lundi 1 février 2016

Peter Pan, Don Quichotte, les Indiens et Chinafi


On me demande souvent pourquoi je m’intéresse à la Chine et à la culture chinoise et je suis toujours embarrassé pour répondre.

Peut-être cet intérêt remonte à mes lectures enfantines et je pense notamment au Lotus bleu. Sans doute aussi parce que bien plus tard j’ai pris contact avec Couleurs de Chine avec qui je fis mes premiers voyages en Chine pour rencontrer mes filleules.

Mais je pense qu’il y a une autre raison qui repose en partie sur une confusion. Enfant, j’ai toujours été fasciné par les Indiens d’Amérique et par le monde étrange et fragile qu’ils représentaient. Déjà je prenais fait et cause pour les Indiens contre les cow-boys qui menaçaient de détruire ce monde. Et sans doute j’ai cru retrouvé ce monde étrange dans la Chine.

Je voudrais revenir sur cette passion enfantine pour les Indiens car elle va me permettre d’évoquer les raisons d’un de mes autres centres d’intérêt dont j’ai souvent fait état dans les articles de ce blog : je veux parler de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss. A la fin de notre classe de philosophie notre professeur nous donna une liste de livres à lire. Parmi ceux-ci figurait Tristes Tropiques que je lus avec ravissement car ma passion enfantine se trouvait justifiée. Ce monde étrange avait beaucoup à nous apprendre. En même temps, je trouvais un frère d’armes qui en 1992 parlait du 500ème anniversaire non pas de la découverte mais de l’envahissement du nouveau Monde.

Mais pourtant ma sympathie pour les Indiens ne tient pas seulement à leur étrangeté. Dernièrement, j’ai eu une conversation passionnante avec un ami. J’évoquais la difficulté de faire vivre les « activités Chinafi » et particulièrement notre chère chorale. Cet ami, très attaché lui aussi aux activités de l’association, me rappelait cependant cette loi de l’Histoire : les choses naissent, se développent, atteignent leur apogée puis déclinent et disparaissent. C’est effectivement une loi que l’Histoire montre pour les civilisations et ne pas l’accepter revient à se battre contre les moulins à vent.

Il y a pourtant des personnages et des cultures qui ont refusé cette loi ce sont Peter Pan et la plupart des peuples dit « premiers » qui ont refusé d’entrer dans l’histoire et dans l’Histoire.
Et je dois avouer que j’éprouve une certaine sympathie pour eux.

Au cours d’un entretien, Jacques Le Goff demanda à Claude Lévi-Strauss sa couleur préférée. Celui-ci répondit que s’il était fidèle à ses principes il répondrait qu’il n’y a pas de couleurs en soi et qu’elles n’existent que les unes par rapport aux autres. Pourtant s’il devait choisir il répondrait le vert car c’était la couleur des chevaliers errants. En véritable chevalier errant il s'est battu contre des moulins à vent. Il s'est indianisé au point de développer une théorie, le structuralisme, qui ne reconnait à l'Histoire qu'un rôle contingent, au point de concevoir son oeuvre comme une variante des mythes indiens.

Malgré des points de désaccord, je pense notamment à une certaine tendance à l’islamophobie et parfois (mais pas toujours) à la misogynie, tendances que je regrette vivement, je pense que l’œuvre de Lévi-Strauss nous apporte beaucoup. Elle nous rappelle, entre autre, le respect que l’on doit à tous les êtres vivants à commencer par les plus humbles et la richesse de la diversité des cultures. C’est aussi une formidable grille de lecture qui permet de mieux comprendre aussi bien certains aspects de la culture chinoise que de notre vie personnelle En voici un exemple que je livre à votre réflexion. Le passé éclaire le présent mais tout aussi sûrement le présent explique le passé. Ainsi sur le plan individuel ce que l’on est aujourd’hui explique nos échecs passés.
Il y a quelques mois, notre amie Danielle lança l’idée de partager les livres que nous avions aimés dernièrement. Reprenant son idée je voudrais signaler l’admirable biographie (prix Fémina de l'essai) qu’Emmanuelle Loyer a consacrée à l’anthropologue. Pour revenir à la Chine, elle nous rappelle ce que Lévi-Strauss doit à Marcel Granet. Son livre se termine par une citation de l’ethnologue. Devant l'uniformisation de notre monde, devant la disparition de la diversité des cultures on pourrait avoir une vision désespérée de l'avenir. Pourtant  rien n'est assuré, pas même le désespoir, car « on dit de deux choses l’une et c’est toujours la troisième ».
Jean-Louis

2 commentaires:

Olivier a dit…

Je ne pensais pas qu'une réflexion assez générale au cours d'une de nos discussions aurait été le point de départ de cet article, riche de références et aussi de confidences personnelles.
Mais cher Jean Louis, je ne pense pas que ma réflexion reflète chez moi une vision désespérée.
D'une part parce que ce qui a été laissera toujours une trace dans le monde actuel. Ainsi en va-t-il de la civilisation des indiens d'Amérique, aujourd'hui disparue mais qui nous émerveille lorsqu'on la redécouvre. Ainsi en va-t-il aussi des livres et des théories de Levi Strauss.
D'autre part parce que cette "obsolescence programmée" des choses est la condition d'émergence de nouvelles choses : la vie quoi ! :-)
Olivier

Jean-Louis a dit…

Cher Olivier tout d’abord merci pour ton commentaire. Les discussions que j’ai avec toi ou avec d’autres amis sont toujours importantes pour moi car lorsque je veux formuler une idée j’imagine toujours que je dialogue avec un ami et que je continue une de nos conversations. Il est sans doute vrai qu’il y a une « obsolescence programmée » des choses mais encore faut-il pouvoir remplacer ce qui disparaît et ce n’est pas toujours facile. J'ai bien compris que tu n'avais pas une vision désepérée des choses. On la trouve plutôt chez Lévi-Strauss qui parle de la "grandeur indéfinissable des commencements". Cela dit je pense qu'il est plutôt sain d'avoir, quand on le peut, une vision optimiste des choses.

Pour poursuivre notre conversation nous avions évoqué les leçons de musique de JF Zygel et la pédagogie. Je voudrais revenir sur ce moment qui me permettra de répondre en outre à une objection que l’on pourrait me faire.

Cette objection serait la suivante : à aucun moment tu ne parles d’un intérêt pour la culture chinoise pour elle-même.

L’œuvre de Lévi-Strauss repose sur l’idée qu’un mythe, un masque ou toute autre chose n’ont pas de signification en soi. On ne peut les comprendre qu’en les rapprochant d’autres mythes, d’autres masques. C’est aussi ce que dit Jean François Zygel dans ses magnifiques leçons sur la musique : un mode majeur ou mineur n’a pas de valeur en soi il n’est que relatif à un autre mode. (Précipitez vous à l’Alcazar pour emprunter ses DVD !)

Il me semble que les Hommes ont exprimé quelques grandes idées. Par contre ils les ont transcrites dans des codes différents selon les cultures. Rapprocher ces codes n’est pas nier la spécificité des pensées c’est au contraire la faire ressortir. La signification reposant sur l’écart différentiel. Car qu’est-ce que signifier ? C’est toujours traduire un code dans un autre à la manière du dictionnaire qui explique un mot par un autre. D’où l’importance en pédagogie de répéter une idée avec des mots différents.
Jean-Louis