mercredi 23 mars 2016

The Assassin : prolongation

 Le Chambord programme encore ce film pour une semaine : plus d'excuses!



J’y suis donc retournée et  c’est vraiment  très intéressant de revoir un film sans trop se concentrer sur la compréhension de l’intrigue (quoique j’ai encore quelques incertitudes !)
Ce film peut se voir en suivant plusieurs grilles ou thèmes dans lesquels le taoïsme est très important, l’époque des Tang ayant vu l’apogée du taoïsme féminin.
Par exemple les couleurs : prologue en noir et blanc, noir des ânes, blanc des bouleaux, puis transformation des couleurs au fil des saisons, beaucoup de « tableaux » sont pratiquement monochromes, à part les scènes champêtres pleines de couleurs et douces en même temps.


Ou l’omniprésence des rideaux, des voiles, des bougies aux flammes vacillantes l’importance de l’eau et du feu, des rituels magiques.
Sans oublier le thème du miroir : légende de l’oiseau bleu et du miroir évoquée à plusieurs reprises, personnage du miroitier.
Tout cela donne un film à la fois très construit et très sensible.
Ce serait bien d'avoir d'autres avis.

Françoise

7 commentaires:

Jean-Louis a dit…

Avant d’émettre un avis après avoir vu ce film je voudrais revenir sur a légende de l’oiseau bleu que tu évoques dans ton message. Cela m’a rappelé une des plus belles chansons du répertoire de notre chorale (bie yi an) sur un poème de LI Shangyin (813-858) également de l’époque des Tang. Cette chanson, tu t’en souviens peut-être, était magnifiquement interprétée par Li Dan et Gen Zichun. Il était question de miroir et d’oiseau. Mais dans la traduction de François Cheng l’oiseau était vert. Je sais qu’il y a un mot en chinois entretenant une certaine ambigüité entre le bleu et le vert. J’ai donc deux questions :
- Peux-tu me rappeler ce mot que l’on traduit parfois par bleu-vert ?
- Penses-tu qu’il s’agisse du même oiseau dans le film et dans le poème ?

Voici le poème traduit par François Cheng :

Les rencontres difficiles ;
Les adieux plus encore !
Le vent d’est a faibli
Et les cent fleurs se fanent
Le vers à soie tant qu’il vivra
Sans fin d »roulera son fil
…La bougie ne tarit ses pleurs
que brûlée et réduite en cendres.
Dans le miroir du matin pâlissent
Les nuages de la chevelure.
Au chant de la nuit répond l’écho
Fraîchi sous la clarté lunaire.
D’ici jusqu’au mont Peng
La route n’est pas si longue.
Diligent Oiseau vert,
Veille sur nos traversées !

Vous trouverez une version de la musique interprétée au xiao ainsi que le poème en chinois à l’adresse suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=axneaWwJ9J4
Jean-Louis

Jean-Louis a dit…

il faut lire bien sûr "bie yi nan"
Jean-Louis

Françoise a dit…

Je ne répondrai pour le moment qu'à la 1ère question.
Il s'agit du caractère 青 (qīng)qui évoque un vert dont les tons sont particulièrement changeants : bleu, gris, un bleu-vert ou un vert-bleu.
C'est une couleur qui symbolise le renouveau, la vitalité (couleur du printemps, de l'élément bois...)
D'ailleurs le thé wūlóng 烏龍, littéralement "dragon noir" est également appelé qing cha, thé bleu-vert, correspondant mieux au degré d'oxydation.
Les couleurs sont donc bien aussi des étapes de transformation.
La suite dans un prochain article.

Jean-Louis a dit…

Merci pour cette réponse. Je me souviens d’avoir appris 青 (qīng) dans mes cours de chinois et notre prof. d’alors (était-ce Yan ou Jing Ping ?) nous signalait que cette couleur, un peu mystérieuse, était particulièrement prisée des Chinois. Deux nouvelles remarques :
- ce mot illustre les difficultés de la traduction
- est-ce mot qui est employé dans le poème pour qualifier l’oiseau?

Dans l’article il est question du taoïsme féminin. Cela peut sembler à première vue curieux de donner un sexe à un courant de pensée. Pourtant par association d’idées cela m’a fait penser à une conférence donnée dernièrement dans mon village et que j’ai eu tort de ne pas aller écouter. Son titre était « Sorcellerie ou pouvoir féminin ». Le pouvoir masculin est plutôt associé à la force physique, « naturelle » et trouve son expression par excellence dans le guerrier. Le pouvoir féminin qui a sans doute toujours inquiété les hommes et cela depuis la Genèse va se réfugier dans des pouvoirs « surnaturels » liés avec le démon. Il ne faudrait pourtant pas s’y tromper. S’il est vrai qu’il y a une peur des hommes vis-à-vis des femmes cette peur est ambivalente, elle fait partie aussi du charme (au sens premier de sortilège), de l’attirance d’un sexe pour l’autre. Gommer ce charme, comme le fait à mon avis la théorie « des genres », ne peut que diminuer la poésie, le mystère, l’attirance d’un sexe pour l’autre.

