Joël Bellassen donnait hier soir, dans l’auditorium de la bibliothèque de l’Alcazar, une conférence présentant la langue et l’écriture chinoises : "Le chinois tel qu'il est, le chinois tel qu'il va".
Ce fut une conférence véritablement passionnante, par son sujet bien sûr et surtout par le talent du conférencier qui a su nous rendre proche la langue chinoise tout en en respectant la distance.
Rendre compte de cette conférence est donc un exercice difficile et qui serait vite présomptueux. Aussi, nous avons décidé (Françoise et Jean-louis) de le faire en commun en évoquant quelques points choisis subjectivement.
Pour ma part (Françoise), j'ai retenu cette 1ère diapositive nous montrant un Chinois traçant dans la rue des caractères avec un pinceau trempé dans l'eau, c'est une scène qui n'est pas rare en Chine et que l'on appelle une "calligraphie serpillère", il me semble que l'on a là une image très parlante : la calligraphie comme art à part entière mais aussi comme art de rue, le travail de l'énergie comme la pratique du Taijiquan, de la danse, du chant... dans les parcs et j'ajouterai la dimension d'impermanence de la réalisation.
barque = 舟 (zhou,1)
Voici maintenant une peinture nous donnant à voir la dimension esthétique d'un caractère chinois (désolée, je n'ai pas noté le nom du peintre)
Jean-Louis :
Cette conférence m’a touché car
elle rejoignait mes principaux centres d’intérêt : l’ethnologie, les
voyages, l’Histoire. Le vocabulaire employé par Joël Bellassen à propos de la
langue chinoise est le même que celui employé par l’ethnologue, le voyageur, l’historien :
dépaysement, distance. Pourquoi apprendre le chinois ? pourquoi
voyager ? pourquoi s’intéresser à l’ethnologie, à l’Histoire ? Pour apprendre des choses nouvelles,
découvrir de nouvelles cultures, de nouvelles civilisations et au bout du compte
pour mieux comprendre sa propre culture, pour mieux se comprendre. C’est ce que
disait Fernand Braudel : « Face à l’actuel, le passé, lui aussi est
dépaysement…La surprise, le dépaysement, l’éloignement – ces grands moyens de
connaissance – ne sont pas moins nécessaires pour comprendre ce qui vous
entoure…une semaine à Londres pour un Français ne lui fera peut-être pas mieux
comprendre l’Angleterre, mais il ne verra plus la France de la même
manière » (Ecrits sur l’histoire).
Alors que devient le dépaysement,
la distance dans une période de mondialisation ? Joël Bellassen a laissé cette question ouverte...Il
faudra qu’il revienne ! Il est intéressant de noter que Claude
Lévi-Strauss s’est posé la même question notamment dans la conférence Race et culture.
La langue et l’écriture chinoises
offrent donc un dépaysement linguistique. Selon l’expression du conférencier, le
chinois est une langue distante. En quoi consiste ce dépaysement, cette
distance ? L’écriture chinoise est une écriture non alphabétique et non
phonétique. Un caractère chinois ne renvoie pas à un phonème mais à une unité
de sens. Joël Bellassen a précisé, et cela m’a paru particulièrement
intéressant, que le sens d’un caractère est le plus souvent flou. Plutôt qu’un
sens précis un caractère évoque une idée. Il demande à être précisé par un
contexte. Ainsi le caractère 日
évoque l’idée du soleil. Il peut signifier
« soleil » mais aussi, selon le contexte, il peut signifier
« jour ». Le caractère 月 peut
signifier « lune », mais
aussi « mois ».
Autre élément de dépaysement :
l’écriture chinoise est selon l’expression de Léon Vandermeersch une écriture
graphique que l’on peut rapprocher de la peinture. Pour illustrer cette
caractéristique Joël Bellassen nous a montré le caractère évoquant l’idée de
« barque » avec au dessous un beau tableau de facture impressionniste
où le caractère était devenu une barque. L’écriture chinoise revêt parfois un
caractère magique. Ainsi le caractère 福 peut
non seulement évoquer l’idée du bonheur mais peut constituer un talisman
apportant le bonheur. La langue chinoise ne se contente pas de nommer les
choses, dans une certaine mesure elle les fait exister.
