mardi 11 novembre 2008

la Lune - par Su Dongpo (partie I)



Le poème présenté aujourd’hui est un poème de Su Dongpo (1037-1101).
J’en ai trouvé le texte chinois ainsi que trois traductions (une en anglais, deux en français) sur le blog de Florent Courau qui se nomme « Pérégrinations vers l’Est » .

Le poème en chinois et sa traduction en anglais


Les deux traductions françaises :

Lune, depuis quand brilles-tu ? Et jusqu'à quand ?
Un verre de vin à la main, je le demande au ciel pur.
Et en quelle année sont-ils là-haut, au palais des dieux ?
Je voudrais bien chevaucher le vent pour y aller,
mais la peur d'être seul au froid palais de jade me retient.
Me mettant à danser, je joue avec mon ombre.
Ne suis-je pas ici-bas aussi bien qu'au ciel ?
Le clair de lune se ballade le long des murs du pavillon orné de rouge,
caressant la fenêtre décorée, éclairant celui qui ne dort pas.
Oh lune ! il n'y a pas de haine entre nous ;
alors pourquoi es-tu si ronde et belle juste au moment de nos adieux ?
Les hommes alternent peines et joies, séparations et retrouvailles ;
La lune se montre tour à tour claire et obscure, ronde et incomplète.
Il en a toujours été ainsi.
Ah ! Si seulement nous pouvions rester unis pour toujours,
Partageant à mille lieues l'un de l'autre la beauté de dame lune !
Traduction Florent Courau

Clair de lune, depuis quand parais-tu ?
Verre en main, j'interroge le ciel noir.
Qui saurait aux tours de ce palais céleste
En cette nuit combien d'années compter ?
J'aimerais chevaucher le vent qui rentre, partir,
Mais redoute qu'en cette rotonde de rubis et de jade
Si haut perchée, le froid ne l'emporte sur moi.
Je me mets à danser, jouant de mon ombre claire,
Qu'est-il de comparable au milieu des humains ?
Elle se tourne vers les édifices vermeils,
S'incline sur les fenêtres ouvragées,
M'illumine les nuits sans sommeil.
En retour je ne lui vouerai pas de haine,
Par quelle infortune toujours aux moments des adieux se montre le globe rond ?
Aux hommes affliction ou joie, départ ou retrouvailles,
À la lune, voile ou clarté, plénitude ou éclipse,
Ceci depuis toujours ne se concilie pas.
Pourtant ceux qui pour un long temps s'espèrent
À cent lieux de distance partagent la grâce lunaire.
Traduction site Labyrinthe

Les circonstances du poème : les deux frères.

Claude Roy a écrit un bel et émouvant essai , L’Ami qui venait de l’an mil (édition Gallimard) sur Su Shi qui choisit le surnom de Su Dongpo (l’exilé de la pente de l’Est)

Il nous parle d’un personnage attachant ne craignant pas de faire des remontrances à l’empereur lorsque sa politique écrase le peuple :
« Lorsque votre Majesté parle d’enrichir le pays, je ne comprends pas si elle entend par là l’enrichissement du peuple ou le sien… »

A l’origine d’un mouvement pour sauver les nouveaux-nés que les parents pauvres ne pouvaient pas prendre en charge

Grand ingénieur, ayant notamment aménagé le lac de L’Ouest

Fidèle au souvenir de sa femme morte jeune :
« A qui parler de mes pensées ?
Si nous nous retrouvions vous ne me reconnaîtriez pas
Poussières sur mon visage
Gelée blanche su mes cheveux.
Cette nuit, j’ai rêvé de vous. Je suis à la maison,
Vous êtes près de la fenêtre de la petite chambre.
Vous brossez vos cheveux
Les larmes coulent sur vos joues.
Est-ce que mon cœur aura souffrance
Ainsi année après année. »

Ses prises de positions lui valurent de nombreux exils et même la prison.
Claude Roy nous décrit le poète parcourant des milliers de lis, d’honneurs en disgrâces, à peu près constamment éloigné de son frère Tseyu pour lequel il nourrit une profonde affection.
La correspondance des deux frères est belle comme celle de Vincent Van Gogh avec Théo :