Pardonnez-moi ces divagations qui pourtant ne nous éloignent peut-être pas du film.
J’attends la suite avec impatience !
Jean-Louis

Françoise a dit…

Dans le film The Assassin, on retrouve le conte L'oiseau bleu et le miroir

La légende : Une princesse ayant capturé un oiseau bleu magnifique l'a mis dans une cage. Elle s'aperçoit que son oiseau ne chante pas ; les oiseaux ne chantent que s'ils sont en compagnie. Elle a l'idée de mettre un miroir dans la cage. Le subterfuge réussit. L'oiseau voit son reflet comme son double et se met à chanter. Il chante alors pendant quatre jours et quatre nuits pour exprimer sa tristesse, sa solitude, ses rêves de liberté. Cet oiseau bleu, face à son double et non en compagnie d’un autre oiseau, s’épuise donc et meurt.
Voilà ce qu’en a dit le metteur en scène dans une récente interview :
« Au cœur de votre film, il y a un conte, dit de «L’oiseau bleu et du miroir» qui raconte comment un oiseau solitaire et triste retrouve sa vitalité dès lors qu’on place un miroir devant sa cage. Ce récit provient-il lui aussi de la littérature de l’époque Tang ?
Oui, c’est un récit très connu en Chine et on le retrouve de façon récurrente dans toute la littérature de cette époque au point que le mot «miroir» et le mot «oiseau bleu» sont synonymes. »
Pour répondre à la question de Jean-Louis, je ne pense pas que l’on puisse savoir s’il s’agit ou pas du même oiseau car lorsqu’une légende devient un mythe, elle devient en quelque sorte une référence intemporelle.
Nous avons par exemple dans notre littérature, et même dans le langage commun, de fréquentes références au mythe de Narcisse et ceci sans remonter aux Métamorphoses d’Ovide.
Cette légende raconte que Narcisse, alors qu'il s'abreuvait à une source voit son reflet dans l'eau et en tombe amoureux. Il reste alors de longs jours à se contempler et à désespérer de ne jamais pouvoir rattraper sa propre image et il finit par mourir de cette passion qu'il ne peut assouvir. À l'endroit où l'on retire son corps, on découvre des fleurs blanches : ce sont les fleurs qui aujourd'hui portent le nom de narcisses.
Il y a à mon sens une idée commune à ces 2 mythes : l’homme ne peut pas vivre en se cherchant lui-même ou un double identique mais bien dans le rapport à l’autre, dans l’altérité.

Jean-Louis a dit…

Tout d’abord un grand merci pour la narration de cette belle légende de l’oiseau bleu et du miroir. Je trouve la rapprochement de cette légende avec le mythe de Narcisse très judicieux et suis pleinement en accord avec la conclusion tirée de ce rapprochement.

Venons-en au film. On peut, à première vue, être dérouté : intrigue difficile à suivre, décousue ai-je entendue dire chez les spectateurs ; rythme très lent. Alors on peut, dans un premier temps, se laisser porter par la beauté des images sans vraiment chercher à comprendre un peu comme les vers de Mallarmé que l’on peut aimer pour leur musique sans chercher à les comprendre : « aboli bibelot d’inanité sonore ». Mais on peut aussi penser que cette intrigue « décousue » est significative, qu’elle révèle quelque chose. Si cela est vrai, que révèle t-elle ?

Sans doute ce film peut se voir selon plusieurs approches. Voici comment je l’ai perçu. Une nonne taoïste dans un vêtement blanc impeccable, implacable. Elle se croit investie d’une mission de justice, de vengeance. Pour accomplir « cette mission » elle a formé une disciple, Yinniang, de noir vêtue. Sur le plan technique cette formation est une réussite. Yinniang est une efficace machine à tuer. Mais sur le plan psychologique c’est un « ratage ». Yinniang, à l’inverse de la nonne, a des doutes, des états d’âme. On s’en rend compte dès les premières scènes lorsqu’elle s’abstient de tuer un tyran, parce qu’elle le découvre berçant un enfant. On le reverra lorsque la nonne lui demandera de tuer son cousin, Tian Jian, devenu gouverneur de la province de Weibo. Pendant une grande partie du film on ne comprend pas trop ce qu’elle fait. On la voit apparaître, disparaître furtivement, des combats avortés. Mais cette incompréhension est peut-être révélatrice. C’est la marque de ses hésitations, de ses doutes. Elle-même, sans doute, ne sait pas ce qu’elle doit faire.

Les dernières images sont très belles et éclairent le film. On voit la nonne sur une montagne, isolée, solitaire, de détachant dans son vêtement blanc. Yinniang vient lui dire son échec. Puis elle redescend dans la plaine, dans le monde de poussière, où elle rejoint des paysans, des saltimbanques et, avec eux, comme les personnages d’une peinture chinoise, elle disparaît dans le paysage. Sublime !
Un grand film.
Jean-Louis

Françoise a dit…

Contente que cela t'ait plu, j'avais à peine insisté!
C'est fort bien résumé et malgré mon grand enthousiasme, je suis d'accord sur le fait que l'intrigue est difficile à suivre, les personnages de femmes sont particulièrement ressemblants et on ne sait pas toujours où l'on en est.
Ce n'est sans doute pas très important, c'est un film à contempler, qui est très construit et qui présente plusieurs facettes.
Les scènes champêtres sont en effet superbes et remarquables sur le plan des couleurs : de nombreuses couleurs très naturelles alors que la plupart des autres scènes sont plutôt en 1 ou 2 couleurs : dominante noir et blanc ou noir et rouge ou bleu...
Donc un très bon film puisqu'il donne autant envie d'échanger.