jeudi 10 juillet 2008
Le Yi Jing
La Chine n’a pas possédé d’épopée au départ de sa littérature. Elle a eu un recueil de poèmes : le Classique des Odes.
Elle n’a pas ou peu connu les débats contradictoires qui fleurissaient sur l’agora grecque. Elle a développé une tradition de citations et de commentaires.
Elle n’a pas eu de Bible, de Torah, de Coran fondateurs d’une pensée reposant sur la Création et cherchant l’explication des causes premières dans une transcendance. Elle a produit le Yi Jing, fondateur d’une pensée reposant sur l’étude des processus, des relations, des transformations à l’œuvre dans l’univers dans lesquels il faut rechercher l’explication du monde.
On peut traduire Yi Jing par Classique du changement ou encore Livre des mutations ou des transformations. C’est l’un des Cinq Classiques confucéens. La longue et riche tradition interprétative qui s’est formée autour du Yi lui donne valeur de traité cosmologique et symbolique à portée éternelle et universelle. De fait, à quelque époque et dans quelque courant que ce soit, il ne se trouve pas un seul penseur chinois d’importance qui n’ait été inspiré par les Mutations au point d’y projeter sa propre vision des choses. Unique en son genre, sans équivalent dans d’autres civilisations, c’est un livre de vie autant que de connaissance qui contient toute la vision spécifiquement chinoise des mouvements de l’univers et de leur rapport avec l’existence humaine.
Le premier caractère composant le nom du livre, Yi, renferme l’idée de changement. Il est composé signe du soleil (partie supérieure) et de celui de la pluie (partie inférieure). Son sens premier est le passage continuel de la pluie au soleil et du soleil à la pluie. Nous avons déjà vu que la peinture chinoise s’est plu a figurer le passage du beau temps à la pluie, les paysages de brouillard quand tout le paysage se perd dans la confusion. Non pas un état défini et tranché des choses, mais le passage d’un état à un autre…la peinture chinoise peint la trans-formation. Elle peint l’effet de vague et de flou…qui va de pair avec la mutation. Or tout est toujours en mutation. Le Yi Jing pose le changement alternant comme rythme fondamental et le yin et le yang comme clé de sol pour en appréhender la mélodie.
Le Yi Jing met donc l’accent sur les notions de relation, de transformation que nous avons rencontrées à de nombreuses reprises.
Les origines de ce livre sont en premier lieu un système de notations d’actes de divination. Le Yi Jing consacre le passage de pratiques divinatoires reposant sur l’interprétation de craquelures résultant du brûlage d’omoplates de carapaces de tortues et manifestant la volonté des esprits à un nouveau mode de divination reposant sur le décompte des tiges d’achillée et fondé sur le calcul et les nombres. Ce changement dans la technique divinatoire marque sans doute le passage définitif d’une mentalité religieuse à une pensée naturaliste, les signes apparaissant comme la figuration non plus de la volonté de puissances surnaturelles mais comme la manifestation d’une situation émergente. Le Livre des Mutations s’est d’ailleurs d’abord intitulé Mutations des Zhou et l’on se souvient que c’est sous cette dynastie que l’on est passé de la notion de Dieu à la notion de Ciel. (Voir l’article Tian, le Ciel)
Le Yi Jing est constitué de 64 situations types représentées par des hexagrammes, c'est-à-dire par des séries de six traits. Ces traits peuvent être continus ____, ils représentent alors le yang qui est dit « rigide » c'est-à-dire pareil à soi-même ou discontinus __ __, ils figurent alors le yin qui est dit souple et ouvert à la différence. Les commentaires des Mutations étudient les relations des traits à l’intérieur d’un hexagramme et les relations des hexagrammes entre eux pour en tirer des aides à la prise de décision.
Par exemple, la situation type N° 42 dont le titre est « Augmenter », enseigne comment il convient de gérer les moments où l’on doit faire face à une surcharge momentanée d’efforts.
Elle est représentée par la figure linéaire ci dessous
et de ce fait reliée graphiquement avec la situation type N°32, qui lui est opposée trait pour trait (à chaque niveau, un trait redoublé est à la place d’un trait continu). Cette dernière « Endurer » préconise de ménager ses forces en fonction d’un effort prolongé. Nous aurions naturellement pensé que l’opposé d’ « Augmenter » est « Diminuer », situation type N° 41. Mais le Yi Jing démontre que, dans la perspective yin et yang de la gestion de l’énergie, il en va autrement.
