jeudi 8 mai 2008

Su Dongpo : Le vieil homme et le miel


Il y a quelques semaines je consultais le lien mis en ligne par Olivier permettant d’accéder au site, très intéressant, du département chinois de l’Université d’Aix en Provence.

J’y découvrais notamment les références d’un livre de Claude Roy sur Su Dongpo : « L’ami qui venait de l’an mil ».
Yan et Weiyi m’ayant dit que Su Dongpo était un de leurs poètes favoris, je commandai le livre qui bientôt arriva par la Poste.

Je l’ouvrai un peu machinalement prêt à le refermer. Pris d’un excès d’esprit critique, j’avais du mal à me trouver en sympathie avec un écrivain.

Je parcourais quelques lignes et j’eu tout d’abord la surprise de découvrir un livre bien écrit, ce qui n’est pas si fréquent. Je continuai donc ma lecture.
Dans un livre on trouve ce que l’on cherche ou en tout cas ce que l’on connaît.
Au détour des poèmes je retrouvais donc Montaigne ou Le Clézio. Ainsi dans ce poème :
« Le vieux moine-poète vivait en ermite
Se nourrissant seulement du miel de ses abeilles
Personne ne savait que dans chaque goutte de miel
Né de la beauté des herbes et des fleurs
Se cachaient les secrets des poèmes naissant
Quand le vieil homme mangeait son miel
Et crachait en retour de nouveaux poèmes
Il savait qu’il était un enfant du monde
Où le miel est poème et les poèmes miel. »

Pendant que Weiyi cherchait les caractères pour calligraphier un extrait du poème et qu'elle me montrait la ruche et l'insecte dans le premier caractère de la colonne de droite qui signifie miel, une phrase évoquait en moi un écho,
« Personne ne savait que dans chaque goutte de miel
Né de la beauté des herbes et des fleurs
Se cachaient les secrets des poèmes naissant »
mais je n’arrivais pas à trouver ce que ces vers évoquaient. Et puis, brusquement, je me suis souvenu. C’était une phrase de Le Clézio qui écrira bien des années plus tard en contemplant la mer « Elle était là, on la côtoyait tous les jours…mais on ne savait pas ce qu’elle voulait dire. Mais la mer, elle, savait…Ce qu’on découvre alors, un jour, comme cela, rien qu’en étant assis sur un rocher devant la mer, vous comprenez, c’est que l’expérience des hommes est incluse dans l’expérience de l’univers. »



Je retrouvai la vision un peu désespérée de Claude Lévi-Strauss, les deux auteurs savent « que tout n’est rien qu’un rêve rêvé en vain ». Pourtant ils ont le même courage d’être des sauveurs d’instants. « La bonne poésie et le vrai courage ont ceci de commun que leur exercice fait oublier la mort. Les centaines de poèmes de Su Dongpo sont autant d’étincelles de vie qui échappent à la mort. » Tous deux ils pratiquent la mise en perspective. A la fin de sa vie Su Dongpo est exilé dans l’île tropicale de Hainan. Pour résister à la chaleur malsaine, il relit « un grand poème de gel, de neige et de froid pur :

« Le froid a dévalé jusque sur la rivière…
Je vois les montagnards qui transportent des bûches
Ils n’ont pas le temps de boire un peu de vin
Ni de chanter des poèmes
Le pinceau est durci par le gel
Et risque de casser net
Les rideaux ne sont pas tirés
Et je vois dans la nuit une jeune fille
Penchée sur son métier à tisser …
Un autre moine balaie la neige sur son seuil
Il a la goutte au nez et elle a gelé »

Courage aussi de reconnaître sa lâcheté devant les injustices et la fureur des hommes :

« J'ai devant moi de pauvres bougres
Chaînes aux mains chaînes aux pieds
Petites gens qui avaient faim
Tombés dans les pièges des lois sans comprendre ce qui leur arrive...
Dans l'ancien temps
On les aurait libérés pour le Nouvel An
Est-ce que j'oserais le faire ?
Je garde le silence et j'ai honte."

Voilà, il faudrait tout citer. Les poèmes consacrés au souvenir de sa femme trop tôt disparue, à ses enfants, à son frère.
Dans ses poèmes, il est souvent question de continuer à savoir rêver :
« Vivre Rêver Rêver sa vie »
De la recherche du temps perdu :
« Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté »
« J’ai rêvé que j’étais à l’école primaire
mes cheveux en deux petits chignons comme les gosses… »

Et c’est certainement une des plus grandes missions des poètes que de nous rappeler les rêves nous sont aussi nécessaires que le contact avec la réalité et la sympathie que l’esprit critique.

A suivre,
Jean-Louis

3 commentaires:

Anonyme a dit…

cher Jean Louis merci pour tous ces extraits poétiques
c'est superbe
mais comme tu le sais j'ai vraiment les pieds sur terre et mes questions sont souvent au ras des paquerettes ...
en voici une :
pourquoi SU DONG PO est il exilé dans l'île de Hainan ?
Things

le blog de chinafi a dit…

Super ces textes de Su Dong Po et fort intéressants les rapprochements avec JMG Le Clézio.
Je n'oublie pas mon engagement à travailler sur la mise en forme de tous ces textes et cet article donne bien envie de s'y remettre.
A bientôt.
Françoise

Anonyme a dit…

Comme l’écrit avec humour Claude Roy, Su Dongpo connu toute sa vie et bien au-delà jusqu’à la révolution culturelle où on lui reprochait des positions prises mille ans plus tôt dans la bataille des nouvelles lois « de légers passages nuageux avec risques d’averses ».
Toute sa vie il vécu de disgrâces en retour en grâce. Cela peut se comprendre lorsque l’on sait qu’il écrivait à l’empereur « Si vous prélevez un intérêt de 20% sur les emprunts des fermiers en disant que ce n’est pas par intérêt, le peuple ne vous croira pas, et le monde entier pensera que vous êtes avare et rapace ».
Ou encore :
« Que penser de ces officiels…
Ils sont vêtus chaudement sans avoir tissé
Ils sont bien nourris sans avoir labouré…
Ils parlent d’intégrité parlent de bienveuillance
Bienveillance pour qui ? Sûrement pas pour le peuple. ».

Claude Roy raconte une anecdote. Pendant une conférence du ministre de la culture d’alors dans les années cinquante son ami Lo Datang prenait des notes pieusement. Il lui fit passer le résultat inattendu de ces notes : un petit poème d'inspiration boudhique de Su Dong Po qui est un magnifique hymne au respect de la vie :
« Entrouvrir le rideau pour les petites hirondelles
Laisser un trou dans la fenêtre pour que les mouches puissent partir
Abandonner dix grains de riz pour laisser leur part aux souris
Eteindre la lampe à huile pour sauver la vie des phalènes ».

Jean-Louis