mercredi 19 novembre 2008
La lune par Su Dongpo - (Partie III)
Dans cette troisième partie de notre article consacré à la comparaison du poème de Su Dongpo dédié à son frère et du poème de Li Bai « Buvant seul sous la lune » nous continuerons à aborder quelques thèmes communs aux deux poèmes et à de nombreux poèmes chinois :
- l’ivresse
- la danse et les jeux avec l’ombre
Nous ferons un petit détour par Verlaine, l’Abbaye de Saint Victor et nous terminerons en mettant en ligne une chanson écrite sur le poème de Su Dongpo et interprétée par Wong Fei.
L’ivresse
L’ivresse que Su Dongpo célèbre est une ivresse légère. L’ivrognerie ne lui plait pas
« Je lève ma coupe de vin à sa caresse
Je bois à la santé du vent qui va
Sans se soucier de nous beau vent qui vole de la vallée aux nuages
Le long de l’eau qui brille dans la nuit. »
« Combien de coupes de vin ai-je bues aujourd’hui ?
Assez pour dénouer les chaînes de la mort.
Je jette au vent ma canne et je marche.
J’oublie les soucis, les tourments, les angoisses.
Je bondis avec les daims vers les sommets,
Je rejoins les singes qui sautent sur les falaises.
Je plonge dans l’écume de l’océan des nuages ;
Je flotte dans le tumulte silencieux du ciel »
Sans doute pour souligner la convivialité sans façon d’une réunion entre amis, le vin est parfois qualifié de « trouble », « de modeste » : « zhuo jiu ». Ainsi en va-t-il dans un poème qui fait l’objet d’une chanson très célèbre en Chine : « avec une carafe de vin trouble on se réjouit du reste du bonheur de la nuit … ».
La danse et les jeux avec l’ombre
« Me mettant à danser, je joue avec mon ombre… »
« Avec mon ombre nous sommes trois…
C’est en vain que l’ombre me suit …
Je danse et mon ombre s’ébat… »
L’ombre est bien un personnage important de ces poèmes et c’est un terme qui donne accès à une symbolique importante.
En consultant un dictionnaire, on trouve le caractère « ying » ou « yin ying » qui signifie aussi reflet, image, cinéma, ce qui nous rappelle le très ancien théâtre d’ombres chinoises, sortes de marionnettes.
On retrouve aussi le paradigme de base de la pensée chinoise : le couple yin/yang puisque yin renvoie au versant à l’ombre d’une montagne (cf. un précédent article du blog), cette dimension yin crée un lien fort entre ombre et lune, les deux étant yin par rapport au soleil yang. Et surtout, dans un seul vers, nous est donné l’essentiel de la pensée taoïste : la vie apparaît avec le « trois » : « avec mon ombre, nous sommes trois… », c’est le trois qui permet de dépasser l’aspect binaire et statique de l’opposition et de créer le mouvement, la danse, la vie.
"Le Tao d'origine engendre l'Un,
L'Un engendre le Deux,
Le Deux engendre le Trois,
Le Trois produit les Dix Mille êtres"
Tao-Te King
François Cheng, dans son livre consacré à Chu Ta, commente : "Le Trois dans l'optique taoïste, représente la combinaison des souffles vitaux Yin et Yang ...Il est nécessaire au fonctionnement harmonieux du couple Yin-Yang : c'est lui qui attire et entraine les deux souffles vitaux dans un processus de devenir réciproque. Sans lui, le Yin et le Yang se trouveraient dans une relation d'opposition figée; ils seraient réduits à l'état de substances statiques et comme amorphes."
Alors la transition avec le Taijiquan ou boxe de l’ombre s’impose (surtout quand on vient d’y consacrer une journée de stage, au lieu de crapahuter avec son mari et les amis de Chinafi sur les pierriers de Gémenos !).
Le Tai Ji Quan est donc aussi appelé « boxe de l’ombre », référence à sa dimension martiale mais dans la perspective d’un combat qui n’est pas une lutte ; il s’agit de combattre avec son ombre, avec son double (autre côté de soi-même), son adversaire intérieur, sa part d’ombre. C’est une forme vivante, en mouvement et en mouvements d’une tradition philosophique.
La lune comme un berceau sur Saint Victor
Dans les calligraphies de Weiyi, nous avons vu le caractère « yue » : lune, écrit de multiples façons. Dans celle illustrant l’article d’aujourd’hui (2ème caractère de la première colonne), la lune est représentée, dans son premier quartier, penchée, un peu comme un berceau. J’avais rarement vu la lune ainsi dans le ciel. Or, ce 6 novembre, en rentrant de la chorale chinafienne un choc : elle était exactement dans cette position, sur les tours de Saint Victor.
Du coup, j’ai pris cette photo. C’est vrai, il aurait fallu un zoom…
L’art poétique
Puisque nous parlons de poésie, je ne résiste pas au plaisir de citer (à la suite de Florent Courau) un magnifique poème de Verlaine où l’on s’aperçoit que l’on pourrait faire un rapprochement entre les préconisations du poète et certaines caractéristiques de la culture chinoise : éloge de la chanson grise, éloge de la fadeur …
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
…
La chanson sur le poème
Le poème de Su Dong Po a été mis en musique et a fait l’objet de nombreuses interprétations. Parmi les plus célèbres citons celles d’Olivier, de Térésa Teng. Aujourd’hui nous vous proposons celle de Wong Fei :
A suivre,
Françoise,
Jingping,
Weiyi,
Jean-Louis
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1 commentaire:
Version d'Olivier de DanYuan Ren Chang Jiu ?
Nali , nali ...
Olivier
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