lundi 7 février 2011

L'eau, le vin, le paysage


Montagnes et eaux, anonyme des Song, Auberge dans la montagne.

L’eau, on le sait, est l’un des éléments constitutifs du paysage chinois (shanshui). En Europe, c’est plutôt le vin qui serait à l’origine du paysage.

Est-ce une boutade ? Pas tout à fait. Pour le comprendre, il fait lire l’ouvrage très intéressant d’Alain ROGER, Court traité du paysage, Editions Gallimard.
En Chine, le paysage, c'est-à-dire la perception esthétique de la nature, avec un mot pour le nommer, des peintures et des écrits pour le représenter est apparu aux alentours des III°, IV °siècle après Jésus Christ (Augustin Berque, Les raisons du paysage). En Occident, le paysage est né au XV° siècle d’abord dans le nord de l’Europe puis en Italie. Le mot paysage est apparu en 1493.

Et le vin que vient-il faire dans le paysage occidental ? En Europe, les premiers paysages furent des pays sages c'est-à-dire la campagne, « appendice de la ville, apprivoisée de proche en proche, domestiquée, colonisée, annexée à la vie urbaine… l’histoire du paysage rencontre celle du travail, et en particulier l’histoire du vin et de la culture de la vigne » Piero CAMPORESI, Les belles contrées, naissance du paysage italien, Gallimard.

On se souvient que, dans la cosmologie chinoise, la montagne est le squelette du monde et l’eau son sang. Dans la liturgie catholique, le pain est le corps du Christ et le vin son sang.

Il faudra attendre bien longtemps, en Occident, pour que la montagne et la mer soient « artialisées » et deviennent des paysages. Jusqu’au XVIII° siècle la montagne reste « un pays affreux », voir par exemple le journal de Montesquieu où il relate son voyage au Tyrol. Il faudra attendre le Rousseau de la Nouvelle Héloïse et le poème Die Alpen d’Haller (dix éditions en France de 1749 à 1772) pour que cet « affreux pays » devienne un paysage. La mer, considérée, pendant longtemps comme un vestige du Déluge, une relique de la catastrophe sera vue d’un autre regard grâce aux marines de Vernet et aux grands écrivains de la mer : Bernardin de Saint Pierre, Chateaubriand, Hugo, Melville.

A ceux que ces questions intéressent, je ne saurais trop recommander la lecture de ce Court traité du paysage, même si certaines positions me semblent contestables.
L’auteur prend pour point de départ un texte d’Oscar Wilde « La vie imite l’art bien plus que l’art imite la vie …A qui donc, sinon aux impressionnistes, devons nous ces admirables brouillards fauves qui se glissent dans nos rues, estompent les becs de gaz, et transforment les maisons en ombres monstrueuses…Qu’est-ce, en effet, que la nature ? Ce n’est pas une mère féconde qui nous a enfantés, mais bien une création de notre cerveau ; c’est notre intelligence qui lui donne vie. Les choses sont parce que nous les voyons, et la réceptivité aussi bien que la forme de notre vision dépendent des arts qui les ont influencés ». O. WILDE, Le Déclin du mensonge, Stock.
Proust dit la même chose dans Le Côté de Guermantes : « Des femmes passent dans la rue, différentes de celles d’autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous refusions jadis de voir des femmes ».

L’hypothèse du livre : « il n’y a pas de beauté naturelle ou, plus exactement, la nature ne devient belle à nos yeux que par le truchement de l’art » rejoint le fil conducteur de ma conférence sur les jardins : les choses, les personnes n’existent pas en elles-mêmes, pas plus les pierres des jardins chinois, les brouillards de Londres que les passantes de Balbec. Elles sont constituées, dans leur être même, par le regard que nous leur portons.
Jean-Louis

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