vendredi 27 mars 2009

Leçon inaugurale d'Anne Cheng au Collège de France

Une info pour tous ceux qui s'intéressent à la pensée chinoise : la leçon inaugurale d'Anne Cheng, récemment nommée au Collège de France, est désormais podcastable sur le site de cette institution :

Collège de France

Une occasion de découvrir ou de retrouver la grande clarté de cette enseignante et chercheuse de haut niveau, prouvant qu'il est possible de fournir un enseignement d'élite au plus grand nombre.
Vous aurez compris que je suis un peu groupie (mais il me semble bien ne pas être la seule!)
A bon entendeur... (ou plutôt écouteur ...)

Françoise

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je n'ai pas réussi à intégrer le lien, il faudra donc le taper. Désolée! et si quelqu'un peut m'expliquer la procédure

Anonyme a dit…

Lien sur collège de France activé.
Voir la procédure dans le code html du message.
Bises
Olivier

Anonyme a dit…

Merci à vous 2, j'ai pu à loisir écouter la leçon en attendant de l'assimiler un jour.
Néanmoins, même si je suis loin d'avoir tout compris ce fut un moment d'écoute valorisant.
Je suis admirative devant tant d'érudition, j'ai retenu qu'elle a dit entre autre que la sinologie est une école de l'humilité.
Nicole

Olivier a dit…

Altérité : le retour !

Merci Françoise pour ce lien et pour cette intéressante leçon inaugurale. Le ton posé et le vocabulaire imagé d'Anne Cheng rendent sa leçon très agréable à l'écoute sans pour autant être superficielle.

En ce qui concerne la compréhension des textes, elle s'inscrit dans la tradition sinologique de la lecture à haute voix, de l'écoute musicale du texte et de temps infini passé à l'étude en insistant sur le replacement du texte dans son contexte temporel pour en mieux comprendre le sens.

En ce qui concerne la Chine, il n'est pas facile à l'heure actuelle, quand on est sinologue de se positionner tant les débats sinologiques, philosophiques, politiques etc. sont vifs. On l'a vu ces derniers temps sur ce blog. Et j'ai apprécié la présentation de son projet sinologique qui devrait lui éviter, il me semble, d'être immédiatement classé sous telle ou telle bannière avec telle ou telle étiquette.

Du constat de la situation actuelle où l'on campe sur des registres d'altérité qui figent les oppositions hors du temps et de l'espace et qui ne permettent pas de repérer la pluralité et la diversité des différences, elle propose aux sinologues de voyager plutôt que de camper.
Voyager dans le temps c'est-à-dire dans l'histoire de la pensée chinoise, mais aussi dans l'espace (Japon, Corée, Vietnam, Chine) pour faire apparaître un paysage contrasté de cette pensée avec ses reliefs et ses failles.
"Plutôt que l'altérité qui fige le vis-à-vis, je recherche les différences qui saisissent les choses dans les couleurs et dans le mouvement même de la vie".

Il est rassurant pour nous, occidentaux de l'entendre dire que, dans ce travail de réappropriation de cette pensée, nous ne sommes pas désavantagés par rapport aux chinois.

Olivier

Jean-Louis a dit…

« A soixante ans, j’avais l’oreille accordée » nous dit Confucius en décrivant les principales étapes de sa vie.
Bien que très proche de cet âge vénérable, je suis encore bien loin de posséder cette qualité, au grand désespoir de Jing Ping qui s’efforce à chaque début de cours de nous faire reconnaître les quatre tons de la langue chinoise.
En fait, je me sentirais (ou voudrais me sentir plus proche) de l’âge de 15 ans évoqué par Confucius : « A quinze ans, je mis toute mon énergie à apprendre ».

Il est beaucoup question dans l’intervention d’Anne Cheng de musique, de musicalité, d’écoute, d’oreille et donc de Sagesse (savoir écouter). Anne Cheng nous fait d’ailleurs malicieusement remarquer que le graphème de l’oreille fait partie du caractère chinois qui signifie « Sagesse ».
Comme le souligne Olivier, il est également beaucoup question de voyages. Et pour une fois, je souhaiterais habiter Paris pour écouter les cours du Collège de France et participer à l’aventure à laquelle nous convie Anne Cheng.

