lundi 30 novembre 2015

Bouddhisme, ethnologie et sérénité

Bouddha assis, dynastie Tang

Fillette Caduveo au visage peint


La phrase d’Arthur Rimbaud : « Je est un autre » est bien connue. Personnellement, je n’en ai compris toute la portée qu’en la retrouvant sous d’autres formes dans des textes consacrés au bouddhisme ou à l’ethnologie.

Emmanuelle Loyer vient de publier une biographie de Claude Lévi-Strauss qui a reçu le prix Femina de l’essai.  Ce livre se lit comme un roman d’aventures, une aventure de l’esprit. Que peut-on apprendre en suivant cette aventure ? Entre autres choses à réfléchir sur la notion de décentrement. L’ethnologie suppose le décentrement par rapport à sa propre société, il faut quitter le proche, le familier. Elle suppose également de la part de l’ethnologue un décentrement par rapport à son propre moi. C’est en s’éprouvant comme étranger à soi même, comme un « il » que l’ethnologue peut comprendre l’autre comme un « je ».(Emmanuelle  Loyer P. 423). Une caractéristique de la personnalité de Claude Lévi-Strauss a certainement favorisé sa vocation d’ethnologue. Il a souvent indiqué ne pas avoir le sentiment de l’identité personnelle, du moi. Ainsi déclare t-il dans une interview : Je n’arrive pas ou très difficilement à me percevoir comme un individu, comme une personne, comme un moi, mais bien plutôt comme un lieu où de façon transitoire se passent certaines choses.

Cette disposition n’est pas sans rappeler le bouddhisme. Dans son Histoire de la pensée chinoise Anne Cheng écrit Notre plus grande illusion – et c’est l’intuition centrale du bouddhisme – est la conviction que nous avons de constituer chacun un « moi » permanent : là réside l’obstacle majeur à l’atteinte de l’Absolu. Et l’on pourrait ajouter concernant l’ethnologie : là réside l’obstacle majeur à la connaissance de l’autre, là réside l’obstacle majeur à la sérénité.

Comment cette notion de décentrement peut conduire à la sérénité et justifier ainsi le titre de cet article ? Il peut arriver que l’on soit en délicatesse avec son propre moi. Si l’on parvient par un exercice de décentrement à prendre du recul par rapport à soi,  à se voir regardant, à se voir comme un autre, à se connaitre soi-même comme objet, à se savoir objet, on parviendra par cette objectivation de la subjectivité à gagner en lucidité et en sérénité (Voir Yves-Jean Harder, les cahiers de l’Herne). Et peut-être aussi à gagner en humour : Heureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes, ils n’ont pas fini de s’amuser.
Jean-Louis

1 commentaire:

Françoise a dit…

Ce rapprochement du bouddhisme et de l'ethnologie me semble ouvrir de très intéressantes perspectives