment extrêmement riche.