L’écriture chinoise possède une
proximité avec la peinture. De la même manière on peut dire que la
langue chinoise possède une proximité avec la
musique. En effet, la langue chinoise est une langue tonale. Et certainement
une des plus grandes difficultés pour les apprenants du chinois c’est de
prononcer un caractère avec le bon ton surtout s’ils n’ont pas l’oreille
musicale. En réponse à une question d’Olivier, Joël Bellassen nous a raconté
une anecdote. Il enseignait le chinois dans le secondaire. Pendant son cours,
il voit une jeune fille regarder à travers la fenêtre. Loin d’être inattentive
cette élève écoutait la musique du
chinois comme elle écoutait la musique d’un violoncelle dont elle savait jouer.
Une autre particularité de la
langue chinoise c’est qu’elle est, dans une certaine mesure une langue sans
sujet. J’aurais bien voulu voir développer ce point surprenant au premier
abord. Joël Bellassen a souligné que la pensée était structurée par la langue. Cette
absence du sujet dans la langue a-t-elle freiné l’émergence du couple
sujet/objet sur lequel repose la démarche analytique ? Voir Anne Cheng Histoire de la pensée chinoise. De la
même manière la peinture lettrée chinoise suppose une fusion du peintre et de
son modèle (Voir Su Shi : le peintre doit intérioriser les bambous et les
paysages avant de les peindre). Elle n’a pas souhaité constituer le peintre en
sujet séparé de son modèle, comme l'ont fait, le plus souvent les artistes occidentaux.
Françoise :
Voici maintenant l'illustration de la dimension "magique" du caractère : ici, le caractère du bonheur que l'on offre et affiche pour que ce souhait de bonheur se réalise.
C'est l'écriture la plus transparente au niveau du sens, où l'étymologie apparait le plus clairement, d'où l'importance d'un apprentissage raisonné des caractères en fonction de leur fréquence et de leur potentiel combinatoire. Trouverez-vous le mot "psychologie"?
Quelques médiateurs chinois, à partir du règne de Louis XIV pour le premier.
Ce que nous pouvons dire pour terminer ce long et néanmoins très partiel compte rendu, c'est que nous sommes vraiment désolés que de nombreuses personnes n'aient pas pu rentrer faute de places : le lieu avait été proposé par la Bibliothèque
de Marseille dans le cadre du jumelage Marseille / Shanghaï et il est vrai qu'un tel succès était difficile à prévoir.
M. Bellassen, il faudra que vous
reveniez pour développer ces points ou d’autres, nous aurons une plus grande salle ! Encore un grand merci à vous. Nous attendons
avec impatience votre prochaine conférence.
4 commentaires:
Merci Françoise & Jean-louis pour cette synthèse très fidèle qui m'a fait revivre -en quelque sorte - cette passionnante conférence..
Vivement la prochaine !
Un autre point évoqué par Joël Bellassen dans sa conférence est le passage du chinois aux écritures alphabétiques. Ce passage existe depuis longtemps grâce aux transcriptions dont la plus commune aujourd’hui est le pinyin. A l’origine ces transcriptions étaient plutôt à destination des locuteurs des langues possédant une écriture alphabétique. Elle est désormais indispensable pour les Chinois souhaitant rédiger un texte avec un ordinateur ou un téléphone portable et ils sont nombreux. Joël Bellassen nous a indiqué le nombre impressionnant de SMS envoyés en Chine. L’utilisation du pinyin pour les locuteurs occidentaux ne suppose pas une gymnastique intellectuelle particulière dans la mesure où ils se contentent de lire le pinyin sans se référer aux caractères chinois. Il n’en va pas de même pour le rédacteur chinois d’un SMS qui passe constamment d’un système d’écriture à un autre.
Quelle est la conséquence de cette gymnastique sur la formation intellectuelle ? Quelle sera la conséquence de l’usage intensif des SMS sur la langue et l’écriture ? Autant de « coins » soulevés par notre conférencier.
Dans le même ordre d’idées Joël Bellassen nous a rappelé que pratiquement tous les Chinois sont bilingues dans la mesure où ils parlent le mandarin et la langue de leur province (j’ai noté avec intérêt que Joël Bellassen parlait de langue et non de dialecte). La gymnastique intellectuelle supposée par ce bilinguisme favorise certainement l’apprentissage des langues étrangères.
Jean-Louis
Quelle joie d'assister à la conférence de J. Bellassen qui nous fait partager son enthousiasme.
J'ai retenu aussi sa description du caractère nàng : 齉 , nez bouché, est ce bien celui qui comporte le + de traits ?
Effectivement le caractère nàng est le caractère qui comporte actuellement le plus de traits (36).
Autrefois, il était devancé par le caractère zhé (bavarder) qui comportait 64 traits et qui a, hélas, disparu vers le V° siècle.
Voir le "Bellassen" P. 60
Jean-Louis
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