mardi 23 avril 2013

The Grandmaster


Pour voir, à Marseille, capitale européenne de la culture, le dernier film de Wong Kar-wai, il faut le vouloir et d’abord le trouver. Naïvement, j’avais cru qu’une œuvre de l’auteur du somptueux In the Mood for Love  serait projetée dans toutes les grandes salles de Marseille et notamment dans la grande salle de l’UGC Prado. Quelle ne fut pas ma déception lorsque je m’aperçus que The Grandmaster n’était programmé ni au Prado, ni au César, ni aux Variétés. En fait, ce film ne passe que dans trois cinémas à Marseille dont le Chambord. Ce mardi je me rends donc pour la première fois de ma carrière de cinéphile au Chambord. Incorrigible utopiste, j’arrive bien en avance, croyant faire une queue monstrueuse. En fait, il n’y a personne à la caisse, pas même la caissière occupée à confectionner un paquet de pop-corn pour un enfant.

Dûment muni d’un ticket comme on les faisait lorsque j’étais enfant, je me dirige vers la salle. Comme je suis très en avance je peux l’examiner à loisir. Une tapisserie verdâtre déchirée par endroits qui a dû être posée dans les années 50, des trous dans la moquette qui font écho aux trous du plafond. Je me dis que c’est, sans doute, un esprit facétieux qui a donné son nom au cinéma. Pourtant, je ne veux pas être trop sévère pour ce cinéma au charme désuet car j’allais comprendre que cette remontée dans le temps à laquelle m’invitait la salle où je me trouvais était une bonne préparation au film que j’allais voir.

 Dans la dernière image, WKW fait un clin d’œil au spectateur par l’intermédiaire de Tony Leung qui nous dit : « et maintenant, choisissez votre style (de Kung-fu) » que l’on peut comprendre « et maintenant, choisissez votre film ». The Grandmaster est un film d’arts martiaux, bien sûr, c’est aussi une fresque historique de la Chine des années 30 aux années 50, l’ébauche d’une histoire d’amour qui n’aura pas lieu, mais c’est avant tout, comme toutes les œuvres majeures, une réflexion sur le temps. Le temps ce peut-être l’instant qui contient l’éternité. Dans l’Anna soror de Marguerite Yourcenar trois jours d’amour suffisent à remplir la vie d’Anna. Chez WKW ce moment est encore plus bref. Dans In the Mood for Love c’est le temps d’un frôlement de mains dans un taxi, frôlement des mains qui va traverser les âges pour resurgir en 2046. Dans The Grandmaster, Ip Man et Gong Er s’affrontent. L’image ralentit,  les deux visages se frôlent à l’envers l’un de l’autre, le temps se fige en éternité. Wong Kar-wai excelle à rapprocher le rythme de l'image et celui du temps. Ainsi, on voit à plusieurs reprises, l’image et le temps se figer pour devenir une vieille photographie.

Le temps et l’éternité peuvent se contracter dans l’instant, ils peuvent aussi se détendre dans  la succession des cycles, des civilisations, des générations, des Maîtres et des disciples. Il faut savoir accepter ces cycles comme le fait le père de Cong Er. Il faut savoir accepter l’imperfection de la vie qui est faite de choix, de renoncements et de regrets. Coïncidence, Cong Er prononce une belle phrase sur les regrets nécessaires, sur la nécessaire incomplétude de la vie qui vient en résonance avec les vers de Su Shi cités dans l'article précédant et le commentaire de Jizhe « on ne peut avoir une vie parfaite, dans ce cas là, pourquoi on doit être triste avec ce genre d’utopie ». Cong Er, pour rester un Grand Maître, car elle l’est certainement autant que Ip Man, renoncera à se marier, à avoir des enfants et même des disciples car, comme elle le dit, certains savoirs doivent peut-être disparaître comme les civilisations.

Les dialogues sont beaux même dans leur traduction. « C’était une femme de peu de mots » dit Ip Man en parlant de son épouse. Quant aux images c’est parmi les plus belles que j’ai vues. Chaque plan est un tableau écrit un commentateur. Je ne peux que souscrire à cette opinion. Et je pense que l’on peut voir ce film plusieurs fois sans en épuiser la richesse. Les critiques ont souvent mentionné le corps à corps entre Ip Man et Cong Er ou encore le combat devant le train qui s’en va. Ils ont raison. J’ajouterai, mais ce n’est qu’un exemple, la photo des statues du Bouddha ou encore les ruelles, les escaliers de Hong-Kong à la lumière vacillante des lampes qui éclaireront quelques années plus tard le couple d’In the Mood for Love.


Je suis resté le dernier dans la salle, mais il y avait peu de spectateurs, pour voir le générique et écouter la musique. En sortant, dans le couloir, il y avait une vieille charrette que les marchands de glaces promenaient autrefois dans les rues de nos villages, nouvelle invitation à ressentir le temps passé, le temps perdu.

Jean-Louis

1 commentaire:

Françoise a dit…

Merci pour cette analyse qui, j'espère, donnera envie à beaucoup d'aller voir ce film. Je l'ai, pour ma part, vu à Paris, craignant qu'il soit trop tard à mon retour à Marseille.
C'est en effet un film magnifique que j'irai volontiers voir une 2nde fois.