mercredi 7 mars 2012

A propos du camp chinois de Meyrargues et des travailleurs vietnamiens



Selon des informations trouvées sur Internet ce site n’abritait pas un camp de travailleurs chinois engagés par la France au cours de la première guerre mondiale (cf un article écrit sur ce sujet et publié sur ce blog le 14 septembre 2011) mais un camp de travailleurs vietnamiens recrutés par la France entre octobre 1939 et mai 1940. D’ailleurs, en l’état actuel de mes recherches, les travailleurs chinois dans les Bouches du Rhône étaient présents uniquement à la poudrerie nationale de Saint Chamas et à Marseille dans les camps du Prado et de Sainte Marthe où ils étaient rassemblés avant d’être envoyés sur leurs lieux d’affectation et avant d’être rapatriés en Chine, ainsi qu’à l’hôpital des travailleurs coloniaux boulevard de la Maillane où moururent plusieurs dizaines d’entre eux. Dans le regard porté par les contemporains les confusions étaient fréquentes entre chinois et ceux qu’ils appelaient communément annamites, qu’ils soient originaires de l’Annam, du Tonkin ou de Cochinchine, comme en témoigne la fiche ci-dessus établie par le service des anciens combattants dans les années 20.

Ecrit à partir de travaux d’historiens, d’écrits d’anciens responsables du cadre colonial, de documents d’archives et d’entretiens avec 25 travailleurs réalisés en France et au Vietnam, Pierre Daum, journaliste, a publié aux éditions Actes Sud un ouvrage passionnant sur ces 20 000 travailleurs vietnamiens intitulé : « Immigrés de force. Les travailleurs indochinois en France (1939-1952) ». En voici un résumé très succinct.

Le 2 mai 1939, alors que les tensions ne cessent de croître en Europe, un décret est signé prévoyant l’engagement de travailleurs coloniaux pour être employés dans les services publics ou exploitations privées travaillant pour les besoins de la Nation. Il est fait appel à des engagés ayant souscrit un contrat ou en cas d’insuffisance à des requis. En fait, ce sont 96% d’entre eux qui furent recrutés de force. Dans chaque village, les familles composées d’au moins 2 enfants mâles âgés d’au moins 18 ans avaient l’obligation d’en mettre un à la disposition de la « mère patrie ». En cas de refus le père de famille devait aller en prison. Les autres s’engagèrent en qualité de surveillant ou d’interprète, désireux de découvrir la France.

Embarqués à Haiphong, Tourane (aujourd’hui Da Nang) et Saigon (aujourd’hui Ho Chi Minh-Ville), ils débarquèrent à Marseille après un périple d’une quarantaine de jours entassés au fond des cales de navires quelques fois transformés pour la circonstance et donc pas toujours pourvus des équipements de sauvetage nécessaires. Dans l’attente de leur affectation ils furent hébergés à la prison des Baumettes qui venait d’être achevée mais n’avait pas encore été mise en service, soumis à un régime déjà très sévère et reçurent un sac de vêtements avec comme seul vêtement chaud une vareuse rembourrée de coton ; « comme il faisait froid » se souviendra plus tard l’un d’eux.

Employés en premier lieu principalement dans les poudreries nationales (notamment à Saint Chamas), nombre d’entre eux furent acheminés dans le sud de la France après la débâcle. D’autres, après quelques semaines d’inactivité reprirent le travail mais au service des allemands. C’est le cas de la poudrerie de Bergerac qui employait 1700 ouvriers non spécialistes – ONS (c’est ainsi que l’administration française dénommait ces paysans pour la plupart illettrés) et de l’arsenal lyonnais.
L’armistice du 22 juin 1940 eut notamment pour effet, selon les termes du décret du 2 mai 1939, de mettre un terme à l’engagement de la main d’œuvre coloniale. De janvier à septembre 1941, environ 4 400 travailleurs vietnamiens regagnèrent leur pays. Mais la tension entre Londres et Vichy devenant extrême, la flotte britannique interdit les voies maritimes vers l’extrême orient. Ainsi, environ 14 200 travailleurs se retrouvèrent bloqués en France pendant toute la durée de l’occupation. Après quelques mois de chômage ils vont être employés dans des travaux forestiers, agricoles ou industriels. Regroupés dans des camps aux installations sommaires, ceints par une clôture et gardés jour et nuit par des soldats ils étaient soumis à un régime de semi-liberté. Tenus de rentrer au camp avant la tombée de la nuit ils ne pouvaient le quitter et tenter de se faire embaucher ailleurs. Ils étaient encadrés par d’anciens officiers et fonctionnaires coloniaux à la retraite qui n’avaient que mépris pour ces « indigènes ». Les témoignages évoquent fréquemment les mauvais traitements qu’ils subissaient : insultes, coups, privation de nourriture, emprisonnement… Certains camps étaient dotés d’une prison (un local disciplinaire). Dans cet espace sans droit que constituaient ces camps les punitions à des peines d’emprisonnement n’étaient pas rares. Les officiers français, y compris les plus gradés, pillaient leurs réserves de nourriture pour les revendre au marché noir de sorte qu’ils avaient souvent très faim et nombre d’entre eux étaient amenés à se servir là où ils pouvaient. Selon un document auquel ne se réfère pas Pierre Daum et que j’ai trouvé aux archives d’outre-mer, un millier d’entre eux ont été pris sur le fait, sont passés au tribunal correctionnel et ont été condamnés pour vol à plusieurs mois de prison.

