vendredi 18 avril 2014

Anne Cheng au MUCEM

Le temple du Ciel à Pékin, le cercle et le carré

Deux sympathiques spectatrices fort attentives et ...réjouies

Arrivé un peu en avance devant le MUCEM, je retrouve avec joie plusieurs amis de Chinafi. Nous sommes venus écouter Anne Cheng qui intervient dans le cadre d’un cycle de conférences organisé par Tzvetan Todorov sur le thème « Civilisation et barbarie ».

Tzvetan Todorov a laissé carte blanche aux conférenciers et Anne Cheng nous a confié avoir trouvé l’angle d’attaque de son intervention la veille à minuit. Comment historiquement la Chine a-t-elle conçu sa place dans le monde ? Que signifie être civilisé pour la tradition chinoise ?

Depuis la plus haute antiquité la Chine se définit elle-même comme l’Empire du milieu, le pays qui se trouve au centre du monde. Son nom actuel, 中国 (Zhōng guó) signifie d’ailleurs Pays du milieu. S’aidant d’un tableau très intéressant de caractères chinois, Anne Cheng nous montre l’importance de la notion de Ciel : 天 (tiān). Dans la cosmogonie chinoise, le Ciel est représenté par un cercle et la Terre par un carré. Or ce qui se trouve sous le Ciel, c’est la Chine dirigée par l’Empereur, le fils du Ciel : 天子(tiān zǐ ) qui a reçu le mandat céleste et qui entretient avec les pays étrangers des rapports fondés sur le tribut (symbolisant leur soumission au centre). Jusqu’au milieu du XIX°siècle et l’intervention des puissances occidentales, la Chine s’est considérée comme le Monde, en tout cas le monde civilisé. En cela la Chine ne diffère pas des autres civilisations qui ont le plus souvent rejeté ceux qui étaient à leurs marges dans la barbarie.

Mais qu’est-ce qu’être civilisé pour la pensée chinoise classique ? C’est agir conformément aux rites. Etre civilisé ne dépend pas de l’appartenance à une ethnie, c’est une affaire culturelle. Un barbare qui suit les rites deviendra civilisé. En cela, comme l’a souligné Tzvetan Todorov, la notion chinoise de civilisation est une notion assimilatrice. Parler des rites c’est, bien entendu, évoquer Confucius. Anne Cheng a rappelé les fortunes diverses qu’a connues sa pensée : Progressivement devenue sous l’empire idéologie d’Etat, puis considérée comme un frein à la modernité par les tenants du mouvement du 4 mai 1919 et enfin comme l’ennemi à abattre par la Révolution culturelle, elle est aujourd’hui récupérée et instrumentalisée par les dirigeants de la Chine qui voudraient proposer une voie chinoise de développement. A ce propos, la conférencière s’est fortement inquiétée de la volonté hégémonique chinoise.

Je voudrais donner ici un avis personnel sur cette conférence. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt L’histoire de la pensée chinoise d’Anne Cheng. Je tiens de ce livre la plus grande partie de ce que je connais de la pensée chinoise. Dans l’introduction l’auteur dit avoir écrit ce livre dans « un esprit à la fois critique et sympathique (au sens étymologique) ». C’est ce que l’on ressent à la lecture de l’ouvrage et qui en fait à mes yeux la force. Or hier, Anne Cheng semblait n’avoir conservé que l’esprit critique vis-à-vis de la civilisation chinoise. On ne peut, bien sûr que condamner avec la conférencière les atteintes aux droits de l’Homme, le manque de démocratie, la censure, la répression des minorités et des mouvements sociaux. Néanmoins, si j’avais découvert la Chine à travers cette conférence, j’en serais reparti avec une image négative et la peur de la montée du « péril jaune ».

