vendredi 13 juin 2008

Le Classique des Odes



Je lisais, dernièrement, des lettres de motivation d’étudiants chinois. Ces lettres étaient agrémentées de nombreuses citations.
Cela m’a amusé et intéressé car je retrouvai dans cet usage des citations une tradition qui remonte certainement à la plus haute antiquité chinoise et que l’on peut découvrir aujourd’hui dès qu’on lit un roman chinois.

Francois Jullien, dans son livre « Le détour et l’accès » nous rappelle que la Chine est une des seules civilisations de l’Antiquité à ne pas avoir « possédé, au départ de sa littérature, d’épopée. Nul récit d’actions héroïques, très peu d’appels au merveilleux. La Chine, en bref n’a pas eu d’Homère. »
A l’origine de la littérature chinoise il y a un recueil de poésies : le livre des Odes (Shiying) écrites entre le IX et le VI éme siècle avant Jésus Christ et dont on attribue la compilation à Confucius. Ces poèmes sont souvent composés sur des airs à chanter et ils émanent des différents pays qui constituaient la Chine de l’époque. : pays de Lu, de Chu, de Jin., de Zhao… La sensualité de certains de ces textes n’est pas sans évoquer le Cantique des Cantiques.

Voici la traduction du poème dont la première strophe est calligraphiée en tête de l’article :

Chanson du sud de Zhou :

La belle amie

Au bord de l’eau
Crient deux oiseaux
L’homme a envie
De sa belle amie

Le cresson roule
Dans l’eau qui coule
On fait la cour
De nuit, de jour

L’amie se refuse
L’homme s’accuse
Et se retourne dans le lit
De là, de ci

Que l’amant cueille
Les longues feuilles
Qu’il joue la lyre
L’amie l’admire

Qu’on mange longs
Ou courts cressons
La cloche sonne
L’amie se donne
(Traduction Xu Yuan Zheng)

Ci dessous les trois première strophes du poème avec la transcription en pinyin


Voici un autre poème du livre des Odes :

Votre collet jette un éclat bleu, mon cœur se languit.
Puisque je ne peux aller vers vous,
Que ne m’envoyez vous un message ?
Vos pendants jettent un éclat bleu, mon cœur se languit.
Puisque je ne peux aller vers vous
Que ne venez vous pas ?
Je vais et viens, guettant du haut des remparts .
Un jour sans vous voir
Dure trois mois.
(Traduction Béatrice L’Haridon)

Les anciennes chroniques nous apprennent que ces poèmes servaient de base au jeu diplomatique intense auquel se livraient, à partir du VII siècle avant Jésus-Christ, les Royaumes de la Chine dont la situation n’était pas sans rapport avec celle de la Grèce de la même époque. « Mais au lieu que ces rencontres diplomatiques soient l’occasion d’un affrontement des discours dressant face à face leurs arguments, comme on peut le voir dans Thucydide » les diplomates chinois usaient de citations tirées du seul corpus existant alors, celui qui deviendra le Livre des Odes. Il ne s’agissait pas de convaincre mais d’ébranler. Comme l’écrit François Jullien « le pouvoir d’ébranler par citations interposées. » Qu’il s’agisse de conclure la paix ou de libérer un prisonnier les négociations se font par échanges de citations canoniques. « L’art est moins de persuader l’autre en s’adressant à sa raison, que de faire vaciller sa volonté. »

La Chine n’a pas eu d’Homère. Anne Cheng nous rappelle qu’elle n’a pas connu non plus l’agora aux débats contradictoires nourris de sophistique et de logique (même si les membres d'une ephémère école des noms ont pu être comparés aux sophistes grecs, il semble que la pensée chinoise n'ait pas exploré très avant cette voie). La Chine ancienne a préféré puiser dans les Classiques « qui constituent un vaste réservoir de l’expérience et de la sagesse des hommes, un trésor d’exempla qui peuvent s’appliquer en toute occasion. »

Il est intéressant de voir comment les Classiques peuvent expliquer certains traits que l’on retrouve dans la pensée chinoise d’aujourd’hui et font ressortir, par effet miroir, l’originalité de notre propre pensée.


A suivre,
Jean-Louis

Les sources de cet article sont :
- Le détour et l’accès de François Jullien
- 300 poèmes chinois traduits par Xu Yuan Zheng
- Histoire de la pensée chinoise d’Anne Cheng
- L’article de Béatrice L’Haridon consacré aux Odes dans le numéro spécial du point consacré à la pensée chinoise

Appréciez la beauté de la calligraphie que nous devons comme d'habitude à Weiyi dont nous fêtons aujourd'hui l'anniversaire. Vous pouvez comparer la graphie de cette calligraphie avec celle du texte imprimé.
Notez, par exemple, l'originalité du caractère guan répété (1er et 2ème caractère de la première colonne, du zi (1er caractère de la 3ème colonne) du hao (2ème caractère de la 3ème colonne)

4 commentaires:

le blog de chinafi a dit…

Même avec tes bagages à faire, tu trouves le temps d'écrire! Quelle efficacité! Merci de lire aussi bien les écrits de Béatrice et de nous donner un article aussi clair. Les calligraphies de Weiyi sont toujours aussi belles. Bon anniversaire à elle (je ne retrouve plus son e-mail).Mon séjour en famille dans la Drôme se termine lundi, j'essaierai de mettre quelques photos prises avec le célèbre Clément. A bientôt. Françoise

Anonyme a dit…

Merci Françoise,je te souhaite un agréable moment avec votre famille.

Weiyi

Anonyme a dit…

quel talent Weiyi !!

Anonyme a dit…

j'apprécie tout particulièrement le fait que nous ayions pour un même poème une partie calligraphiée, la traduction en français mais également la transcription en pinyin
c'est extraordinaire !!!
MERCI !!!