Qui aime les voyages aime les différences. Alors après, tout est question de convention. Recherche des différences ou de l’altérité peu importe la terminologie que l’on emploie.
Ma conviction profonde est que l’apport immense de l’ethnologie et de ses prédécesseurs que sont Montaigne et Rousseau est de nous avoir fait prendre conscience qu’il peut exister des réponses différentes aux questions que se pose l’Humanité, qu’elle a pu suivre d’autres voies que celles que nous avons empruntées et qu’il faut savoir écouter ces voix différentes tout d’abord pour le sens qu’elles délivrent mais aussi, comme l’écrit Simon Leyis (cité par Anne Cheng dans Histoire de la pensée chinoise ) car elles nous font prendre conscience « des contours de notre moi culturel ». Et sans doute en va t il des civilisations comme des individus, c’est en se confrontant avec les autres que l’on prend conscience de son identité.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette intervention. J’ai bien aimé le rôle de « passeur » (au sens utilisé dans les sports collectifs où l’on passe la balle à celui qui mieux placé pour marqué le but) que s’assigne Anne Cheng. Passeur, passage, transmission : n’y aurait-il pas matière à un petit article ?

Jean-Louis

Anonyme a dit…

Si cette info a stimulé l'envie d'écrire à nouveau, j'avoue en être assez fière. C'est un plaisir, Olivier et Jean-Louis, de lire des commentaires aussi pertinents et qui ouvrent des perspectives.
Comme J-L, "Je ne suis pas parisienne, ça me gêne,ça me gêne..." et à jeudi pour travailler notre oreille.

Nicole a dit…

Je cite JL :
"Anne Cheng nous fait d’ailleurs malicieusement remarquer que le graphème de l’oreille fait partie du caractère chinois qui signifie « Sagesse »."

MAIS...

Quel est ce caractère ???
Nicole

Olivier a dit…

A vrai dire Jean Louis, je pense que avec l'âge, au lieu de passer d'une étape à l'autre, tu les cumules toutes en toi et à la veille de tes 60 ans, tu vas bientôt rajouter une couche de sagesse.

Pour en revenir à notre sujet, que l'on se connaisse davantage par le contact avec les autres plutôt qu'en se regardant le nombril, chacun en convient volontiers et moi le premier.

Par contre, je pense que la terminologie d'un discours est importante et on peut faire confiance aux membres du Collège de France pour soigneusement choisir leurs mots lors de leurs leçons inaugurales. "Penser c’est d’abord exploiter les ressources de la langue dans laquelle on pense" disait un sinologue connu et je suis sûr qu'Anne Cheng s'inscrit dans cette démarche. Et je suis sûr que son emploi du terme "différences" au lieu de "altérité" est intentionnel et porteur de sens.

J'ai vu dans un dictionnaire la définition suivante. Différence : relation d'altérité entre deux choses supposées par ailleurs identiques. Ce terme englobe donc en lui de façon subtile les deux notions d'altérité et d'identité. Quand je vais en Chine en espace ou en pensée, je n'ai pas l'impression de franchir un seuil, mais il me semble que je passe continûment d'un espace à un autre, d'une pensée à une autre et ce n'est peut être qu'au détour d'une route ou d'un livre que l'on va apercevoir des perspectives ou des pensées différentes de celles qu'on avait l'habitude de voir chez soi.