Ne pouvant rentrer dans leur pays, le gouvernement de Vichy décida de les faire travailler. A partir de 1941, les types de travaux se diversifient et avec eux les lieux d’affectation : poudreries réouvertes, usines textiles, tuileries, constructions de routes… Les plus gros contingents furent affectés aux travaux agricoles et forestiers. Pour pallier la pénurie d’essence, de nombreux véhicules avaient été équipé d’un moteur gazogène fonctionnant au charbon de bois. Plusieurs milliers d’ONS ont alors été mis à la disposition d’entreprises de coupe et de carbonisation du bois ; ce qui est le cas des travailleurs logés dans ce « camp chinois » situé près de Meyrargues. Un millier d’hommes fut envoyé aux salins de Salin-de-Giraud participer à la récolte du sel dans des conditions souvent très rudes. Souffrant de la réverbération du soleil l’été et du vent glacial l’hiver alors qu’ils n’avaient pas de bottes en caoutchouc et qu’ils devaient travailler dans la boue à l’entretien des sols et des digues. D’ailleurs, c’est à Salin-de-Giraud qu’éclata la première grande rébellion des travailleurs vietnamiens au cours de l’été 1941.

Pierre Dum consacre un chapitre particulier à la culture du riz. Les premières pousses de riz apparurent au début des années 1840. Mais c’est en 1922 que les premiers hectares de riz furent plantés essentiellement pour dessaler la terre, le riz n’étant pas destiné à la consommation humaine. Lorsque la mode de manger du riz gagna la France quelques années plus tard, certains essayèrent d’en produire mais abandonnèrent rapidement face à la concurrence des importations venues d’Indochine et de Madagascar. Les liaisons maritimes avec l’extrême Orient étant interrompues, Vichy décida d’employer ces travailleurs à la culture du riz d’abord pour leur nourriture puis pour tenter de pallier la pénurie alimentaire qui menaçait la France. Des terres et de la main d’œuvre expérimentée et bon marché sont prêtées aux agriculteurs qui ont obligation d’y faire pousser du riz acheté par l’Etat, seul client du moins en principe, au prix de 6 francs le kilo. L’expérience se révèle vite un succès ; la production croît rapidement et permet à certains de s’enrichir grâce au marché noir, le kilo de riz y étant vendu entre 100 et 120 francs.
Ces travailleurs dépendaient d’un service du Ministère du travail intitulé Main d’œuvre Indigène. Les employeurs lui versaient le salaire des ouvriers qu’ils employaient, la MOI devant les rémunérer. En fait, celle-ci ne reversait presque rien : le salaire journalier était de 1 franc pour les ouvriers et de 5 francs pour les interprètes qui travaillaient à Salin-de-Giraud alors que les ouvriers français percevaient un peu plus de 28 francs par jour pour un travail équivalent, et ce, en complète contradiction avec les termes du décret du 2 mai 1939. Pierre Dum consacre également un chapitre particulier à la rémunération des travailleurs. Il montre que malgré la diversité des sources de revenus (il en eut 8 au total : indemnité de départ, allocation journalière, prime, pécule, allocation de voyage lors du rapatriement, indemnité de déréquisition, allocation de congé libérable) celle-ci ne représenta même pas le dixième du salaire d’un ouvrier de cette époque.

A la fin de la guerre, le Ministère des colonies va mettre trois années pour rapatrier à peine plus d’un millier de travailleurs car dans le même temps 30 000 soldats du corps expéditionnaire débarquaient en Indochine pour maintenir celle-ci dans le giron de l’empire colonial. Ce n’est qu’à partir de 1948 que le rythme des rapatriements s’accélère sur décision du Ministre des colonies, les travailleurs devant être de retour au pays avant le 31 décembre 1952. Un millier d’entre eux restèrent en France après avoir rencontré et épousé une femme française et eurent souvent des descendants. Michèle et moi avons eu l’occasion d’en rencontrer ; je pense notamment à Joël Pham que je cite parce qu’il est l’auteur d’un site internet www.travailleurs-indochinois.org qui mérite vraiment d’être visité.

Yves

3 commentaires:

Jean-Louis a dit…

Merci, Yves, pour cet article très intéressant.
Je découvre des aspects de l'histoire de France que je ne connaissais pas.
Jean-Louis

Françoise a dit…

C'est vraiment un travail impressionnant et passionnant et qui appelle d'autres publications et conférences.
Moi aussi, j'étais loin de connaître ces aspects de notre histoire. C'est tout à fait bienvenu en ce moment.

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je reconstitue un combat près de Meyrargues le 20 août 1944 pour la fille d'un soldat qui y fut gravement brûlé.
Une jeep est partie dans les collines pour prendre un canon à revers. Des indices me font penser qu'ils furent tués en chemin.
J'ai refait leur trajet à l'aide d'une carte de 1936. Une personne âgée au "Camp chinois" mais qui n'était pas là en 1944 m'a indiqué la base d'un canon peu loin. A mon avis, c'est un simple réservoir d'eau.
Savez-vous, ou pouvez-vous trouver, s'il y avait une présence allemande dans ce camp en 1944.

Merci.