C’est l’un des grands enseignements du Yi Jing : faire découvrir à travers un réseau de relation inédites entre les choses connues une manière différente de percevoir ce que nous vivons chaque jour.
L’objectif du Yi Jing est de proposer un outil fondamental de l’intelligibilité du monde, basé non sur une analyse de ses composantes mais sur le processus de leurs continuels changements.
On trouve dans la pensée occidentale un courant qui a une approche semblable des phénomènes : c’est le structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Cet auteur écrit en prenant l’exemple de la musique « Les termes ne valent pas par eux-mêmes, seules importent les relations. »
L’amour nous offre une illustration de ce point de vue. C’est le sentiment amoureux qui confère à la personne aimée des qualités qui n’existent pas en elles mêmes, qui n’existent que par la relation amoureuse et qui disparaissent lorsque celle-ci cesse. On se souvient de Swann disant, à la fin de son amour pour la femme qu’il avait tant aimée «Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! »
A suivre,
Jean-Louis
Cet article trouve ses sources dans :
- « La pensée chinoise » d’Anne Cheng
- « Le Nu impossible » et « Figures de l’immanence » de François Jullien
- L’article sur le Yi Jing de Cyrille J.-D. Javary paru dans le « Monde des religions »
- L’article sur le Yi Jing de Cylia Taright dans le numéro spécial du Point
- « Regarder, Ecouter, Lire » de Claude Lévi-Strauss
- "La Recherche du temps perdu" de Marcel Proust
Voici un extrait célèbre du grand commentaire du Yi
"Un Yin, un Yang, Tel est le Tao"
La Traduction est d'Anne Cheng. La calligraphie et la transcription en pinyin et en caractère réguliers, sur un cahier d'écolier, sont dus à Weiyi.
Le caractère Yi signifie, on l'a vu : changement, mutation. Il signifie également aisé, facile.
En combinant les deux sens de yi, on en arrive à l'idée que rien n'est plus aisé que la mutation puisqu'elle est inscrite dans l'ordre naturel des choses : un être vivant n'est jamais définitif, il contient déjà en luile principe de sa propre transformation.
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5 commentaires:
Cet article est composé de citations extraites des livres cités comme source.
Je n'ai pas mis de guillemets pour ne pas en alourdir la lecture.
Ma contribution s'est bornée à mettre ces citations en relation ce qui est, je pense, dans l'esprit chinois.
Certaines citations avaient déjà été utilisées. Mais nous sommes dans un jardin chinois où le promeneur peut se plaire à revenir en arrière pour contempler un aspect qu'il n'avait pas bien vu ou qu'il aime particulièrement.
Jean-Louis
merci Jean Louis pour ta contribution toujours aussi interessante
je lis et je relis tes articles car je n'en saisis pas toutes les nuances à la 1ère lecture
c'est si poétique : ça fait du bien avant une journée de boulot consacré à la TVA !!!
BONNES VACANCES et ...
vivement août que nous retrouvions tes articles
et un énorme merci également à WEI YI qui porte bien son nom ...elle est UNIQUE !!!
Ton article sur le Yi Jing est magistral. J'ai d'abord connu la Chine (à Chongqing) par son côté technique. il fallait construire la centrale électrique, comme ce fut le cas en Grèce, en Irak, en Argentine et au Sri Lanka. C'est seulement plusieurs années après que j'ai approché la "pensée chinoise" avec M. Kaser à la fac de lettres. je n'avais connu jusque là que la pensée grèco judéo chrétienne. La méditation, le mysticisme ne sont plus mon fort mais connaitre plus est mieux me permet d'être plus heureux. N'est ce pas confucéen?
Merci de ton message.
Tu as raison connaitre plus et mieux et un vertitable plaisir et le faire partager aux autres procure encore plus de joie. C est bien la lecon de Confucius.
Jean-Louis
Merci Jean Louis pour ce message.
En le lisant je pensais à la maxime "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" (du grec "Anaxagore de Clazomènes" (500av JC) et qui a été reprise par Antoine Lavoisier au 18ème siècle) qui a des résonances très "chinoises".
Olivier
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