mercredi 14 septembre 2011

Les travailleurs chinois pendant la Première guerre mondiale : premier flux migratoire chinois en France.



La prolongation de la guerre que les autorités n'avaient pas prévue posèrent à celles-ci de redoutables problèmes. Il leur fallut tout à la fois fournir au commandement les hommes et tout le matériel (armement, munitions, équipement...) dont il avait besoin et répondre aux besoins essentiels de la population civile. Cela impliqua de transformer en profondeur l'organisation économique du pays et de disposer de la main d'oeuvre nécessaire.

Aussi les autorités encouragèrent le développement du travail féminin et recrutèrent massivement des travailleurs étrangers d'origine très diverse (belge, espagnole, portugaise, italienne, monténégrine, suédoise, grecque, maltaise...) ainsi que des travailleurs coloniaux (nord africains, indochinois et malgaches).
Elles se tournèrent également vers la Chine considérée comme un réservoir inépuisable de main d'oeuvre. Une mission commandée par le Lieutenant Colonel Truptil arriva à cet effet en Chine en janvier 1916, et, après de longues négociations conclut une convention avec des dignitaires chinois chargés d'opérer ce recrutement. C'est ainsi qu'arrivèrent à Marseille environ 37 000 travailleurs chinois provenant essentiellement du Shandong et du Hebei mais également du Jiangsu et du Guangdong.
Ils furent principalement affectés aux usines de guerre puis du fait de la pénurie persistante de main d'oeuvre aux principaux ports français pour un millier d'entre eux ainsi qu'à la zone des armées.

A la fin de l'année 1916, les autorités anglaises organisèrent à leur tour le recrutement de travailleurs chinois dans le Shandong, d'ailleurs sans aucune coordination avec la mission française du fait de l'incapacité des autorités françaises et anglaises à parvenir à un accord sur ce sujet.
Le recrutement anglais fut plus important : plus de 95 000 travailleurs débarquèrent en France après un très long périple (traversée du Pacifique, du Canada et de l'Atlantique pour près de 40 000 d'entre eux, passage du Cap de Bonne Espérance pour les autres) et débarquèrent surtout au Havre et à Calais.
Ils furent employés au déchargement des navires, aux transports des munitions et matériaux divers dont l'armée anglaise avait besoin, à la réparation des tanks, à la construction de voies ferrées et à la réfection des routes ainsi qu'aux travaux de défense (aménagement de tranchées).

A la fin de la guerre, ils furent massivement envoyés dans les régions libérées du nord de la France afin de remettre les sols en état. Il s'agissait d'enlever les amas de ferraille, de reboucher les tranchées et les trous d'obus et de participer à la destruction des munitions dangereuses (grenades et obus envoyés ou tirés et non explosés). Ils furent également employés à l'exhumation des corps enterrés dans des cimetières provisoires et regroupés dans des cimetières militaires.

Plusieurs milliers d'entre eux périrent au cours de leur séjour en France essentiellement de la grippe espagnole qui fit des ravages en Europe, de la tuberculose, mais également des mauvais traitements que certains subirent ou lors de bombardements. Certaines révoltes furent réprimées dans le sang par l'armée anglaise. L'estimation du nombre de morts varie beaucoup de 2 000 à 20 000 selon les sources. En tout état de cause, il n'existe aucune statistique officielle recensant précisément le nombre de victimes.
Plusieurs centaines de travailleurs chinois sont enterrés dans des cimetières (ou carrés) militaires essentiellement britanniques. Ainsi 842 travailleurs chinois reposent au cimetière chinois de Nolette près de Noyelles sur mer dans la Somme.

A partir de l'année 20 jusqu'en 1922 la plupart d'entre eux furent rapatriés. On estime généralement que 3000 d'entre eux restèrent en France. C'est ainsi que se constitua le premier quartier chinois à Paris près de la gare de Lyon (ilot Chalon aujourd'hui entièrement rénové). D'autres s'installèrent là où ils avaient été embauchés ou se regroupèrent entre eux (dans la Nièvre, à Lyon...)
Yves Tsao

3 commentaires:

Jean-Louis a dit…

Nous sommes particulièrement heureux d’accueillir un nouveau contributeur sur notre blog.

Merci, Yves, pour cet article qui relate les heures sombres du premier flux migratoire chinois en France et en Angleterre. Ce rappel de la politique coloniale de la France et de l’Angleterre fait frémir. Il est bon de ne pas l’oublier.

Merci d’avoir donné à notre blog la primeur de tes recherches. J’espère que cet article est le premier d’une longue série car nous avons envie d’en savoir plus. J’espère que tes recherches donneront lieu à la publication d’un livre et pourront faire l’objet quand tu seras prêt et si tu le souhaites d’une conférence.

J’espère aussi, que les réactions à cet article seront nombreuses.
Jean-Louis

Françoise a dit…

C'est un article passionnant qui donne envie de lire la suite.
Je souhaite aussi que cela donne lieu à une publication et à une conférence.
A suivre...

Anonyme a dit…

Il y a un livre sur ce sujet, paru en mai 2012:

http://www.cnrseditions.fr/Histoire-contemporaine/6598-les-travailleurs-chinois-en-france-dans-la-premiere-guerre-mondiale-sous-la-direction-de-li-ma.html