Heureusement, j’ai lu Anne Cheng, j’ai rencontré de nombreux Chinois, notamment des étudiants avec leur enthousiasme et leur soif d’apprendre, et je sais que le monde chinois, sa culture, sa civilisation sont porteurs de sens et constituent un objet passionnant d’étude. Anne Cheng a expliqué le caractère un peu manichéen de sa conférence par le manque de temps, le souci de clarté qui entraine parfois à des simplifications extrêmes. Peut-être aussi le sujet de la conférence était-il trop vaste et mal défini.

Toutefois, malgré ces réserves, ces conférences sont toujours l’occasion d’un brassage d’idées, d’entamer une réflexion et des discussions. Merci à Anne Cheng, à Tzvetan Todorov et aux responsables du MUCEM.
Jean-Louis

5 commentaires:

Françoise a dit…

J'ai perçu cette conférence de la même façon. Un des intervenants, lors du débat a évoqué Lu Xun, cela m'a donné envie de le lire. Tu connais?

Jean-Louis a dit…

Je n'ai pas lu Lu Xun. C'est vrai un auteur à découvrir.
Jean-Louis

Mimi07 a dit…

Je n'ai pas perçu le propos de Anne Cheng, même s'il était simplificateur comme elle l'a elle même reconnu, comme une critique de la civilisation chinoise mais comme un regard critique des incidences politiques de la pensée confucéenne et de la façon dont le régime communiste s'en est emparé. Je partage évidemment sa dénonciation du régime autoritaire (droits de l'homme, minorités...) par contre, si l'expansion économique chinoise sur le plan international est incontestable, une volonté hégémonique au niveau politique est beaucoup moins évidente. Sa politique internationale se limite strictement à défendre ses intérêts économiques (très présente économiquement en Afrique, elle n'intervient pas politiquement même comme médiatrice ou modératrice dans les nombreux conflits qui agitent ce continent) ou à l'affirmation de ses principes traditionnels comme la non-ingérence ou la défense de l'intégrité territoriale (comme en Ukraine où elle n'a pas cherché à faire prévaloir son point de vue). Elle ne cherche pas à jouer un rôle important sur la scène internationale ce qui limite, de mon de vue, une démarche qui serait hégémonisante.
Yves

Jean-Louis a dit…

Cher Yves,
Merci pour ton commentaire. Je l’attendais et à vrai dire je l’espérais.
J’aime les discussions qui permettent de préciser une pensée ce qui est bien le but des commentaires, malheureusement un peu rares sur le blog. Il est vrai que la plupart des messages ne s’y prêtent peut-être pas.

Ton analyse des limites de la volonté hégémonique chinoise au niveau politique me semble pertinente.

Tu as également certainement raison quand tu écris que le propos d’Anne Cheng n’était pas de critiquer la civilisation chinoise. Il n’en reste pas moins vrai que j’ai été surpris par le ton de cette conférence. J’ai parfois eu l’impression d’assister à un règlement de comptes avec le régime actuel sans apercevoir d’éléments sympathiques pour le monde chinois d’hier ou d’aujourd’hui. Cela a même conduit la conférencière à des propos surprenants qui certainement dépassaient sa pensée. A une remarque de Tzvetan Todorov sur l’utilité d’apprendre le chinois, Anne Cheng a répondu que cela allait dans le sens des dirigeants actuels chinois qui souhaitaient que le chinois supplante l’anglais comme première langue parlée dans le monde. A quoi Tzvetan Todorov a répondu « je suis contaminé, je suis contaminé !!!». Je cite de mémoire. Je peux me tromper.
Jean-Louis

Françoise a dit…

Oui, c'est sympa de voir une discussion s'ouvrir. Pour ma part, je pense effectivement comme Yves que la recherche d'hégémonie de la Chine relève plutôt d'un "soft power", économique et culturel plus que politique.
Ce qui me semble ressortir de l'article et des commentaires est la mauvaise définition du sujet et l'absence de problématique. Il a plutôt été question de la réception de la pensée confucéenne au cours de l'histoire chinoise et des différents modes de récupération. Le thème "Civilisation et barbarie" laissait attendre autre chose.