mardi 26 avril 2016

La traduction comme reflet d'un mode de pensée


Un nouvel article pour répondre aux attentes de Nicole et donner quelques indices pour résoudre notre petite énigme : pourquoi la pensée chinoise a relativement peu utilisé la mythologie ou la théologie pour expliquer le monde ?

Ces indices vont faire appel à des notions qui ne sont pas très difficiles mais qui nous sont suffisamment étrangères pour que nous empruntions plusieurs chemins différents mais convergents pour les approcher et nous familiariser avec elles. Ce sera aussi l’occasion de reprendre des échanges que nous avons pu avoir sur le blog ou ailleurs avec Françoise sur les couleurs comme étapes de transformation et avec Olivier sur les problèmes soulevés par la traduction des textes.

Dans un récent commentaire Françoise signalait « le caractère 青 (qīng) qui évoque un vert dont les tons sont particulièrement changeants : bleu, gris, un bleu-vert ou un vert-bleu. C'est une couleur qui symbolise le renouveau, la vitalité (couleur du printemps, de l'élément bois...). » Or ce caractère changeant n'est pas seulement lié à la couleur qīng. C'est le propre de la plupart des notions chinoises à commencer par les fameux wu xing, notion que l’on traduit généralement par cinq éléments (eau, feu, bois, métal, terre). Léon Vandermeersch dans son livre Les deux raisons de la pensée chinoise estime que cette traduction de xing par « élément » n’est pas adéquate à la pensée chinoise car : « les wu xing chinois ne sont pas des substances…mais des formes fondamentales de la dynamique des mouvements et changements affectant incessamment tous les êtres de l’univers ». Il propose donc de traduire wu xing par les « cinq agents » ou plus précisément les « cinq éléments/agents ». En effet xing au sens premier signifie « façon de marcher » et par extension « façon d’agir » à la manière de l’eau (hydraulicité), du feu (ignicité), du bois (lignicité), du métal (metallicité), de la terre (telluricité) propriétés qui appartiennent à tous les êtres, à toutes les choses.

Léon Vandermeersch poursuit « La pensée chinoise saisit la nature des choses non pas comme sub-stantielle, c'est-à-dire fondamentalement stable, mais comme sub-mutationnelle, c'est-à-dire comme fondamentalement changeante (chaque chose ayant sa façon propre de changer suivant le xing à laquelle elle est associée). Pour mieux comprendre reprenons l’exemple signalé par Françoise de l’association du bois, du printemps, du renouveau, de la vitalité et de la couleur qīng . Cette association se comprend difficilement si on considère le bois comme un élément stable, comme une substance. Elle se comprend mieux si on considère le bois dans sa fonction dynamique de lignicité. Quelle est la propriété de la lignicité ? C’est la faculté de se redresser après s’être courbé. Ce qui est la définition de la vitalité, du renouveau et du printemps.

Dans un prochain article nous retrouverons ces notions et, peut-être, les comprendrons nous mieux en empruntant des chemins qui sur certains points recoupent la pensée chinoise du Yi Jing. Ces chemins se nomment le bouddhisme et le structuralisme.. Ils nous rapprocheront de la solution de notre énigme.
Jean-Louis

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce premier pas vers l'explication de l'énigme
Le suspense est à son comble
Nicole

Jean-Louis a dit…

Jean-François Zygel rapporte une conversation d’Alfred Hitckock avec François Truffaut où le maître du suspense disait au cinéaste français « le suspense ce n’est pas ne pas savoir ce qui va arriver : ça c’est la surprise. Le suspense c’est savoir ce qui va arriver mais ne pas savoir quand ni comment ». Par rapport à la surprise qui est instantanée le suspense à le pouvoir de tenir le spectateur, l’auditeur, le lecteur en haleine, de maintenir son attention éveillée.

C’est pourquoi il me semble que le suspense est un élément important de la pédagogie. Un cours, une conférence, un exposé devrait toujours comporter un élément de suspense.

Le suspense peut d’ailleurs être partout, même dans une symphonie. Le premier mouvement d’une symphonie classique comportait presque toujours trois parties : une exposition des thèmes (en général 2), un développement et une réexposition. Les auditeurs du XVIII° savaient qu’après le développement allait intervenir la réexposition. JF Zygel décortique les procédés musicaux par lesquels Mozart, dans sa 40° symphonie, maintient le suspense et tient l’auditeur en haleine avant d’introduire la réexposition. Passionnant. JF Zygel, les clefs de l’Orchestre Mozart Symphonie N° 40, disponible à l’Alcazar.
Jean-Louis

Françoise a dit…

On peut aussi parler de 5 mouvements, l'essentiel est en effet de rendre compte d'un processus dynamique et non de nommer un état.

"L’eau, le bois, le feu, la terre et le métal, bien que pouvant être les substances eau, bois, feu, terre et métal, elles-mêmes, ne sont généralement pas les aspects matériels de ces cinq « aspects ». Les Wu Xing sont plutôt les cinq qualités, les cinq propriétés, les cinq natures universelles qui caractérisent l’ensemble des objets ou phénomènes de notre univers manifesté. Ils correspondent aussi aux cinq cycles du processus naturel et irréversible de l’évolution et des transformations naturelles de toute chose et de tout être. En d’autres termes, ce sont les cinq étapes du cycle croissance/décroissance du Yin et du Yang qui est à l’origine de toute manifestation, ou bien encore, les cinq temps de l’incessante valse des transformations qui est à l’origine de notre monde." Philippe Sionneau

Jean-Louis a dit…

Je ne connaissais pas Philippe Sionneau. Je suis donc allé voir sur internet et j'ai découvert son site : sionneau.com Très intéressant
J'ai ainsi découvert que c'était un spécialiste de la médecine chinoise.
Je suppose que nos amis Nathalie et Shengping qui ont fait une conférence sur la médecine chinoise le connaissent. Il serait intéressant d'avoir leur avis.
Ainsi pourrait s'engager sur le blog ou ailleurs des échanges intéressants
Dans ses axes de recherches j'ai noté : "Relations entre le Yì Jīng (Classique des changements) et l'acupuncture".J'aimerais bien en savoir plus.

Dans la citation donnée par Françoise je note les termes de substances, de cycles, de processus et d'univers manifesté. Ce sont des notions qui demandent, peut-être, à être un peu expliquées (j'ai essayé de le faire dans les quatre articles consacrés au Yi Jing. Elles sont importantes car elles nous permettent d'aborder tout un pan de la pensée chinoise. Elles sont reprises dans une phrase d'Anne Cheng "La pensée chinoise n'est pas une pensée de l'être (ou de la substance) mais du processus"
Jean-Louis