Su Dongpo :
« Pourquoi suis-je ivre sans avoir bu ? Quand son cheval tourna le dos au mien, mon cœur l’a suivi. J’ai jeté un regard en arrière, et j’ai vu son chapeau noir qui montait et descendait le long du chemin au rythme du cheval…Je sais bien que la vie est faite de séparations et j’ai peur que les années passent bien trop vite entre nous… »


Le poème que nous vous présentons aujourd’hui a été écrit par Su Dongpo pour son frère Tseyu à l’occasion d’une de leurs nombreuses séparations.
« Premier chant mélodique sur l'eau »- L'année du troisième tronc et du cinquième rameau, à la mi-automne, j'ai pris plaisir à boire jusqu'à l'aurore et en grande ivresse ai composé ce texte en pensant à Tseyu.

Su Dongpo et Li Bai

Le poème dédié par Su Dongpo à son frère est manifestement une variation sur un poème de Li Bai comme nous le dit le poète lui-même :

« Avec qui pourrais-je danser ?
le grand Li Po dansait à trois
la lune et lui son ombre et elle
mais je suis seul au fond du sud
perdu dans un pays malsain »


La comparaison des deux poèmes nous conduira à paraphraser Anne Cheng pour parler de thèmes poétiques véhiculés par la tradition qui ne sont pas propres à un auteur. Certes, la tradition existe dans toutes les civilisations. Il semble pourtant qu’elle ait occupée (occupe ?) en Chine une place particulière et que les Chinois plutôt que de rechercher l’originalité des thèmes aient préféré des variations subtiles sur des thèmes puisés dans un fonds commun.
La mise en relation des deux poèmes va permettre de dégager quelques uns des grands thèmes de la poésie chinoise.

Voici le poème de Li Bai (traduit par F Cheng éd Albin Michel)


« Buvant seul sous la lune
Pichet de vin, au milieu des fleurs,
Seul à boire, sans un compagnon.
Levant ma coupe, je salue la lune :
Avec mon ombre nous sommes trois.
La lune pourtant ne sait point boire.
C’est en vain que l’ombre me suit
Honorons cependant ombre et lune :
La vraie joie ne dure qu’un printemps !
Je chante et la lune musarde
Je danse et mon ombre s’ébat
Eveillés, nous jouissons l’un de l’autre;
Et ivres, chacun va son chemin…
Retrouvailles sur la voie lactée :
A jamais randonnées sans attaches ! »

Ceci n'était qu'un premier épisode. L'examen de ces deux poèmes va nous servir de fil conducteur pour traiter quelques thèmes: la lune, l'ivresse, l'ombre, la notion de sujet... En attendant, n'hésitez pas à intervenir!

Françoise
Jingping
Weiyi
Jean-Louis

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà pratiquement un mois que nous n'avions plus d'articles autour de la culture chinoise, mais à la lecture de celui-ci on comprend qu'on n'a pas attendu pour rien.
Vu le niveau d'écriture de votre article, chers amis, j'ai hésité à écrire un commentaire, car je ne peux rivaliser...
Bon, tant pis je me suis jetée à l'eau...pour vous remercier car on devine le travail que représente une analyse aussi poussée de la poésie de notre grand SU DONG PO

Anonyme a dit…

La traduction que je préfère est celle du site Labyrinte.
et toi????

Anonyme a dit…

Moi aussi,je préfère cette 2ème traduction qui rend mieux compte d'un climat poétique. A ce propos, si quelqu'un retrouve l'adresse de ce site, qu'il la communique car le lien que nous avions ne donne plus rien.

Anonyme a dit…

c'est peut être le propre d'un site qui s'appelle LABYRINTE....

Anonyme a dit…

par 2 fois j'ai perdu le H
avec toutes mes excuses

Anonyme a dit…

J'ai retrouvé l'adresse du site Labyrinthes :
http://home.tele2.fr/labyrinthes/
J'ai mis ce lien dans la rubrique liens amis.
Ce site contient de nombreux poèmes chinois et leurs traductions.
Bonne lecture.
Jean-Louis

Unknown a dit…

Merci