Le second niveau tient à l'emploi du pluriel : "différences" au lieu de "différence". Ce que laisse entendre ce pluriel, c'est que entre les différences il y a du commun, et c'est ce commun qu'exclut l'altérité.
Ce n'est pas la première fois que j'observe que le pluriel est plus riche de sens que le singulier. Par exemple, je préfère de beaucoup la dénomination plurielle française de "siècle des lumières" à celle singulière anglaise de "Age of Enlightment" tout comme je préfère les lumières des étoiles à celle unique du soleil car celles ci laissent la place à l'ombre. De même, un ciel remplit d'un panthéon de dieux me parait plus riche qu'un ciel avec un seul Dieu totalisant.
J'observe d'ailleurs cher Jean Louis, que dans ton langage ("se confronter avec les autres"), tu préfères toi aussi te situer dans le pluriel des autres plutôt que dans le singulier de l'Autre.

L'oreille s'écrit 耳 mais je n'ai pas trouvé de traduction du mot sagesse avec ce graphème. Le plus proche serait le caractère 聪 mais le sens de ce caractère est l'intelligence, la perspicacité, ce qui n'est pas tout à fait la sagesse. Peut être en chinois ancien ? Nicole, peux tu demander aux profs de Chinafi ?

Olivier

Jean-Louis a dit…

Cher Olivier je te remercie pour le ton très amical de ton message et je suis certain que nous sommes du même avis sur l’essentiel. (sauf peut-être sur mon accession à la Sagesse qui se produira peut-être quand je parlerai Chinois)
Je suis d’accord avec toi : le choix des mots est important. Pourtant j’avoue que je me perds un peu dans certains débats actuels. Faut-il parler d’altérité ou de différences ? Faut-il parler de mondialisation, de globalisation ou d’uniformisation ? Faut-il parler d’identité ou d’appartenance ? Quand les ethnologues parlent d’altérité ou d’identité (mots qui prennent manifestement un autre sens chez les sinologues) je ne pense pas qu’ils excluent les points communs entre les hommes notamment le droit imprescriptible à la vie.

Je ne voudrais pas que l’arbre cache la forêt c'est-à-dire que cette querelle sur les mots cache ce qui est pour moi l’essentiel. Ce qui pour moi est essentiel c’est ce que Claude Lévi-Strauss appelle (je cite de mémoire) : « les fleurs fragiles de la différence » ou plutôt disons «les fleurs fragiles des différences », car comme toi, je préfère le pluriel (j’ai bien aimé ce que tu as écris sur la lumière des étoiles face à la lumière aveuglante du soleil) et avec toi je regrette la disparition des cultes animistes remplacées par les grandes religions monothéistes.

Et c’est précisément ce pluriel que je crains de voir disparaître car les fleurs fragiles des différences sont menacées un peu partout par les civilisations dominantes (problème de la protection des minorités et de leur culture) ou par ce phénomène, je ne sais pas s’il faut le nommer mondialisation, globalisation ou autrement, mais dont je vois les effets : une uniformisation grandissante, un appauvrissement culturel à commencer par l’appauvrissement des langues, notamment de l’anglais, vecteur de cette civilisation mondiale. Je suis intimement convaincu que ces fleurs fragiles sont une richesse pour l’humanité et qu’il faut tenter de les protéger car elles nous offrent une possibilité de décentrement et de nous mettre nous mêmes en perspective.

Un autre point de l’intervention décidemment très riche d’Anne Cheng et qui en tout les cas nous fait beaucoup écrire, c’est la question de la réception des œuvres. Une œuvre n’existe pas réellement en soi. Elle n’existe que dans un prisme de lecture, d’audition qui forme les conditions de sa réception. Ces conditions de réception font parfois l’objet de médiations curieuses. Anne Cheng nous indique, par exemple, que les Chinois ont connu les œuvres de Foucault et de Derrida à travers les américains. Cela dit en allant plus loin on peut penser que la lecture d’une œuvre n’est jamais objective et qu’elle dépend toujours du contexte idéologique dans lequel elle est reçue.
Les ethnologues ont, c’étaient leur raison d’être, beaucoup réfléchi sur les questions qui agitent aujourd’hui les sinologues et que l’on trouve évoqués dans la leçon d’Anne Cheng : différences des cultures, influence du milieu dans l’appréhension d’une œuvre. Il serait sans doute intéressant de rapprocher ces deux disciplines.

Jean-Louis