mardi 16 février 2016

La lune et le saule


J’ai souvent parlé dans ce blog ou ailleurs d’un livre qui m’a beaucoup marqué, je veux parler de L’Ami qui venait de l’an Mil de Claude Roy aux éditions Gallimard.
Les premières pages où Claude Roy raconte ses promenades avec Lao She et avec Mei Lanfang, un gentleman très courtoisement homosexuel, et où il évoque les dangers de l’obscurantisme sont admirables et d’une brûlante actualité.  Je vous y renvoie.

Je voudrais en venir au moment où l’écrivain raconte comment il est entré en amitié avec Su Dongpo. Claude Roy se promenait avec un ami, Lo Dakang, qui avait autrefois vécu en France :
Le rire des enfants, qui étaient venus en excursion du Kuandong à Hangchou, leur parler cantonnais dont la sonorité est si différente du mandarin parlé au Nord, la gentillesse et la curiosité de leur accueil, tout était cordial et léger. Nous oubliions la nuit déjà là, en partageant le riz aux crevettes de nos nouveaux amis. Soudain, je m’exclamai : « Lo, regardez ! la lune !!! On dirait qu’elle est accrochée aux branches du grand saule… » « Comme une araignée … » dit Lo Datang.
Il nous restait une heure de marche ou davantage pour regagner notre gîte, et la lune se déprit lentement du réseau des branches du saule pour monter au zénith. Nous habitâmes jusqu’à notre arrivée une immense perle laiteuse, la lumière d’un jour à peine plus timide que le jour véritable, une bulle de clarté irisée par l’humidité du lac et des eaux avoisinantes …

Le lendemain Lo Datang apporta à Claude Roy un choix de poèmes de Su Dongpo où se trouvaient ces vers

Suspendue aux tiges          grande araignée qui danse
La lune est accrochée aux branches d’un saule pleureur ….

C’est ainsi que Claude Roy fit la connaissance de Su Dongpo.

Cette image et ses variantes de la lune accrochée aux branches du saule ou de la lune au dessus du saule (peu importe)  on va la retrouver de poèmes en poèmes dans la poésie chinoise. Comme le souligne Martine Vallette-Hemery dans Les formes du vent Des images neuves à l’origine se retrouvent, légèrement modifiées, d’un texte à l’autre ; seul le montage diffère et permet de mesurer la subtilité de l’allusion… Et ce qui doit être particulièrement intéressant pour le traducteur, comme pour le lecteur chinois, c'est d'appréhender l'écart différentiel (la subtilité de l'allusion) avec lequel est exprimé une même image dans des poèmes différents.

La lune dans le saule a permis à Claude Roy de rencontrer Su Dongpo. Elle peut nous conduire à des discussions passionnantes sur la traduction mais aussi sur la notion de répétition à la base de l’enseignement, de la musique et de bien d’autres choses.

Ces discussions entre amis sont pour moi très importantes. Ce qui compte n’est pas de savoir qui a raison mais à chaque fois de découvrir un pan de la culture.

Merci à la lune de nous en offrir l’occasion. Elle s’achemine en ce moment vers sa plénitude, symbole de la réunion des familles et des amis. Regardez la grandir….

Jean-Louis

2 commentaires:

Jean-Louis a dit…

Un article du blog c’est toujours comme la partie visible d’un iceberg. Il repose sur quatre vingt dix pour cent de non dit qui peuvent s’exprimer dans des commentaires, dans un cercle d’amis …
Ainsi cet article contient sept ou huit thèmes qui pourraient être développés. Je voudrais revenir sur l’un deux car il peut nous paraître curieux. Celui selon lequel le plaisir esthétique repose sur la répétition/variation. En effet nous sommes plutôt enclins à faire reposer l’excellence sur l’inventivité, la créativité (Joël Bellassen nous l’a rappelé pour la cuisine).
Pourtant il y a une forme d’art qui nous est proche où la répétition/variation joue un rôle important. C’est la musique. Jean-François Zygel, admirable pédagogue, nous le rappelle à chacune de ses leçons. Dans la musique classique un thème est presque toujours exposé en deux parties comprenant le même nombre de mesures. La deuxième partie reprenant la première en la variant. Non seulement un thème est exposé en deux parties se répétant mais après une partie appelée le développement il est réexposé. Les auditeurs du XVIII°, peut-être plus cultivés que nous sur le plan musical, attendaient cette réexposition et appréciaient sa variation comme les Chinois aimaient à voir répéter un thème de poèmes en poèmes avec de subtiles variations. De nos jours consciemment ou inconsciemment c’est la répétition qui nous permet d’éprouver le plaisir en musique.
Nous pouvons voir là l’ébauche d’un autre thème. Non seulement la pédagogie, les explications ne nuisent pas au plaisir esthétique mais elles le renforcent.

Actuellement la lune s’achemine vers la plénitude invitant les amis à bientôt se réunir. Cela me fait penser à un autre astre, dans une autre culture, qui invitait d’autres personnes à se retrouver. Mais là, c’était une étoile.
Jean-Louis

Michel MONTEILLET a dit…

Tes propos, Cher Jean-Louis, me rappellent des moments vécus ce week-end dernier à Mogashan, une montagne, havre de paix et de fraîcheur, où nous nous sommes rendus pour fuir le tumulte de Shanghaï. Cette montagne, située a une soixantaine de kilomètres de la capitale du Zhejiang, est tres appreciee pour ses nombreux sentiers forestiers au milieu des longs troncs de bambous. Plusieurs anciennes villas de style occidental nous feraient presque oublier que nous sommes en Chine. Parmi elles, certaines sont connues pour avoir accueilli autrefois des célébrités comme Chiang Kaishek et son épouse Soong Mei-Ling, Du Yuesheng, une ancienne figure du banditisme de Shanghai, et plus tard Zhou Enlaï. Avant même la création du village de Moganshan a la fin du XIXe siècle, la montagne était déjà sujette à de nombreuses légendes mettant en scène différents protagonistes comme Gan Jiang qui, à la fin du VIeme siècle avant JC, y serait allé pour y forger des épées a côté d'un des ruisseaux qui coule le long des versants de la montagne. Il est également dit que certains Empereurs de la dynastie des Song du Sud aimaient se rendre a Moganshan pour s'y rafraichir grâce a l eau de source qui y coule.Profitant de ce site exceptionnel, nous cheminions sur les sentiers jusqu'au crépuscule, moment magique où le soleil se mit à jouer dans les arbres en s'y enfonçant doucement. A l'inverse de la lune dans le saule, le disque jaunissant et grandissant semblait devenir prisonnier des bambous et des branches des arbres, tel un poisson imaginaire dans les rets du pêcheur. Je n'ai pu résister au mystère de l'instant et je l'ai fixé en images pour le conserver dans ma mémoire, me laissant bercer par la poésie du moment dans le silence de cette montagne glissant doucement dans le sommeil de la nuit...
Le partage d'un tel instant nous rapproche et il n'est point besoin de discours pour traduire les sentiments qu'il évoque...
MICHEL